LE TEMPS QU’IL FAIT LE 8 DÉCEMBRE 2017 – Retranscription

Retranscription de Le temps qu’il fait le 8 décembre 2017. Merci à Cyril Touboulic !

Bonjour, nous sommes le vendredi 8 décembre 2017, et aujourd’hui aussi un titre à ma petite vidéo Le temps qu’il fait : « Tirer les leçons de l’histoire ». C’est le grand philosophe Hegel, qui a vécu, comme vous le savez, à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, qui avait fait cette remarque que nous avons toujours été incapables, nous, êtres humains, à tirer les leçons de l’histoire. Alors, depuis que Hegel a dit ça, eh bien, de nombreuses personnes l’ont répété au fil des siècles, et sans plus d’effet.

Nous réfléchissons beaucoup. Nous sommes incapables de nous projeter dans l’avenir, nous n’arrivons pas à nous représenter l’avenir de manière ni claire, ni même floue, et ça ne nous intéresse absolument pas. Nous parlons très vaguement des générations futures mais c’est un truc absolument abstrait dans lequel nous n’arrivons pas à nous investir. Alors, essayons quand même de tirer quelques leçons de l’histoire, ce sera le thème d’aujourd’hui. Je tirerai surtout des leçons de ma propre histoire puisque, eh bien, c’est un matériel privilégié pour moi : j’y comprends peut-être un peu plus qu’à tout le reste. Voilà, on part pour une petite archéologie ou une petite histoire.

Dans mon cas, ça commence en 2004-2005. J’ai fait d’autres choses, mais en 2004-2005, je me dis : « Il faut absolument expliquer qu’il y aura une crise importante dans le système capitaliste américain, et en parler au monde. »

On est en 2004-2005, j’ai écrit un manuscrit. Ce manuscrit je n’arrive pas à le publier, donc premier échec. Deux ans plus tard, finalement, le livre paraît : le manuscrit a intéressé Jacques Attali. Le fait que le manuscrit intéressait Attali intéresse un éditeur, et le livre sort.

J’ai quatre livres à vous montrer aujourd’hui. Il y en a un que vous n’avez pas encore vu, les autres vous les connaissez. Voilà le premier : Vers la crise du capitalisme américain ?, ça a paru à la Découverte, dans la collection du MAUSS (Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales) – je vous l’ai expliqué déjà, ce n’est pas le titre original que j’avais donné, j’avais appelé ça : « La crise du capitalisme américain ». Ça sort en janvier 2007, la crise à proprement parler des subprimes débute le mois suivant, à la mi-février.

Donc le livre sort de toute manière trop tard pour alerter les gens avec un délai raisonnable, il sort au moment même où ça se passe et donc ça me permet une seule chose, c’est que les gens disent : « Tiens ! Voilà, il y a un livre qui explique déjà en 250 pages ce qui va se passer. » Et s’ouvre alors pour moi une période de dix ans (ou onze ans) pendant laquelle je fais tout ce que je peux : je crie le plus fort possible. J’ai des casseroles, je tape dessus. Je suis le savant Philippulus… pardon, le prophète Philippulus – enfin il est les deux – qui dit : « La fin est proche, il faut faire quelque chose. »

Et là, j’en ai parlé l’autre jour, ça n’a absolument rien donné… oui, un intérêt poli de la part de l’opinion publique, de certaines personnes. Oui, on me fait venir au Parlement européen dire ce que je pense. Oui, on me fait, à plusieurs reprises, aller au Sénat, à Paris, pour dire ce que je pense sur tel ou tel sujet. Mais, est-ce que ça a un impact sur la manière dont les choses évoluent ? Oui, on me fait participer à une commission de huit experts sur l’avenir du secteur financier belge, qui dépose des conclusions dont je ne sais pas si quelqu’un les a un jour lues [rires]. Enfin bon !

Oui, voilà : intérêt poli, et ça débouche sur quoi ? Un deuxième livre, celui-là je vous l’ai déjà montré aussi (À quoi bon penser à l’heure du grand collapse ?). Au bout de dix ans, un livre où – grâce à la coopération et la collaboration active et remarquable de MM. Jacques Athanase Gilbert et Franck Cormerais – le monde apprend que Paul Jorion est un savant de rang honorable qui a apporté des connaissances à l’humanité qui méritent d’être signalées et retenues.

Alors, c’est splendide ! Ça pourrait être effectivement le couronnement remarquable d’une carrière de chercheur. Mais, chers Amis, vous comprenez bien que ça n’a aucun rapport avec ce que j’ai essayé de faire pendant ces dix ans, c’est-à-dire de pousser le monde dans une meilleure direction !

Alors, ces jours-ci, il y a quelques semaines (j’en ai parlé sur le blog), j’ai tiré les conclusions qui s’imposent : c’est qu’il faut œuvrer, continuer à œuvrer dans le sens de ce qu’il faudrait faire mais qu’il faut peut-être changer son fusil d’épaule ou alors laisser mes alertes continuer à diffuser, à percoler, à leur rythme, dans l’opinion publique, en espérant qu’un jour il se passera quelque chose. Malheureusement, là, je crois que du point de vue des chronologies, de la vitesse à laquelle les choses devraient se passer, ce n’est pas suffisant.

Alors, comme je vous l’ai déjà expliqué, qu’est-ce qu’on peut faire ? Eh bien, on peut faire deux choses. La première, c’est de se dire, et tirer les conséquences, de ce que les savants climatologues et autres vous disent : « Arrêter la technique, dire : ‘Il ne faut plus en faire !’ » Ce n’est pas ça qu’il faut faire si on veut sauver l’espèce. Si on veut se draper dans sa dignité et s’élever au plus haut niveau moral, probablement c’est ça qu’il faut faire. Mais si on veut sauver l’espèce, là il n’y a plus qu’une seule possibilité : c’est la fuite en avant. Comme le disait M. McPherson, grand collapsologue auquel je me réfère souvent : si on arrête maintenant tout du jour au lendemain, on ne produira pas assez d’aérosols et on va encore précipiter le problème parce que ça va encore chauffer encore plus rapidement. Donc la seule chose qu’on peut faire, c’est essayer de modifier les choses. Et là, je vous ai déjà montré ce livre que je lis en ce moment, voilà, celui-là, vous l’avez déjà vu : Deep learning (Ian Goodfellow, Yoshua Bengio & Aaron Courville, 2016). C’est à la pointe de ce qu’on peut essayer de faire, puisque nous avons fait la preuve qu’on n’était pas assez intelligents, mais nous pouvons produire des machines qui sont plus intelligentes que nous et qui vont très très vite.

On me montrait, hier, un article qui montrait que nous avons déjà produit des machines intelligentes qui nous battent à plate couture dans la résolution de tous les problèmes, et que maintenant nous arrivons à produire des machines qui battent à plate couture ces machines qui nous ont déjà mis absolument K.O., ce qui fait que le moment n’est pas très éloigné où la singularité aura lieu, c’est-à-dire que nous ne comprendrons plus du tout ce que font ces machines, qui, voilà, qui nous auront laissé sur place. Mais quand même ! on peut leur donner quelques directives – parce que c’est encore nous qui écrivons la programmation, n’est-ce pas ? donc ce n’est pas tout à fait perdu –, on pourrait leur dire d’essayer de résoudre nos problèmes. Et à mon sens, c’est ça qu’il faut faire. Alors, c’est pour ça que j’investis une partie de mon temps à lire des gros livres comme ça et à poser ma candidature à des endroits où je pourrais reprendre ma recherche en Intelligence Artificielle.

Mais, et ça va être ça ma conclusion : quatrième livre, celui que vous n’avez pas encore vu, voilà : The Knowledge. How to Rebuild our World from Scratch (Comment Reconstruire notre monde à partir de zéro), un livre de 2014. Un livre écrit par un très grand, voilà – j’employais le mot « savant » tout à l’heure –, un très grand savant, quelqu’un qui nous explique que quand il ne restera que quelques petites poches d’êtres humains, il est possible de reconstruire, de rebâtir l’indispensable : pour s’abriter, pour ne pas avoir froid, d’avoir à manger, de boire de l’eau propre, etc. C’est un livre « survivaliste », pour employer le mot. C’est un livre qu’il faudrait enseigner, comme le dit Monsieur… je ne sais plus si c’est M. Martin Rees qui dit ça à l’arrière [montre la quatrième de couverture].

Enfin bon ! un grand savant nous dit : un livre à donner à tous les enfants des écoles, comme je dis pour le mien L’argent, mode d’emploi. Il faut que les enfants comprennent comment notre monde fonctionne. La question n’est pas simplement de le reconstruire s’il a été complètement cassé, elle est aussi de comprendre – pendant le temps qui nous reste – comment ça fonctionne, et, voilà, parce qu’on apprend des choses. On apprend, par exemple, eh bien, qu’il ne faudra pas compter sur son smartphone plus d’une semaine ou deux, ou sur l’Internet parce que ça demande de l’électricité. Ça, ça va être difficile à garder. Mais, par contre, qu’il y a des choses qu’on peut faire comme avant et là on peut retomber à des technologies qui sont des technologies stables, qui ne cassent pas tout autour d’elles.

Mais il faut s’habituer déjà à l’idée qu’il faut pouvoir vivre dans le monde sans un smartphone, sans l’Internet, parce que ça, c’est devenu extrêmement fragile. C’est là, c’est partout, mais c’est très fragile : il suffit d’un petit accident comme une météorite de dix kilomètres de long [rires] qui nous rencontre dans l’atmosphère pour que ça ne soit plus possible, ou même des accidents comme, tout à coup, une éruption solaire d’une puissance un peu inhabituelle.

Il faut que nous nous habituions à l’idée de vivre dans un monde où les trucs les plus perfectionnés ne seront peut-être plus là. Comment désinfecter de l’eau qu’on retrouve ? Qu’est-ce qu’on peut manger / qu’est-ce qu’on ne peut pas manger ? Si on veut reconstruire un abri, comment il faut le faire et pas autrement ? et ainsi de suite… Quelles sont les différentes sortes de plastique ? Celles dont on peut encore faire quelque chose et celles qu’il vaut mieux mettre à la poubelle parce que ça ne sert à rien ? et ainsi de suite. Des connaissances extrêmement utiles. Lisez donc ce livre The Knowledge, et je vous rappelle son auteur, c’est M. Lewis Dartnell.

Si vous ne comprenez pas l’anglais, eh bien, chers amis, illustration de mon troisième point : trouvez le texte, mettez le dans DeepL (le programme de la compagnie Linguee, devenue DeepL), qui utilise des réseaux neuronaux artificiels pour traduire mieux que vous et moi pouvons le faire. Utilisons la technologie tant qu’elle est là. [P.J. : en fait il en existe déjà une traduction française chez J.-C. Lattès, comme certains d’entre vous me l’ont signalé].

Voilà ! Un petit panorama de l’histoire de l’humanité avec quelques exemples personnels, parce que, eh bien, ça me permet d’illustrer ce que je dis pour que ça ne reste pas des grands principes qui planent dans l’atmosphère, mais des choses dont on voit que ça se passe vraiment. Je ne sais pas de quoi on parlera la semaine prochaine (si on est toujours là !). En tout cas, passez une excellente semaine !

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