Sortir du fatalisme et renouer avec l’optimisme, par Vincent Burnand-Galpin

Ouvert aux commentaires.

Dans Le dernier qui s’en va éteint la lumière (Paul Jorion, 2016), Paul envisageait déjà la possibilité de devoir faire le deuil du genre humain. Paul écrivait alors en conclusion :

J’aurai peu de lecteurs, j’en suis conscient, parmi ceux qui choisissent les deux premières options susmentionnées : considérer que l’extinction prochaine du genre humain est un mirage ; la considérer comme vraisemblable, mais s’en moquer. Mes lecteurs auront adopté l’une des deux autres attitudes possibles : considérer que l’extinction menace, mais qu’une riposte reste possible ; considérer qu’il n’y a au contraire plus rien à faire, sinon son deuil de l’espèce. Et, s’ils sont comme moi, les représentants des deux catégories oscillent selon les nouvelles qui tombent, et l’humeur du moment, entre l’une et l’autre (Jorion 2016 : 265).

Quatre ans ont passé depuis. Mais aujourd’hui, l’heure n’est plus à se poser la question de savoir si, oui ou non, il est encore temps d’agir, s’il n’est pas déjà trop tard. Les tergiversations sont, quoi qu’il en soit, mortifères. La désespérance sert de fausse excuse à l’inaction. Nous ne prônons pas la méthode Coué, nous croyons simplement au pouvoir galvanisant de la détermination sans faille.

Dans Le Mal qui vient (2018), le philosophe Pierre-Henri Castel propose une expérience mentale : si la fin de l’humanité était pour bientôt, et que chacun en était pleinement conscient, que ferions-nous ? Sa conclusion est implacable : « jouir en hâte de tout détruire [deviendrait] non seulement de plus en plus tentant (que [resterait]-il d’autre si tout est perdu ?), mais même de plus en plus raisonnable ».

Alors, ne nous morfondons pas davantage dans la mélancolie ! Ne nous complaisons pas dans les infinies nuances de gris de la désespérance ! Rions au nez de la prétendue solastalgie : « La solastalgie ou éco-anxiété est une forme de souffrance et détresse psychique ou existentielle causée par exemple par les changements environnementaux actuels et attendus, en particulier concernant le réchauffement climatique et la biodiversité ». Notre société a le chic de qualifier de malade mental quiconque rejette ses diktats mortifères mais, Non ! la lucidité devant la menace d’extinction n’est pas une nouvelle maladie mentale  ! 

Renouons avec ce réalisme, cette lucidité (il n’est pas question d’optimisme béat !) qui nous ont soutenus jusqu’ici dans les péripéties de notre espèce menacée à son aurore par les bêtes sauvages et les éléments hostiles. Au lieu de basculer dans le statut de zombis : de morts-vivants ossifiés, fossilisés, fuyons les chemins qui ne nous mèneront nulle part, sinon sur des voies de garage.  

À l’homme ou la femme accablés par la mélancolie, tout défi paraît insurmontable. À la femme ou l’homme clairvoyants, rien au contraire n’est impossible. Et le même principe vaut pour une nation ou pour l’espèce humaine dans leur ensemble.

Plus de deux ans après le début de la Seconde Guerre mondiale, au moment de l’attaque de Pearl Harbor, les Américains se sont-ils demandés s’il était trop tard pour entrer dans le conflit ? En 1939, leur production d’avions de guerre (2.141 pour l’année) était quatre fois plus faible que celle des Allemands à la même époque. Cinq ans plus tard, ils ont multiplié leur production annuelle par un facteur de 45 ! Ils produisaient ainsi presque trois fois plus d’avions que les allemands au même moment.

Et puis, aujourd’hui, il serait donc « trop tard » ? Mais « trop tard » par rapport à quoi ? Par rapport à un âge d’or fantasmé ? Par rapport à l’âge de pierre ? Par rapport à hier ? Par rapport à demain ou encore à 2050 ? Il n’est jamais trop tard pour essayer de sauver ce qui est toujours là. Il n’est jamais trop tard pour atteindre ses objectifs.

Nous devrions troquer le cynisme ambiant contre l’optimisme du début du XXe siècle. Cet esprit « Troisième République » croyait naïvement au « progrès infini » grâce à la science et à la paix perpétuelle entre peuples. Ne nous serait-il pas un tant soit peu utile aujourd’hui ? Ne pourrions-nous pas trouver un peu d’inspiration dans les envolées lyriques de certaines de ses figures de l’époque ? Par exemple, Albert Bayet, normalien, professeur de sociologie, mais surtout laïc convaincu, qui cherchait à définir une morale universelle dépassant celle des religions. Il s’agissait pour lui d’unir les peuples autour de valeurs communes. Il écrivait alors, en conclusion de son ouvrage de 1926, sa tirade restée d’actualité, intitulée « Croyez ! » :

Le mot, hier encore, n’était employé que par les Églises parlant aux fidèles. Mais, au-dessus des croyances qui divisent les hommes, il en faut une autre qui les unisse.

Seule une grande foi humaine conduira les peuples réconciliés vers une destinée meilleure.

Croyez donc ! Mais que votre foi, fille de la raison et de l’amour, vous pousse à comprendre toujours et à ne jamais haïr.

Croyez qu’il dépend de nous de concevoir un idéal moral toujours plus haut, toujours plus pur, et de le réaliser.

Croyez que, par la science librement développée, l’homme fera, de siècle en siècle, reculer indéfiniment le mystère qui l’enveloppe.

Croyez que, s’il met la science au service de la justice, il fera, l’un après l’autre, disparaître de la terre les souillures morales qui la déshonorent.

Croyez que, s’il met la science au service de l’amour, il fera peu à peu régner ici-bas cet âge d’or que la croyance antique plaçait à l’aube de notre histoire et qui doit être, au contraire, le fruit de notre long effort.

Croyez qu’en un monde plus sage, plus juste et plus doux, notre idée de la Beauté se fera, elle aussi, plus pure.

Croyez que le plus humble effort du plus humble d’entre nous pour hâter la venue de cet idéal ne peut pas être perdu, ne peut pas demeurer stérile.

Croyez !

(Bayet 1926 : 369 – 371)

Chercher une vision commune de l’avenir, alors que nos croyances individuelles n’ont jamais été aussi diversifiées, est l’urgence de notre époque. Il s’agit aussi d’inverser l’échelle de valeurs : ne mettons pas la valeur économique au centre de l’édifice, mais plutôt les valeurs d’« amour », de « justice » et de « Beauté » pour ne citer qu’elles. Enfin, il s’agit de croire en un monde meilleur, un monde réalisé uniquement grâce à l’effort de tous, et de ne plus regretter un prétendu « âge d’or » passé.

Nous ne sommes pas pour une confiance béate en l’avenir, mais pour un optimisme éclairé. Il ne s’agit pas de se mentir quant aux risques actuels, ou de se demander s’il est bon ou mauvais de se faire peur. La question de la peur se pose simplement comme une réponse possible ou non à la situation dans laquelle nous sommes.

Nous défendons à la place l’approche des Lumières, à savoir la représentation la plus lucide possible du monde tel qu’il est, tâche à laquelle la recherche scientifique contribue. C’est uniquement dans ce cadre-là que cette représentation lucide conduit à la peur ou non. Elle est pour un anthropologue une réaction comme une autre à une situation. C’est une réaction en général positive au sens où elle nous pousse à échapper au danger. Dans la peur est inscrit l’espoir de s’en sortir. Une description objective du monde tel qu’il est, ouvre la voie sur la solution. Nous saurons alors agir en conséquence pour sauver l’espèce.

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10 réponses à “Sortir du fatalisme et renouer avec l’optimisme, par Vincent Burnand-Galpin”

  1. Avatar de Jeanson Thomas
    Jeanson Thomas

    De mon côté j’ai banni le verbe croire, au sinistre bilan.

    Croire, en Dieu, ou en la science, c’est laisser le chèque en blanc, de ce qui sera fait en leurs noms.

    Avant de faire un pas, de se lancer, avoir posé les principes qui garantissent que ce travail, cette énergie ira bien là où elle doit. ( Amour, beauté , justice et compagnie )

    La confiance est un préalable qui me parle bien plus que la croyance.

  2. Avatar de arkao

    Petite coquille sur le nom de l’auteur. Il ne s’agit pas de Vincent Birnand-Galpin mais de Burnand-Galopin 🙂

    1. Avatar de Decoret Lucas
      Decoret Lucas

      😀

  3. Avatar de Hervey

    La prise de conscience d’une remise en cause de notre mode de vie bien que nécessaire n’est pas chose suffisante. Il convient d’organiser des enchaines d’actions coordonnées sur de multiples sujets de sociétés ce qui nécessite une re-fondation du droit dans de nombreux domaines. Là, je pense que les alliés les plus efficaces et les plus redoutés pour faire dans l’urgence basculer vers des prises de décisions efficaces seront les catastrophes elles-mêmes. C’est d’ailleurs ce que l’on voit au fil du temps, au fur et à mesure qu’elles apparaissent.
    Un autre grand soucis, le prix des places dans les canaux de sauvetage.
    Si la mise en place des politiques sociales ont un sens au regard de la prévoyance et d’un futur proche, la dégradation de notre modèle Etat Providence (santé, aides sociales, durcissement des conditions au travail) et l’ouverture au privé indiquent clairement l’enjeu et le projet ficelé pour affronter la crise environnementale : ce sera chacun pour soi.
    C’est le contexte !

  4. Avatar de naroic
    naroic

    Toute la difficulté n’est pas dans la levée de la determination , mais dans l’étendue du « nous » à convoquer.
    Beaucoup du mal être de notre monde occidental provient conséquement de la perte du nous, du sentiment d’appartenance dissout dans la concurrence que l’on se livre tous pour l’accès à la reconnaissance.
    Les liens qui ont longtemps noués les individus les uns aux autres – la famille – le village et son économie de subsistance – la tradition cultuelle/culturelle – l’histoire commune à travers ses affres et ses fortunes – la territorialité – se sont desséres dans l’élargissement du champs d’investigation de la volition humaine – on peut recomposer sa famille – le village devient villégiature – la tradition folklore – et l’histoire – sans cesse actualisée – ne convoque plus que repentance ou nostalgie désincarnée – quant au territoire – la planète est devenue notre foyer.
    Alors le défi est là, le plus grand, lever une conscience mondiale qui surmonterait tout ce qui nous sépare aujourd’hui et celui-la ne sera possible qu’en échange d’une promesse à ceux qui se rallieront d’un avenir meilleur.
    Aussi le combat de la sauvegarde de notre milieu doit aller de pair avec un combat pour la justice sociale, un programme politique doit accompagner le programme économique censé adapter notre comportement à l’enjeu climatique.
    L’optimisme ne se décrète pas, il ne se lèvera pas sous la seule volonté, il lui faut un horizon et la sauvegarde n’est pas suffisante pour une grande majorité qui éxigera au moins d’approcher ce que beaucoup d’entre nous – occidantalisés – avons déjà goutés.

    1. Avatar de timiota
      timiota

      Il est intéressant que dans pas mal de cas, l’action cohérente ne nécessite pas un horizon ou un promesse explicite. C’est le cas de secteurs industriels que j’appelle « vertueux » à leur façon (modulo plein de conditions aux limites) : ils sont vertueux en ce sens qu’ils sont arrivés à contraindre la technique pour des besoins précis et qu’on reconnaitre aisément comme utiles, en maitrisant assez bien la dépense énergétique (% au service rendu) et en évitant les dérives des N autres secteurs industriels qui déconnents + ou – grave (Mediator & opioïdes, Dieselgate, énergies fossiles, GAFAM) : l’aéronautique civile et l’industrie des semi-conducteurs (le hardware le plus pur : les fabs+ le design).

      En gros, les gens dans ces industries bossent « spontanément » (ou sans besoin d’une « promesse ») vers un optimum, accidentologie presque nulle en aviation (le 737 Max le montre à sa façon, la moitié des français n’ont pas encore entendu parle des 400 000 morts pourtant ricains des opioïdes, mais de 2 crash à ~400 tués en tout, soit mille fois moins, oui sans doute). Et circuits fiables à un point dont on ne se rend même pas compte dans nos smartphone et autres. Seul le (micro)soft lié à GAFAM les plantes, les linuxiens ont fait un choix de puriste pour y échapper.

      Tout ça pour dire qu’il existe des « savoirs partagés/partageables », peut-être lié à une dépense énergétique fossile incompressible mais ce n’est pas prouvé (l’aviation électrique démarre…), aux seins desquels un optimum de qualité de fonctionnement est atteint (même dans la bétaillère Ryan Air).
      Si on pouvait cloner cette logique sur bien d’autres choses (l’habitat, la santé, les transports de surface), on n’aurait pas tout résolu (agriculture, biodiversité, fin du tourisme pour un autre horizon, là oui, je suis d’accord qu’il faut un « autre chose », mais sur 5% du temps, résolvons aussi les 95% du temps « ordinaire »), ce serait bien.

  5. Avatar de PASQUET Régis
    PASQUET Régis

    Vincent, je me pose ces questions :

    – 1 – Les avions américains ont servi à détruire des territoires ennemis et des territoires  »Alliés » offrant ainsi la possibilité de reconstruire et de dynamiser de nombreuses économies.

    Que faudrait-il massivement détruire désormais pour réorienter l’espèce humaine ?

    -2- :  » En 1939, leur production d’avions de guerre (2.141 pour l’année) était quatre fois plus faible que celle des Allemands à la même époque. Cinq ans plus tard, ils ont multiplié leur production annuelle par un facteur de 45 ! Ils produisaient ainsi presque trois fois plus d’avions que les allemands au même moment.  »

    Quel type de production faudrait-il alors multiplier par 45 pour se doter de moyens efficaces ?

    Il va de soi que le champ des réponses peut s’étendre aux domaines matériels, intellectuels et spirituels.

    1. Avatar de timiota
      timiota

      A multiplier par 45 :
      – L’isolation (« one ounce of insulator is worth a pound of oil »)
      – Les dessertes urbaines (uber comme service public décentralisé, sur le modèle des « taxis collectifs » en usage au proche orient de longue date)
      – L’agriculture « équilibrée » (bocage, pacage et bien moins de monoculture, idem agroforesterie)
      – Les soins à la biodiversité
      (le nombre d’espèce a trop décru, même pour le riz, où il y en avait sans doute 20 fois plus en 1900 (variétés locales sélectionnées localement) qu’en 2010.
      Et à multiplier par 4,5 : l’éducation, surtout envers les populations les moins favorisées, réservoir de cerveaux aux 3/4 gâchés.

      1. Avatar de timiota
        timiota

        Stiegler parlait vers 2010 de chiffre comme cela, avec 500 000 embauche d’agents public en France, je crois qu’un Green New Deal ne serait pas forcément si loin (lequel me dira-t-on)… en le finançant par des « bons » adaptés à la théorie monétariste ou keynésienne à laquelle vous appartenez.

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