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Y mettre les moyens
Que doit-on faire pour s’en sortir ? Un premier constat s’impose d’abord : nous avons techniquement les moyens de construire une société durable en accord avec les objectifs climatiques. Dans tous les domaines, que ce soit l’énergie, le transport, le bâtiment et l’agriculture, les solutions existent. Notamment dans le domaine de l’énergie, une étude importante publiée en mars 2019 de l’université finlandaise LUT et l’Energy Watch Group (« Global Energy System Based on 100% Renewable Energy ») propose un plan complet et cohérent de passage à un système énergétique mondial entièrement fondé sur les énergies renouvelables en moins de 30 ans. Il s’agit d’un grand plan de transformation des infrastructures fondé sur le solaire et l’éolien mais aussi le déploiement d’un réseau intelligent de distribution de l’énergie. Selon les auteurs, « la transition vers un système d’énergies 100% renouvelables n’est plus une question de faisabilité technique mais de volonté politique » avant d’ajouter qu’il est « aussi meilleur marché que le système énergétique mondial actuel ».
Il s’agit simplement d’y mettre les moyens nécessaires. Selon la même étude, « pour réussir la transition vers une énergie 100% renouvelable d’ici 2050, le niveau requis d’investissements dans les énergies renouvelables serait supérieur à 67 billions d’euros [soit 67 mille milliards d’euros] », ce qui représente environ 1,7 à 1,9 billion d’euros par an au niveau mondial, des ordres de grandeur confirmés par le rapport du PNUE. Mais les auteurs ajoutent que ces « investissements […] sont largement compensés par les économies réalisées par rapport au maintien du système actuel et à la réduction de la pollution atmosphérique, à l’amélioration de la santé et à l’atténuation des dommages environnementaux, ce qui représenterait au total un bénéfice annuel de 6 billions de dollars selon l’Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA) ». Relativement, ces investissements nécessaires dans l’énergie représentent environ 2,3% du PIB mondial, ce qui ne semble pas insurmontable de ce point de vue. Et pourtant, nous sommes loin du compte.
L’insuffisance de la réponse libérale
Une petite musique bien connue est d’affirmer que « les caisses de l’État sont vides », qu’il n’a pas les moyens de faire les efforts pour assurer la transition écologique mais qu’en revanche avec quelques taxes, et un système de marchés carbone bien pensé, il pourrait inciter les agents économiques privés à agir dans le bon sens. Il en résulterait le fameux « double dividende » de la taxation écologique qui permet, à la fois, à l’État d’engranger des ressources financières, mais aussi de modifier les comportements des agents et les inciter à innover.
Or, l’échec de ces politiques est cuisant. Dans son Traité d’économie hérétique (2019), au sujet de la taxe carbone, Thomas Porcher note que le signal-prix (l’expression trompeuse utilisée par les économistes ultralibéraux) « a des effets limités ». Le cas du pétrole est particulièrement parlant :
« Son prix a été multiplié par cinq entre 2002 et 2014. En théorie, une telle augmentation aurait dû entraîner un changement radical dans la fabrication de véhicules et dans les formes de mobilité. Des changements ont été visibles dans le comportement des Français, certains ont privilégié les transports collectifs à l’utilisation de la voiture – lorsqu’il y avait une offre de transports en commun le permettant – ou ont choisi des plus petites motorisations lorsqu’ils changeaient de véhicule. Mais dans l’ensemble, les élasticités prix et prix-croisé n’ont que partiellement fonctionné car le pétrole dans son usage est un bien difficilement substituable. En clair, quel que soit le prix du carburant, un individu vivant loin de son lieu de travail et ne disposant pas d’une offre de transports doit utiliser sa voiture. Dans ces conditions, prôner une augmentation du prix en espérant diminuer la consommation ne peut avoir qu’un impact limité. » (Traité d’économique hérétique, 2019, Thomas Porcher)
Pour ce qui est du marché carbone au niveau européen, le projet était certes intéressant, mais les quotas d’émissions ont été largement sur-alloués sous l’influence des lobbys pour ne pas « nuire à la compétitivité des entreprises européennes » par rapport au reste du monde. Ce système n’invite pas à des changements structurels comme il le faudrait.
De plus, le discours optimiste du néolibéralisme prétend que la « main invisible » du marché va d’elle-même pousser les agents économiques à changer de comportements en présentant la transition énergétique comme une « opportunité commerciale ». Par exemple, le secteur financier aujourd’hui raffole des projets d’investissement dans les énergies renouvelables. Ils ont en effet remarqué que l’éolien et le solaire étaient maintenant moins chers au mégawattheure que le nucléaire ou les énergies fossiles et que c’est donc l’avenir du secteur énergétique. C’est très bien qu’ils s’y intéressent, mais le problème est que les énergies renouvelables demeurent une source d’énergie qui ne fait que s’empiler aux autres sources d’énergies telles que le fossile et le nucléaire. Au lieu de remplacer les sources d’énergies traditionnelles, les énergies renouvelables deviennent une excuse supplémentaire pour augmenter d’autant plus la consommation mondiale.
L’objectif n’est plus simplement d’innover et de produire plus, même si ce sont de beaux projets d’énergies vertes : aucune transition énergétique n’est viable sans sobriété et cette réalité est fondamentalement opposée à la logique néolibérale du « toujours plus ».
Même dans les discours libéraux où le point de vue écologique apparaît, demeure toujours cette idée qu’il existe des solutions technologiques pour continuer exactement comme avant sans la nécessité de faire de compromis avec son confort matériel actuel. Un exemple parlant est celui du mythe de la voiture électrique comme substitut parfait à la voiture à essence. Le voiture électrique est présentée comme tout à fait vertueuse en termes de bilan carbone par les constructeurs automobiles, qui ont tout intérêt à cela pour pouvoir continuer à vendre des voitures à l’avenir. Mais, selon l’Agence international de l’énergie, dans de nombreux pays, la production d’électricité est fortement carbonée, donc la voiture électrique peut émettre indirectement tout autant de carbone en réalité qu’une voiture à essence en produit directement. Pire, aux États-Unis ou en Chine, de par leur mix énergétique, une voiture électrique émet plus de carbone au kilomètre parcouru qu’une voiture à essence ! Mais encore, même si la production d’électricité est faiblement carbonée, la production d’une voiture électrique a un impact écologique sensiblement plus élevée qu’une voiture traditionnelle à cause de la production de la batterie électrique à l’empreinte carbone catastrophique.
Une transition écologique à la hauteur des enjeux, exige une transformation radicale de nos sociétés et de nos habitudes. Pour ce qui est de l’exemple du transport, le modèle de la voiture individuelle, qu’elle soit traditionnelle ou électrique n’est pas une réponse durable. Les solutions viables se trouvent plutôt dans le partage des moyens de transport que ce soit, plus classiquement, les transports en commun pour tous ou dans de nouvelles formes de partages des véhicules. Pour ne citer qu’un exemple, toute une réflexion se développe autour des opportunités du véhicule autonome et d’un système de partage massif ce qui permettrait de les utiliser jusqu’à dix fois plus que les véhicules privés : les besoins en production de véhicules seraient alors considérablement réduits (James Arbib et Tony Seba, Rethinking Transportation 2020-2030, mai 2017).
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