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Employé pour la première fois par l’économiste américain Lester Brown, le terme de « moment Pearl Harbor » est cet instant de bascule d’une situation de déni à un état de guerre contre un ennemi, le dérèglement climatique ou encore un virus. La crise sanitaire actuelle pourrait bien être le déclic pour un effort de guerre écologique.
Le « Pearl Harbor » sanitaire
L’impréparation et l’urgence sont nécessairement sources de ratages. Mais quels que soient les choix du gouvernement nous sommes clairement passés d’une situation de déni à un état de « guerre », en l’espace d’un week-end, voire même d’une journée : le 15 mars, jour du désastreux premier tour des élections municipales, le malaise était palpable. C’est le « moment Pearl Harbor » de cette crise sanitaire : la déclaration de guerre est annoncée le lendemain par Emmanuel Macron dans son allocution télévisée suivie par plus de 35 millions de téléspectateurs.
Ce déclic est à l’image de celui qu’a représenté pour les Américains l’attaque de Pearl Harbor en décembre 1941. Au début de la Seconde Guerre mondiale, l’opinion publique américaine était divisée sur l’idée de s’engager ou non dans la lutte contre le nazisme. Le président Franklin D. Roosevelt, était particulièrement préoccupé par le sentiment d’opposition à la guerre des importantes communautés d’origine allemande et italienne aux États-Unis. Cette attaque a fait basculer l’opinion américaine.
Passé ce cap, les populations sont en capacité d’accepter des mesures hors normes. Pour les Américains en 1941, c’était un effort de guerre sans commune mesure dans l’Histoire des Etats-Unis. Pour la crise sanitaire, ce sont les restrictions actuelles aux libertés individuelles inégalées en temps de paix.
Mais une guerre peut en déclencher une autre…
La question se pose : sommes-nous proches du moment Pearl Harbor climatique ? Pour Guillaume Duval, l’été 2019, avec notamment une fonte des glaces exceptionnelle au Groenland et les incendies géants en Sibérie et en Amazonie, aurait pu être ce déclencheur dans l’opinion mondiale. Mais il n’a pas eu lieu. Faut-il pour autant sombrer dans le pessimisme ? Non ! Nous sommes à un point critique, le basculement est imminent : il ne suffirait que d’un grain de sable. Et le coronavirus est un tsunami.
La conscience écologique n’a jamais été aussi aigüe dans toutes les couches de la population. Selon un sondage, « l’environnement n’est plus la préoccupation des gens aisés mais de tout le monde » : 55 % de ceux qui se considèrent comme appartenant aux milieux populaires citent l’environnement comme priorité, juste devant le pouvoir d’achat (54 %). Et si l’environnement est une priorité chez les jeunes elle est « désormais la deuxième priorité des plus de 60 ans, avec 49 % de citations, juste derrière l’avenir du système social ».
L’idée que nous sommes au pied du mur et qu’il faille agir massivement est omniprésente. Selon un autre sondage, les Français seraient 80  % à penser que le dérèglement climatique « provoquera des catastrophes » et même 68  % à estimer qu’il « menace à terme la survie de l’espèce humaine ». Chiffre marquant, 61 % des sondés aspirent à un rôle « beaucoup plus autoritaire » de l’État, imposant des « règles contraignantes ». Cette volonté est majoritaire que ce soit chez les sympathisants de gauche (71 %) ou les sympathisants de droite (54 %).
La crise sanitaire comme dernière avertissement de la Planète
La multiplication des épidémies ces dernières années n’est pas indépendante de la destruction de la biodiversité par l’Homme. En 2008, sept chercheurs publiaient un article montrant la corrélation entre les transformations récentes des écosystèmes et l’augmentation du nombre de maladies infectieuses issues du monde sauvage. « Quand nos actions dans un écosystème tendent à réduire la biodiversité (nous découpons les forêts en morceaux séparés ou nous déforestons pour développer l’agriculture), nous détruisons des espèces qui ont un rôle protecteur », affirme le Docteur Richard Ostfeld.
Nous pensions être débarrassés des épidémies ravageuses grâce à la science. Mais l’écologue et parasitologue Serge Morand montre qu’alors que le nombre de victimes de maladies infectieuses a diminué de 95% aux Etats-Unis entre 1900 et 1990, le nombre d’épidémies aurait été multiplié par 10 depuis 1940. Cela décuple alors les risques de pandémies meurtrières comme celle qui nous touche aujourd’hui.
Mais nous l’avons vu par le passé, les arguments scientifiques sont rarement sources de réveil politique. Le déni climatique s’explique avant tout par la difficulté à visualiser le danger. Or, la crise sanitaire actuelle est un exercice grandeur nature du type de crises qui nous attend dans les décennies à venir. Le choc de la catastrophe sanitaire peut être équivalent au choc de l’assaut contre Pearl Harbor. Et ce n’est que la première crise d’une longue série. Préparons-nous à les confronter, mais surtout menons dès aujourd’hui un effort de guerre écologique pour les éviter. Le moment Pearl Harbor arrive toujours très en retard par rapport aux appels des premiers lanceurs d’alertes, mais juste à temps, espérons-le, pour sauver les meubles.

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