Un Brexit en forme de non-Brexit, le 9 juillet 2018 – Retranscription

Retranscription de Un Brexit en forme de non-Brexit, le 9 juillet 2018. Merci à Marianne Oppitz !

Bonjour, nous sommes le lundi 9 juillet 2018 et vous le savez sans doute, ma réputation aux yeux du public est liée à un livre assez épais – 250 à 300 pages, je ne sais plus [254 pages] – consacré à prévoir une crise du capitalisme qui serait due à un secteur relativement mineur dans l’économie américaine qui est le secteur des titres subprimes . Mon manuscrit – ça a été répété partout, mais c’est vrai – était prêt en 2006, non pardon en 2005, écrit en 2004-2005 et a trouvé un éditeur : La Découverte, au mois de janvier 2007. Il a paru au mois de janvier 2007. La crise, à proprement parler, a débuté le mois suivant, au mois de février et le grand écroulement a eu lieu un peu plus d’un an plus tard en septembre 2008.

Alors, à la suite de cela, on m’a souvent demandé : « Qu’est-ce qui va se passer maintenant ? », « Quelle autre prophétie pouvez-vous produire ? », « Est-ce que ceci va avoir lieu ? », « Est-ce qu’il y aura une crise la semaine prochaine ? » et ainsi de suite. Et, je me suis toujours abstenu – prudemment – en disant : « Autant il est clair qu’il y avait une ligne de causalité entre les subprimes et une crise majeure, autant dans la quasi totalité des cas, je ne vois pas, moi personnellement, ce genre de nervures à l’intérieur du système ». Sauf, que j’ai quand même fait, depuis deux prévisions.

En 2009, au moment du lancement de ce qu’on appelle le quantitative easing, c’est-à-dire l’injection massive de monnaie supplémentaire par la Federal Reserve, la Banque Centrale américaine, j’ai dit qu’il ne serait pas possible – dans le nouveau contexte – de retirer jamais cet argent. Pour des raisons de mécanismes assez compliqués mais qui sont liés aux taux d’intérêt, des choses de cet ordre là : au fait qu’on n’augmentait pas les salaires, par ailleurs, mais qu’on relançait le crédit. Et que cette incapacité à retirer l’argent qui avait été injecté, conduirait – à terme – à une crise majeure du capitalisme tout entier pouvant conduire à sa disparition à terme.

Alors, une prévision comme celle-là, bien sûr, avant qu’on ne prouve qu’il ne sera jamais possible de retirer tout l’argent, eh bien, il faudra, voilà, plusieurs dizaines d’années parce que ça ne se vérifie pas tout de suite et, si ce système capitaliste est encore, je dirais, bien vivace, il est atteint à plusieurs endroits. Il est fragile, il est fragilisé à de multiples endroits et de grandes crises – comme celle de 2008 – ne sont pas impossibles et peuvent être, éventuellement, encore plus graves que celle que nous avons eue à ce moment là, qui était déjà extrêmement sérieuse, comme vous le savez.

J’ai fait une troisième prévision, une troisième prévision. C’est, au moment du referendum en Grande-Bretagne, au Royaume-Uni, a obtenu une majorité pour la sortie de l’Union Européenne, j’ai dit immédiatement : « Ça ne se fera pas ». Quand on me dit : « Oui, mais regardez, il y a des étapes qui sont franchies, etc. », je dis : « Dans le meilleur des cas, on appellera ‘Brexit’ pour le public, une absence totale en réalité de ce qui avait été prévu. On aura simplement, repeint de neuf, la façade. La Grande-Bretagne, le Royaume-Uni, sera toujours – de fait – à l’intérieur de l’Union Européenne et, ce sera simplement pour ne pas indisposer le peuple qui, déjà irrité par le fait que – par exemple, à propos du Traité de Maastricht – on le fait voter et quand il vote on ignore le résultat de son vote, de ses suffrages. J’ai dit : « Au mieux, les partisans du Brexit peuvent obtenir qu’on leur dise : « Il a eu lieu » alors que ce n’est pas le cas ». Il est même possible que la décision soit renversée.

Alors, pourquoi je vous parle de ça, ce matin ? Eh bien, bien entendu, non pas parce que ma prévision est démentie mais parce qu’il y a de nouveaux épisodes qui viennent confirmer ma prévision donc, d’il y a deux ans. Qu’est-ce qui s’est passé ? Il s’est passé que le 6 – c’est quoi ? c’est il y a 3 jours, juste avant le week-end – Mme Theresa May, Premier ministre britannique, a proposé un nouveau plan de négociation du Brexit appelé « Soft Brexit » – un Brexit doux – qui équivaut à une « non-sortie » de l’Union Européenne, qui équivaut à un « non-Brexit ». Pas tout à fait dans les termes qui sont formulés parce qu’il y a des menaces de dire : « Oui, si ça se passe pas bien, on retire nos billes », « La souveraineté de l’Union européenne s’arrêtera à tel endroit et on peut négocier encore », etc …

En fait, tel que c’est, c’est à deux doigts d’être un non-Brexit. On a l’impression qu’on se laisse encore une petit peu de marge de manœuvre pour manœuvrer encore un tout petit peu, et que, dès qu’il y aura quelques concessions à faire vis-à-vis de l’Union européenne, il y aura un « non-Brexit » de fait. Et, pire que ça, pour la Grande-Bretagne, pour le Royaume-Uni, on se trouvera dans une situation – alors que dans l’esprit de ceux qui l’avaient proposé, des partisans du Brexit, on voulait garder tous les avantages de l’Union Européenne en se débarrassant des inconvénients – les Britanniques risquent, maintenant, de se retrouver uniquement avec les inconvénients, sans les avantages. C’est la solution évidemment, je dirais, la plus proche du Brexit. Évidemment, c’est la pire pour le pays.

Alors, vous le savez, il y a déjà eu des manifestations, les gens veulent un deuxième referendum, etc. Mme May avait le sentiment d’avoir pu faire passer quelque chose, voilà ! qui avait encore – je dirais – un peu l’apparence extérieure d’un Brexit vendredi. Mais, catastrophe ! Catastrophe, ce matin, son ministre en charge du Brexit, Monsieur David Davis, a démissionné en disant : « Non, je ne peux pas, moi, cautionner cela comment étant véritablement un Brexit, je préfère me retirer. » Il dit gentiment que Mme Theresa May n’est pas un mauvais ministre, qu’il ne souhaite pas sa démission. Certains de ses amis vont plus loin en disant : « Voilà, on a essayé de nous vendre un non-Brexit comme étant un Brexit. Il faut que Mme May démissionne puisque le peuple a voté – Je vous rappelle que c’est par 52 % contre 48 % – a voté la sortie de l’Union européenne.

Alors, les choses vont se précipiter. Il y a déjà un sous-secrétaire, dans la lignée de M. David Davis, qui a aussi démissionné. Il n’est pas impossible que d’autres ministres – qui sont des partisans d’un véritable Brexit, d’un Brexit dur – ruent dans les brancards, démissionnent. Ça pourrait être le cas pour M. Boris Johnson, le Ministre des affaires étrangères, un partisan dur du Brexit, mais ce serait véritablement une défaite pour lui. Il vaudrait mieux – si j’étais lui – essayer d’agir dans les coulisses pour essayer d’obtenir la démission de Mme May.

Ceci dit, dans le pays, et là, je vous ai donné des chiffres l’autre jour, c’était dans ma chronique – si j’ai bon souvenir – dans Le Monde. Je vous donnais les chiffres qui montrent que l’opinion a évolué. L’opinion est beaucoup moins en faveur du Brexit, en ce moment, qu’elle ne l’était au moment du vote, en 2016. Tous les inconvénients apparaissent en surface. On avait parlé d’un chiffre de l’ordre de 400 millions d’euros que la Grande-Bretagne, le Royaume-Uni, pouvait épargner par semaine en quittant l’Union européenne. Les calculs montrent maintenant que le chiffre de 400 millions était correct, mais c’était dans l’autre sens : c’est cet argent là qui serait perdu alors qu’il avait été promis que cet argent récupéré servirait à booster, à redonner un peu de vie au Système national de santé.

Si vous vous souvenez de mes pronostics, au départ, j’avais dit que la frontière entre les deux Irlandes était un casse-tête insoluble et que tout allait tourner autour de là. Et que, sans doute, le non-Brexit serait dû à l’impossibilité de revenir en arrière de ce côté là. Parce que les deux possibilités étaient de soit : introduire une vraie frontière à l’intérieur de l’Irlande, entre la partie Nord – qui appartient traditionnellement à la Grande Bretagne, depuis longtemps – plusieurs comtés d’Ulster, l’ancien Ulster, et la République d’Irlande au Sud, [soit séparer l’île entière de la Grande-Bretagne].

Dans l’article du « Monde », je vous rappelais aussi que la situation économique avait changé. Que l’Irlande du Sud, au moment des accords en 1998, était beaucoup plus pauvre que le Nord. Maintenant la situation s’est inversée. Le Nord était beaucoup plus progressiste aussi, dans la mesure où il permettait l’avortement. La chose a basculé puisque l’avortement est autorisé en Irlande du Sud et, non seulement ça, mais le mariage pour tous l’est, désormais. La question de l’Irlande était insoluble et qu’est-ce qu’on voit, d’ailleurs, pour confirmer ce que je viens de dire là ? C’est le fait que dans la proposition faite, vendredi, par Mme May, tout est articulé en réalité – si vous regardez bien sur ce qui est écrit – autour du fait qu’on ne peut pas toucher à la situation en Irlande, en ce moment. Et que tout doit être fait – dans un sens ou dans un autre – pour maintenir le statu quo de ce côté là.

C’est-à-dire qu’en fait, j’allais dire que j’avais vu juste (rires) ! Effectivement, effectivement, toutes les provisions, toutes les mesures, toutes les réserves qui sont faites, sont là pour maintenir le statu quo de la situation actuelle qu’on ne peut effectivement pas changer, sans remettre en question la situation présente. C’est-à-dire, en fait, de remettre effectivement, des situations de guerre civile en place, ce qui serait – et là, tout le monde est d’accord – désastreux, vu le carnage que la guerre civile en Irlande du Nord, a provoqué au fil des années. Sans parler de la guerre d’indépendance de l’Irlande du Sud précédemment.

Alors, voilà où on en est. J’aurais pu me dire : « Je vais faire ma vidéo en fin d’après-midi, parce qu’il se passera sans doute encore des choses dans l’après-midi ». Il devait y avoir, de toute manière, une réunion du cabinet ministériel de Mme May en Grande-Bretagne mais les conditions ont changé tout à fait, puisqu’elle doit, d’abord, remplacer son ministre en charge du Brexit. Il y a un candidat sérieux, c’est M. Oliver Robbins qui de fait a joué le rôle – du côté du non-Brexit, je dirais ou du Brexit totalement mou que Mme May était en train de mettre en place – à la place d’ailleurs de ce M. David Davis dont le Financial Times dit qu’il n’a rencontré M. Barnier, du côté européen, que 4 heures sur toute l’année 2018. Alors, que Monsieur Olly Robbins en a passé bien davantage.

Alors, vers quoi va-t-on ? Les pro-Brexit pourraient essayer de faire un coup d’état – je dirais – en surface ou en profondeur, dans les coulisses. C’est certain, ils ne vont pas vouloir en démordre et ils ont, derrière eux, le vote populaire du referendum qui parlait effectivement d’un Brexit. La solution de Mme May, c’est bien sûr la solution à la fois du bon sens et, cette fois-ci, ça coïncide avec celle des marchés (rires) puisqu’il s’agit simplement – dans ce cas-ci – de maintenir un équilibre économique : éviter l’hémorragie qui se prépare. Ce ne sont pas simplement des banques qui sont en train de fuir la City et de s’installer à Paris – ce qui n’est pas mauvais pour la France. Ce ne sont pas seulement les 800.000 emplois, probablement perdus, qu’un syndicat patronal a calculés : des catastrophes, de véritables catastrophes économiques ! Déjà, il y a une perte de 2,1 % du volume de l’économie britannique depuis que le vote a été accordé.

Donc, Mme May représente en fait la solution du bon sens. Ce qui ne veut pas dire que les critiques venant du Labour – du parti « socialiste » entre guillemets de Grande-Bretagne avec, à sa tête, M. Jeremy Corbyn – ne va pas essayer de mettre de l’huile sur le feu en parlant de démission du gouvernement, etc. Ce n’est pas l’intérêt de M. Corbyn parce que M. Corbyn, il faut bien le dire, il a une position… il est assis véritablement entre deux chaises, sur cette question du Brexit. Apparemment, il ne s’est toujours pas fait une opinion sur ce qu’il faudrait faire ou pas faire. Sa base, la base du Labour est de plus en plus du côté du réalisme, c’est-à-dire de s’apercevoir que l’hémorragie économique est telle qu’il ne faut pas pousser dans ce sens là. Donc, M. Corbyn, en réalité, n’a pas intérêt à ce que le gouvernement de Mme Theresa May tombe, parce qu’il n’y a pas – au sein de son parti – il n’y a pas de vision unifiée. Au contraire, je dirais que les divisions sont peut-être encore plus grandes au sein du Parti travailliste qu’au sein du Parti conservateur.

Mais, au sein du Parti conservateur, ils sont au gouvernement, donc : révolution de Palais, renversement de situation, etc. Tout ça, est en train d’avoir lieu. Mais pourquoi est-ce que je dis : « On va dans le sens de la réalisation de ma prédiction » ? C’est que quoi qu’on fasse, on se rapproche de plus en plus, de fait, dans les propositions – et la proposition du vendredi 6 juillet, comme je vous le dis, c’est à 2 doigts d’un non-Brexit – et avec la marge de manœuvre de ce qu’il faudra encore céder aux Européens pour sortir de la situation, on arrivera, en fait, à avoir reconstitué l’union douanière, à l’avoir maintenue. Que pour toutes les décisions importantes, ce sera toujours la Cour européenne qui continuera à décider de tout. Qu’on n’aura pas remis de frontière à l’intérieur de l’Irlande et que – comme je le vous disais – tout tourne un petit peu autour de cela : c’est finalement la chose qui rendait impossible un vote « oui » au Brexit, c’est la situation qui s’est mise en place en Irlande et qu’on ne pourrait remettre en question qu’en acceptant de remettre un détonateur dans un endroit qui est une poudrière. On le sait pour les horreurs de la guerre civile en Irlande du Nord, au fil des années. Si vous êtes jeune, vous ne connaissez peut-être pas ça, mais les gens de mon âge on a vu ce que c’était à l’époque. On sait ce qu’un nom comme Bobby Sands veut dire… Ça a été affreux, ça a été affreux. Voilà ! Alors, la solution de bon sens, c’est de ne pas remettre ça en place délibérément.

Je vous tiens au courant, bien entendu ! J’ai mis ma selle et mes bottes (rires) en jeu dans cette histoire. C’est une chose où, comme pour la crise des subprimes, j’ai dit : « Elle aura lieu », pour le Brexit, je dis : « Il n’aura pas lieu ». Je suis ça de près et je vous tiens informés. Allez !

Si vous voulez aller à la plage, allez-y, le temps est vraiment parfait ! À bientôt !

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