Carnaval, par Panagiotis Grigoriou

Billet invité. Également sur son site greekcrisis.fr.

Lundi dit Pur déjà passé (19 février), la Grèce vient de célébrer de la sorte son carnaval (des jours précédents) à l’image plutôt trouble de notre ultime monde. “Nous sommes encore vivants” ont cependant suggéré et même hurlé certains participants à la traditionnelle (grande) parade qui se tient chaque année à Patras. D’autres groupes carnavalesques qu’y paradaient également, autant que faire se peut avec la même autodérision, accrochés visiblement (et) si fièrement à bord de leur… carrosse, qu’ils l’ont dénommé pour l’occasion: “Bateau des inégalités sociales”. Fractures, disons exclusivement calendaires.

“Nous sommes encore vivants”. Carnaval de Patras, février 2018 (presse grecque)

Durant la semaine passée le “Lundi Pur” (19 février), aurait incarné cette traditionnelle coupure calendaire et autant symbolique marquant le début du carême orthodoxe d’avant Pâques. C’est alors une bien grande fête populaire qui se tient le premier lundi de cette période de jeûne orthodoxe, lorsque d’ailleurs la météo l’autorise, comme souvent cette année. Premier jour du Grand Carême dans les Églises d’Orient donc, et un peu partout à travers le pays, c’est l’occasion d’organiser des repas et des pique-niques de nourriture parfois végétarienne et surtout sans aucune viande animale, sans oublier la “lagana” (le fameux pain du jour fabriqué sans levain). Sans enfin oublier, les milliers de cerf-volants que font voler petits et grands enfant partout en Grèce.

Et c’est autant le symbole en quelque sorte de la purification et de l’élévation supposée (des âmes vers le ciel), purification autant recherchée par le jeûne. En ce 2018, les bien rares enfants du pays réel ont ainsi fait voler leurs cerf-volants comme ils l’ont pu, dans le bas ciel actuel, d’après la coutume largement retravaillée, et supposées finalement traditionnelle non sans effort il faut avouer.

Pour rester dans l’actualité non festive, c’est alors et pratiquement dans l’ensemble de la presse du moment, que l’on découvre ces dessins copieusement ironiques, faisant largement la part belle, aux épisodes très actuels, par exemple des intrusions de l’aviation de guerre turque dans l’espace aérien grec en mer Égée. Dans le même ordre d’idées, et d’ailleurs pas sans faire (si faussement) mésusage des symboles pour tout dire tant extenués, qu’un certain Alexis Tsipras s’est rendu sur l’île de Skyros pour y fêter, ce que sans doute croît-il, être (encore) son… carnaval.

Cette figure de la piètre marionnette Tsipras, laisse toutefois trahir cette évidence de plus en plus perceptible : son visage humain reflète désormais bien manifestement sa souffrance psychique, individu peut-être profondément ébranlé. Et pourtant, la propagande environnante, de type largement soviétique (comme autant occidental) dont font preuve les médias dans leur but à exhiber un Premier ministre supposé radieux de son bain de foule au défilé carnavalesque dans les ruelles de Skyros, ces efforts médiatiques ont même eu en réalité l’effet exactement opposé. La félicité ne s’improvise pas, l’honnêteté non plus.

Car à cette occasion, toute la Grèce a encore découvert cet ixième Tsipras, passablement déplorable dans son suffisant ridicule, s’efforçant à prolonger entre autres… le sourire, cela il faut dire, au beau milieu d’une foule dont personne n’avait vraiment envie de rire. Tragédie et autant hybris que plus aucun temps carnavalesque ne peut désormais camoufler. Carnaval.

Le bateau des inégalités sociales. Carnaval de Patras, février 2018 (presse grecque)
Traditionnel cerf-volant du Lundi Propre et avion turc. Quotidien “Kathimeriní”, février 2018
Alexis Tsipras à Skyros. Février 2018 (presse grecque)
Alexis Tsipras à Skyros. Février 2018 (presse grecque)

Et voilà que le mois le moins long de l’année se termine au beau milieu cet autre carnaval permanant, celui d’un “Parlement” où durant toute une journée et autant soirée, les “élus” se sont prononcés d’après l’initiative du “gouvernement”, sur le bien fondé de la culpabilité présumée de certains ténors de la (pseudo)opposition, dans l’affaire du dit “scandale Novartis”. Lors même d’un échange au sein de l’hémicycle, Anastasia Christodoulopoulou (SYRIZA) alors présidant la séance, a pu lancer au moment où elle coupait son microphone (qui n’était pourtant pas tout à fait fermé) au député Charalambos Athanassíou (Nouvelle Démocratie): “Vas au Diable”.

La presse, et plus largement les médias ont évidemment reproduit ce document audiovisuel… carnavalesque, et Christodoulopoulou a aussitôt exigé à qu’on efface sa dernière phrase, du compte-rendu officiel des séances. Dans les médias grecs à l’instar de la radio 90.1 FM (21 février), on ironisait volontiers sur “le cynisme alors abyssal qui caractérise cette bande d’escrocs, incultes et en même temps saltimbanques qui font semblant de gouverner, alors qu’ils travaillent d’abord au bénéfice de leur seule et unique poche, et finalement, au bénéfice des puissances mondialisatrices étrangères qui occupent le pays et qui elles-seules alors comme on sait, produisent et imposent le droit à un pseudo-Parlement, dont le rôle n’est que cosmétique, et encore”.

En Grèce, depuis SYRIZA et surtout depuis 2015, nous savons, nous subissons, et en conséquence, nous ne pouvons plus nous permettre en l’état actuel des choses, à cautionner davantage ce carnaval grotesque qui consiste à faire croire que le régime demeure démocratique, ou que les institutions, Constitution comprise, fonctionnent alors encore.

Et il faut dire enfin, que le pays largement réel, alors vomit (et) de plus en plus la classe politique dans son ensemble, et déjà, les Grecs sont bien nombreux à ne plus vouloir se rendre aux urnes (quel que soit d’ailleurs le type de scrutin). Car cautionner de la sorte le bon fonctionnement d’un gouvernement Quisling, lui offrant (en plus à nos dépens), tout ce lustre “démocratique” dont il a encore besoin, ce n’est visiblement guère possible.

La bande des politiciens chantant ‘Jetez du poison sur l’Assemblée’. Quotidien “Kathimeriní”, février 2018
“Alors, vous n’avez plus de respect, c’est le Premier ministre qui s’exprime au Parlement”. Presse grecque, février 2018
Mur à Athènes, années de crise 2010-2018.
Exercice des élèves de l’École des Sous-officiers basée à Trikala, Février 2018, Internet grec

Au même moment, c’est à travers l’Internet grec, d’abord local et par la suite plus ample, que les instantanées issus de l’entraînement annuel et hivernal des aspirants Sous-officiers à l’École militaire homonyme établie à Trikala (Thessalie), ont été largement et si positivement accueils par la presse ; l’entraînement a lieu chaque année dans les imposantes montagnes enneigées de la Thessalie occidentale,  .

On y découvre ainsi (propagande ou pas), ces images plutôt parlantes, comme on y découvre également par la même occasion, la cérémonie de la bénédiction officielle des troupes de l’École des Sous-officiers de Trikala, faite par le Métropolite de la région . Une situation démontrant une fois de plus qu’aux yeux des Grecs (c’est-à-dire pour près du 80% des sondés à travers les enquêtes d’opinion , et cela en dépit de la propagande ambiante), les institutions auxquelles les Grecs accordent encore leur confiance, ne sont alors autres, que l’Armée (80%) et dans une moindre mesure (50%) l’Église Orthodoxe, contrairement par exemple aux partis politiques (18%).

La société grecque se lézardant, l’usurpation européiste des faits et des réalités, comme autant son l’idéologie-terminale de la postmodernité, ont d’abord et très concrètement chassé près de 700.000 Grecs de leurs foyers, les incitant et les obligeant à quitter le pays depuis 2010 (la Grèce compte près de dix millions d’habitants).

Ensuite, la guerre sociale (contre la société) sur terre brûlée de l’économie se poursuit-elle (mais alors jusqu’a quand ?), et aussitôt le carnaval (celui de la tradition) terminé, le fisc “grec” vient d’entamer une nouvelle procédure de saisie obligatoire (et en réalité confiscation, rien que par l’ampleur de la mesure), sur les biens meubles et immobiliers (coffres de banque compris), sur ce que les Grecs possèdent encore, sous prétexte de dette envers l’État. Notons que cette mesure concerne plus d’un million de personnes, autrement-dit plus du 10% de la population du pays (presse grecque de la semaine) .

Imagerie de… carnaval. Années de crise, Athènes, 2010-2018
Petit mézé grillé du Lundi-Propre en Grèce du Sud
Temps lourd, février grec

Au pays si beau et toutefois mourant, une partie de la population se voit désormais même rêver d’un (autre) régime… forcément fort. Car la situation “d’en bas” est alors telle, qu’au très hypothétique cas de figure, où une petite poignée de (prétendus ou pas) patriotes, qui plus est, militaires, irait confisquer le pouvoir, remplaçant par la force nos ultimes marionnettes du régime de la pseudo-démocratie (après huit années de dictature économique, institutionnalisée entre autres à travers le diktat d’un certain Eurogroupe d’ailleurs sans la moindre légitimité juridique), eh bien, dans une telle éventualité, les Grecs, dans un premier temps en tout cas, ne s’y opposeront peut-être guère. Postmodernité d’un entre-deux-guerres encore plus funeste alors réitéré ?

Et pendant qu’au Pirée, des Aubedoriens ont assailli dimanche dernier (25 février) un lieu de rencontre appartenant au milieu anarchiste causant cinq blessés , dont l’avocate de la famille de Pavlos Fyssas (musicien assassiné par les néonazis de l’Aube Dorée en septembre 2013), le grand carnaval grec des politiciens… ne finit pas d’en finir.

Lundi soir (26/02), Rania Antonopoulou, jusque là secrétaire d’État au Travail (?), a été limogée par Tsipras, quand il est apparu qu’elle avait perçu 1000 euros par mois d’indemnité logement depuis deux ans. Il faut préciser qu’elle forme avec son mari, Dimitris Papadimitríou (établi aux États-Unis depuis plus de quarante ans) et pour sa part ministre de l’Économie depuis novembre 2016, un de ces couples de nantis néogauchisants, manifestement recherchés pour compléter les (derniers ?) “gouvernements” si opératoires (et d’opérette) de l’ère métadémocratique.

Rania Antonopoulou. (Presse grecque, février 2018)
Vieux lustres ! Athènes, 2018
Expression évidente aux premières manifestations anti-Troïka. Athènes, 2011

Tous deux universitaires en congé du “Levy Economics Institute of Bard College” (dans l’État de New York aux États-Unis), ils ont déclaré un portefeuille de quelque 2,7 millions de dollars et un revenu annuel de plus de 450.000 dollars. Alexis Tsipras se montant agacé de cette affaire, il a congédié Rania Antonopoulou, puis, dans la nuit du 26 au 27 février, il a annoncé dans un communiqué qu’il avait également “accepté la démission” de Dimitris Papadimitríou.

Vraisemblablement dans la logique du couple parachuté en Grèce (et d’ailleurs par qui réellement ?) en plein territoire administré, cette… prime au logement servant à occuper un appartement loué à Kolonáki (le quartier chic historique d’Athènes, et pendant que les intéressés possèdent une villa dans les Cyclades), s’apparente à ces indemnités reliées aux postes et aux déplacements, habituellement proposées aux cadres dirigeants des entreprises et des autres méta-structures transnationales. D’où d’ailleurs l’embarras que Rania Antonopoulou a exprimé dès le debout de cette affaire il y a deux jours, d’où encore, la non-automaticité assumée de sa démission.

Elle a certes indiqué qu’elle n’avait fait que “bénéficier d’une loi accordant une subvention pour leur loyer aux députés et aux ministres – ‘Je n’ai jamais eu l’intention d’insulter le peuple grec’”, a-t-elle assuré dans un communiqué, cette loi avait été cependant été introduite par SYRIZA/ANEL en 2015 sans trop de publicité à son sujet, histoire d’en rajouter aux privilèges de sa caste, entre politiciens marionnettes et arrivistes. Dans sa précipitation de sauver les meubles, le “gouvernement” annonce qu’il fera rapidement abroger sa propre loi, peine comme on sait totalement perdue.

Les Grecs, à en juger déjà (et) rien que par les messages que les auditeurs adressent à chaud à leurs journaux et autres médias, et notamment les radions au matin du 27 février 2018, en sont plus que tout simplement outrés: “Nous payons pour eux, nous nous paupérisons, nous mourons pour engraisser ces salopards de SYRIZA, ces politicards en plus qui haïssent ouvertement notre patrie et autant son peuple et qui besognent uniquement au bénéfice de leur poche et à celui des puissances et institutions étrangères comme la Troïka” (Radio 90.1 FM, zone matinale, émission de Yórgos Choudalakis, 27/02, cité de mémoire). Image ainsi plutôt trouble de notre ultime monde, sauf que comme le hurlent encore certains et en plein carnaval: “Nous sommes encore vivants”.

Symboles. Athènes, 2018
Réserves alimentaires. Athènes, 2018
Regard. Athènes, 2018

Lorsqu’une journaliste (Radio 90.1 FM, zone matinale, émission de Yórgos Choudalakis, 27/02), a évoqué en direct le remaniement gouvernemental en gestation, ainsi que les noms probables des ministrables qui circulent, un auditeur a aussitôt réagi formulant toute sa colère à travers son message lu en direct: “Nous en avons assez de tout cela, ces noms et les ministres ne font plus parte de notre vie, de tout ce que nous endurons, de tout ce dont nos mentalités et représentations sont désormais fabriquées au quotidien. Leur monde n’est plus du tout le nôtre. Arrêtez d’en parler, basta !”.

Temps carnavalesques, temps lourds, temps supposés morts. Mon ami Th. va de mal en pis, sans travail depuis des années et sans espoir d’en trouver car le travail n’existera plus, ou sinon, à travers la généralisation fulgurante des salaires de 327€ par mois pour déjà les 636.000 employés (sur deux millions que compte le pays) en temps (théoriquement partiel), d’après les chiffres officiels , le tout, sous le ministère du Travail de Rania Antonopoulou entre autres.

Les Grecs s’occupent et s’occuperont davantage de leurs affaires, celles autant de la juste survie (sauf pour le 30% de la population, et encore), ils cultiveront leur jardin des réalités et des autres curiosités parfois carnavalesques, et peut-être qu’ils attendront encore un temps leur (supposé ?) moment venu… sous le regard bien curieux des animaux adespotes et si fiers de l’être. En attendant, ils finissent même par constituer (parfois) leurs pauvres réserves de base (surtout de base), en cas d’effondrement interne, et/ou sinon, déclenché par les tératogenèses géopolitiques en cours dans la région. Et dans une telle probabilité, c’est évident, les “gouvernants” actuels seront littéralement chassés d’une façon ou d’une autre.

Lundi dit Pur déjà passé, et le carnaval même célébré, le pays attend désormais Pâques et peut-être même la résurrection… nécessairement accompagnée de la crucifixion de la classe politique.

Neige au nord du pays, pluies au sud, nous garderons ce sourire qui en dit long… sourire aussi devant Mimi (elle dort souvent, bien plus souvent que le jeune Hermès), animaux comme on sait attitrés de ‘Greek Crisis’ carnaval ou pas d’ailleurs !

Mimi de ‘Greek Crisis’. Athènes, 2018

* Photo de couverture: Carnaval en Grèce (années de crise)

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