Les découvertes (inventions) mathématiques des mathématiciens amateurs

Une discussion a lieu en ce moment au sein du petit groupe (auquel j’appartiens) que constituent les chercheurs attachés à la chaire Éthique et transhumanisme à l’Université catholique de Lille, à propos du fait que le transhumaniste Aubrey de Grey vient de faire une découverte mathématique très intéressante et très importante.

Wired : An Anti-Aging Pundit Solves a Decades-Old Math Problem

Il a été question de de Grey à plusieurs reprises ici. En deux mots, il s’est rendu célèbre en s’adressant à un auditoire par la formule suivante : « Il y a, ici aujourd’hui, dans la salle quelqu’un qui vivra mille ans ! » (formule que le docteur Laurent Alexandre a rendu familière dans le monde francophone). Voici le courrier que j’ai adressé ce matin à mes collègues :

« The Guardian consacre aujourd’hui un autre article à la découverte de de Grey :

60-year-old maths problem partly solved by amateur

Je retiens cette phrase : “It is not often that an amateur mathematician solves a famous problem, and even less often that the amateur mathematician is well known to the general public for a completely different reason”.

Mais la chose me paraît plus courante qu’il n’est suggéré, simplement parce que les « amateurs » cherchent en général à résoudre des problèmes liés à leur pratique et ne trouvent pas toujours l’outil mathématique dont ils ont besoin. Je donne un exemple lié à ma propre expérience.

Au tout début des années 1980, alors que j’enseigne à Cambridge et que je tente avec mon mentor, Sir Edmund Leach, de résoudre des problèmes de règles de mariage complexes, je mets au point avec l’aide d’une jeune mathématicienne, Elaine Lally, un algorithme afin que soient découvertes de manière automatisée pour chaque mariage toutes les relations de parenté préexistantes entre les mariés.

Pour pouvoir le faire, il faut abandonner la représentation classique d’un arbre généalogique où les individus sont des points (sommets d’un graphe) et les relations de filiation sont des lignes (arcs d’un graphe) reliant les individus à leurs descendants : il faut représenter chaque individu comme une ligne reliant le point que constitue le mariage de ses parents au(x) mariage(s) qu’il a contractés (un individu apparaît donc comme plusieurs arcs s’il a contracté plusieurs mariages).

Ce type de transposition d’un graphe en un autre par inversion des sommets et des arcs est connue en mathématiques : on parle d’obtenir le dual â€‹d’un graphe. Mais il existe plusieurs manières de la faire. Or quand Lally et moi mettons au point en 1983 notre algorithme, nous découvrons que le dual qu’il nous faut n’existe pas, je veux dire n’est pas connu des mathématiciens. Il faut en inventer un nouveau. C’est une autre mathématicienne, Gisèle De Meur, qui formalisera ce  P-Dual (« P » pour « Paul »).

Representing and Computing Kinship: A New Approach, Douglas R. White & Paul Jorion

Plus tard, à la fin des années 1980, j’utiliserai le même P-Dual dans mon projet ANELLA (Associative Network with Emergent Logical and Learning Abilities) chez British Telecom dans le cadre de leur labo d’Intelligence Artificielle (CONNEX) : dans les graphes sémantiques, on attachait (on attache toujours !) les mots à des points et on représentait (on représente toujours !) les relations entre les mots par des arcs les reliant. J’ai inversé la représentation : toute relation entre mots est représentée par un point (sommet), tandis que les mots sont des lignes (arcs) reliant les points représentant les relations dans lesquelles ils sont avec d’autres (chaque mot est donc représenté  par une multitude d’arcs, mais tous ces arcs sont reliés entre eux = constituent un sous-graphe connexe).

An alternative neural network representation for conceptual knowledge, Paul Jorion

Paul »

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