Le Monde / L’Écho – Pourquoi un marché à terme du bitcoin ? le mardi 12 décembre 2017

Le Monde : « La pègre est l’utilisateur le plus actif du bitcoin, en sus de militants libertariens »

L’Écho : Pourquoi un marché à terme du bitcoin ?

L’ouverture à Chicago de deux marchés à terme du bitcoin (l’un par le Chicago Board Options Exchange (CBOE) le 10 décembre, l’autre par le Chicago Mercantile Exchange (CME) le 18 décembre) sera-t-elle un moment clé de la légitimation de cette crypto-monnaie ? L’exemple, il y a quinze ans, d’une autre innovation financière pourrait conduire à y lire au contraire une marque de défiance envers elle.

Rappelons que le bitcoin, un jeton dont le détenteur est anonyme et la sécurité assurée par le chiffrement, ambitionne d’être considéré comme une véritable monnaie. Son irruption en une des journaux est due à la valeur élevée atteinte par ces jetons, qui apparaissent du coup comme une source possible d’enrichissement.

L’exemple passé est celui du « Policy Analysis Market » (PAM) en 2003, un projet de marché à terme pour un produit financier dérivé dont le sous-jacent aurait été les retombées de certains attentats terroristes. L’argumentation de ses promoteurs (en l’espèce la DARPA, le département de recherche du Pentagone) était que les candidats terroristes tenteraient également de bénéficier financièrement de leurs actes, et qu’une activité anormale sur un « produit » particulier – l’assassinat du roi de Jordanie, par exemple – signalerait son imminence. Un tollé dans l’opinion et au Congrès, qui y a vu un encouragement à de tels attentats, avait enterré le projet.

La finalité du PAM s’est éclairée par la suite, car il jetait les bases d’un autre projet : la National Security Agency (NSA), qui mettrait secrètement sur écoute dans les années qui suivirent l’ensemble de la population américaine et ses correspondants étrangers fut créée malgré, là aussi, l’opposition des parlementaires américains. Il n’était donc pas tant question de noter la « popularité » boursière de tel ou tel projet d’attentat que d’écouter ce que diraient les parties intéressées dans leurs conversations.

Quel est le rapport avec le nouveau marché à terme du bitcoin ?

La perspective d’une monnaie échappant à la supervision de l’autorité étatique qu’est une banque centrale fait que l’utilisateur le plus actif du jeton, en sus de militants libertariens en lutte contre l’État et de quelques enthousiastes de la programmation, est la pègre, qui y trouve le moyen de faire circuler l’argent sale en circuit quasi-fermé. Un spécialiste refusant de révéler son nom définit le bitcoin comme « taillé sur mesure en vue de la fraude ». Le site de vente sur Internet Silk Road, spécialisé dans la vente de drogues et de passeports volés incarna cette tendance jusqu’à sa fermeture par le FBI en 2014. Son fondateur, Ross William Ulbricht, accusé aussi d’avoir commandité plusieurs meurtres, fut condamné à la prison à vie en février 2015. Il plaida le délit politique, affirmant avoir agi par idéalisme libertarien de lutte contre l’État.

De nombreux traits du bitcoin s’opposent à son assimilation à une véritable monnaie. D’abord il n’est adossé à rien – ni métaux précieux, ni richesse quelconque ; ensuite il est énergivore ; enfin, il manque de liquidité. Sa capacité à être utilisé est en effet médiocre : les frais de transaction sont élevés, les délais d’enregistrement, souvent de plusieurs jours, tandis que les cours fluctuent de manière désordonnée : le 29 novembre, le bitcoin a perdu 14 % de sa valeur en une seule journée.

Les promoteurs du futur marché à terme affirment que sa présence permettra aux détenteurs de bitcoins de se protéger contre les aléas du marché, un marché à terme permettant de s’immuniser aussi bien contre une hausse que contre une baisse du prix. On voit mal pourtant les spéculateurs vouloir jouer à la baisse, ou pourquoi les régulateurs qui autorisent ces marchés seraient soucieux de protéger la pègre ou des ennemis déterminés de l’État contre le risque financier.

Comme dans le cas, certes avorté, du PAM de 2003, l’intention tacite est plus probablement que les autorités pensent avoir découvert, par la création de contrats à terme, un moyen d’apparence inoffensive de superviser discrètement un marché dont les objectifs affichés sont de vendre à l’abri du regard de l’État, voire même de faire tomber celui-ci.

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  1. Mais, bonne nouvelle dans ce monde de brutes : Fitch et Moody’s laissent la note de la France inchangée… 🤑 https://www.tdg.ch/dette-fitch-et-moodys-laissent-inchangees-la-note-souveraine-de-la-france-766745382534

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