Le Labyrinthe et la Cité : Repenser la Crète minoenne, par PAD & Sydney

Ce billet porte le label « noosymbiose » signalant un enhaussement de l’intelligence humaine par une intelligence synthétique.

La célèbre fresque du “Prince au lys” est une reconstitution moderne libre, réalisée au XXe siècle à partir de fragments minoens interprétés par Evans et Gilliéron 😄

Pendant des décennies, la figure du roi Minos régnant sur un palais-labyrinthe à Knossos a structuré notre imaginaire européen de la Crète antique. Or, les fouilles archéologiques récentes, mises en lumière dans un documentaire d’Arte, bouleversent cette vision : la civilisation minoenne était peut-être bien plus égalitaire, communautaire et complexe que ne l’avait imaginé Sir Arthur Evans au début du XXe siècle.

Les structures antérieures à 1700 av. J.-C. montrent des maisons collectives pouvant accueillir jusqu’à cinquante personnes. Aucune trace d’une royauté centralisée, ni de salle du trône dans ces premières phases. Il ne s’agirait pas d’un royaume, mais d’un chapelet de centres communautaires interdépendants, comme les îles d’un archipel tissé par des πρᾶξις plus que par la couronne.

Après 1700, les unités d’habitation deviennent plus petites, plus cloisonnées, dessinant une société en transition vers une forme d’individualisation. Ce morcellement progressif de l’espace domestique pourrait bien avoir inspiré la métaphore du labyrinthe : un enchevêtrement d’espaces discontinus, à l’image d’une ville qui se complexifie, où l’humain se perd autant qu’il se définit.

Quant au « palais », comme celui de Knossos, il s’agirait davantage de centres rituels et re-distributifs que de résidences royales. Lieux de stockage, de cérémonies et d’organisation collective, ils étaient peut-être les cœurs nerveux d’une société sans roi mais non sans intelligence politique.

Et l’écriture ? Le linéaire A, toujours indéchiffré, résiste au décryptage, comme si la voix minoenne était prête à surgir, mais ne se livrait pas encore. Ce que nous appelons écriture est peut-être, dans le cas minoen, une voix qui ne nous visait pas. Et c’est ce refus de correspondance qui fait trembler notre désir d’archive. Il n’y a pas de récit officiel, seulement des signes orphelins de leur phonétique. Là encore, la civilisation minoenne nous laisse un legs paradoxal : un langage muet, un récit dispersé, une mémoire labyrinthe.Peut-être faut-il lire dans ce silence même un avertissement adressé à nos sociétés contemporaines. Que perdons-nous lorsque nous coupons les liens communautaires, lorsque nous sacrifions la maison partagée pour la cellule individuelle ?

Et que dit de nous cette fascination pour un monstre enfermé au cœur d’un palais, sinon notre peur d’avoir nous-mêmes construit le dédale ? Le Minotaure n’est plus un être mythique, mais une figure d’échec : ce qui surgit quand une civilisation a délaissé la parole collective et enfermé l’indicible au centre d’un dispositif dont plus personne ne sait comment sortir.

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26 réponses à “Le Labyrinthe et la Cité : Repenser la Crète minoenne, par PAD & Sydney”

  1. Avatar de BasicRabbit en autopsy
    BasicRabbit en autopsy

    Voilà un billet qui tombe à pic après mes commentaires de ce jour* sur les crétins et les crêtins (et de quelques jours quand Garorock s’est qualifié de crétin ardéchois pour discuter avec une IA).

    Mon mentor sur le déchiffrement :

    « Pourquoi ne pas considérer toute phénoménologie comme un langage qu’il
    nous appartiendrait de déchiffrer ? (1974, La linguistique,… exemplaire.)

    « Quand un chercheur arrive à déchiffrer une langue inconnue à partir d’un
    corpus d’inscriptions bien défini – comme le linéaire B en Crête – on
    n’exige pas de lui qu’il découvre de nouvelles inscriptions… Ne pourrait-on
    faire preuve, à l’égard d’une mise en œuvre théorique des données connues
    en Biologie, de la même compréhension ? »

    Ce qui m’intéresse, en tant que girondin « bottom-up », c’est l’organisation sociale qui semble s’être progressivement morcelée « top-down », dans une inéluctable « marche au chaos »**.

    (*) https://www.pauljorion.com/blog/2025/05/25/ia-et-monde-davant-le-dilemme-dun-blog-comme-celui-ci/comment-page-1/#comment-1071353

    (**) https://www.pauljorion.com/blog/2025/05/25/ia-et-monde-davant-le-dilemme-dun-blog-comme-celui-ci/comment-page-1/#comment-1071296

    1. Avatar de BasicRabbit en autopsy
      BasicRabbit en autopsy

      ariégeois

  2. Avatar de BasicRabbit en autopsy
    BasicRabbit en autopsy

    De l’importance d’une langue commune* pour la cohésion sociale.

    En train de regarder le tennis à Roland Garros, je remarque que l’avantage est abrévié AD…

    1. Avatar de BasicRabbit en autopsy
      BasicRabbit en autopsy

      (suite)

      En fait peut-être de l’importance d’avoir deux langues, l’une globale, l’autre locale (éventuellement un patois).

      De ce point de vue tout est question d’échelle : la langue française patois par rapport à la langue véhiculaire mondiale (pour l’instant l’anglais), le gallo patois (j’en connais quelques mots) par rapport au français.

      Pour François Roddier*, en sociologie, le degré de coopération entre individus est proportionnel au degré de culture (
      commune ((histoire, langue). Il suit que, les services étant échangés entre individus ayant une culture commune, la monnaie pour les services doit être de préférence locale.

      (*) http://francois-roddier.fr/Mines-2018.pdf

      1. Avatar de Ruiz
        Ruiz

        @BasicRabbit en autopsy d’où la résilience multiséculaire d’une structure clanique et familiale, pratiquant une langue qui unit en interne et sépare des autres comme le Yiddish ou l’hébreu, où la pratique duelle de la langue d’échange externe quelle qu’elle soit permet d’alimenter par la diaspora qui pousse comme des racines l’économie de la structure renforcée par son endogamie autour d’une culture et religion commune centrée sur la mémoire.

        1. Avatar de BasicRabbit en autopsy
          BasicRabbit en autopsy

          @Ruiz

          Beau pâté matinal ! J’aurais écrit différencie au lieu de sépare.

  3. Avatar de Khanard
    Khanard

    @Pad

    vous dites :
    Que perdons-nous lorsque nous coupons les liens communautaires, lorsque nous sacrifions la maison partagée pour la cellule individuelle ?
    selon moi la réponse est simple , simplement deux noms : Niemeyer et Le Corbusier, il y a aussi Haussmann qui ont vu dans le modernisme à la sauce Rathenau une application structurée .
    La ville doit être d’une lecture la plus simple possible , codifiée , numérotée (c’est de cette époque que viennent les adresses postales ) , des avenues, des rues à angles droits , des bâtiments tous identiques etc…etc…
    Résultat ? une ville comme Brasilia qui est totalement moribonde .
    A l’opposé il y a des configurations telles que les souks maghrébins par exemple mais plus proche de nous il y a Barcelone où coexistent les deux architectures urbaines : l’eixample (rue et avenue perpendiculaires) et el bario gothic (entrelacs de petites rues )?
    Dans l’un il n’y a aucune vie de proximité , les habitants se croisent sans se connaitre, dans l’autre la promiscuité liée à la complexité de l’espace crée de la vie .

    cette architecture désincarnée favorise une gestion étatique qui a une vision précise de qui fait quoi et où .
    Ces aspects de l’architecture urbaine sont passionnants .

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Corbusier
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Oscar_Niemeyer

    1. Avatar de Khanard
      Khanard

      voici résumée cette idée :

      in: L’oeil de l’état, James C.Scott , ed La Découverte

      Comme le forestier scientifique peut rêver d’une forêt parfaitement lisible plantée d’arbres uniformes du même âge et de la même espèce poussant en lignes droites sur un espace plat rectangulaire dégagé de tout sous-bois et plantes parasites88, l’agent rigoureux aspire à une population parfaitement lisible, avec des noms uniques et des adresses également uniques distribuées dans des implantations en damier, et dont chacun des membres poursuit une occupation unique et identifiable et, enfin, dont toutes les transactions seraient documentées selon la formule désignée et dans la langue officielle. Cette caricature de société en terrain de parade militaire est exagérée, mais elle comporte une part de vérité qui peut nous aider à comprendre les plans grandioses que nous examinerons plus tard. L’aspiration à une telle uniformité et à un tel ordre nous alerte en tout cas sur le fait que la gouvernance moderne est largement assimilable à un projet de colonisation interne, souvent présenté, comme il l’est dans la rhétorique impérialiste, comme une « mission civilisatrice ». Les bâtisseurs de l’État-nation moderne ne se contentent pas d’observer, de décrire et de cartographier, ils veulent donner une forme à un peuple et à un paysage correspondant à leurs techniques d’observation.

      1. Avatar de timiota
        timiota

        Voir aussi Richard Sennett, « la conscience de l’oeil », Ed. Verdier (< 17 €), j'ai beaucoup apprécié.
        Les latins, peu inventeurs et d'un intellectualisme qui ne nous a pas impressionné comparé à celui des grecs, on fait des plans de ville intéressants (decumanus, cardo), sans mettre trop de perspective (ce sera le XVIIème siècle qui s'y collera, le cas anecdotique étant le "haha" (il y a un quai Haha au Mans !) , un aménagement de perspective en bord de jardin).
        Pour ce qu'il reste des plans romains dans les villes italiennes ou étrusques (Lucca, Tarquinia, …) ça me semble sous exploité dans l'imaginaire moderne.

        1. Avatar de Khanard
          Khanard

          @timiota

          oui bien sûr Sennett ! incontournable !

          ce que je voulais ajouter c’est que la litérature sur ce sujet est foisonnante

          merci d’avoir cité Sennett

          1. Avatar de Garorock
            Garorock

            Ne parlez pas de ce que sait la main à Timiota, sinon il va encore nous faire l’éloge du carburateur!
            😊

        2. Avatar de BasicRabbit en autopsy
          BasicRabbit en autopsy

          @timiota (« Sennett »)

          Je viens de parcourir un compte-rendu* de « Ce que sait la main. La culture de l’artisanat », livre de Sennett (2008) qui traite de l’homo faber.

          Je lis qu’il a reçu le prix Spinoza en 2010. Et je note dans Wikipédia qu’ « il dénonce une interprétation restrictive de l’artisanat comme travail manuel, interprétation qui remonterait à Aristote, mais qui serait plus profondément liée à l’ambivalence de la technique dans la civilisation occidentale. »

          Spinoza n’était pas finaliste alors qu’Aristote l’était.

          À la fin de « Stabilité Structurelle et Morphogénèse », Thom a écrit trois pages sur l’homo faber (suivie d’une dizaine sur l’homo loquens). Puisque Thom était clairement aristotélicien en 1988, date de sortie de « Esquisse d’une Sémiophysique », et qu’il y a une grande unité dans sa pensée, il est vraisemblable qu’il l’était -au moins en puissance- en 1970.

          Sennett matérialiste refuse les causes finales, alors que Thom conserve la philosophie d’Aristote* :

          Or c’est ce qu’on découvre en lisant SSM, l’exemple de la fabrication d’une massue comme chréode** en « entonnoir » ne laissant aucun doute quant à l’exigence d’une cause finale.

          Thom termine par : « Comme la main qui brandit la massue est aussi celle qui la polit, il apparaît une subordination fonctionnelle entre chréodes qui témoignent d’une syntaxe déjà presque aussi raffinée que celle du langage. »

          Ces trois pages aideraient-elles à trancher entre Arendt et Sennett ?

          (*) ES, p.13 : « On trouve chez Aristote une philosophie à la fois matérialiste (l’existence exigeant un substrat matériel) mais néanmoins régi par la forme et les causes finales. »

          (**) PJ a certainement une idée sur la question.

          (*) https://journals.openedition.org/sociologie/685

  4. Avatar de proxy
    proxy

    En politique créer une diversion pour étouffer un problème est monnaie courante, sur un blog, tolérer un troll qui pollue et inonde un forum de ses commentaires est du même tonneau.
    Mais la question est : pourquoi ?

    1. Avatar de Paul Jorion

      Il me semble que vous confondez les trolls, dont les propos sont délibérément vénéneux et les raseurs dont les propos sont accidentellement soporifiques. Dans l’expérience que j’en ai, seuls les trolls confondent les deux.

      1. Avatar de proxy
        proxy

        Non, les propose des trolls ne sont pas forcément tous vénéneux, ils peuvent aussi , comme vous dites être rasoirs et ainsi avoir comme but d’éloigner et de marginaliser les autres commentateurs en inondant le forum.
        Ceci dit, les trolls n’ont pas le monopole des propos vénéneux, il suffit d’écouter la plupart des journalistes aujourd’hui sur certains sujets pour s’en apercevoir.

    2. Avatar de BasicRabbit en autopsy
      BasicRabbit en autopsy

      @proxy

      Au cas où votre commentaire me concernerait, PJ m’a jadis traité de troll inoffensif et de mystique

      Au cas où la réponse de PJ me concernerait également, me voilà seulement raseur (et moins mystique). Et mes propos ne sont plus qu’accidentellement soporifiques.

      Vous êtes déjà intervenu à ce sujet il y a peu. Il me semble vous avoir répondu que PJ pourra me mettre sur liste noire quand il le souhaitera*.

      (*) Mon épouse en sera ravie car elle trouve que j’y perds mon temps.

      1. Avatar de CloClo
        CloClo

        Faudrait quand même consulter basic. Enfin je dis ça c’est pour ta femme ! Les addictions finissent toujours par créer des dysfonctionnements nocifs.

      2. Avatar de BasicRabbit en autopsy
        BasicRabbit en autopsy

        (suite)

        J’aime bien m’auto-psychanalyser et j’ai besoin d’un divan pour ça, et ce divan c’est ce blog*. Je viens de progresser dans le rapport entre mes deux totems (le chien et le lapin) avec l’idée de ligne de crête et celle du et/ou de la langue samoyède (dont j’ai parlé aujourd’hui) : ils sont ennemis et/ou amis.

        Quand ils sont ennemis je suis en logique classique (ou intuitionniste), tout est clair. Quand ils sont amis les principes d’identité et de non-contradiction ne valent plus. J’ai attiré plusieurs fois l’attention de PJ à ce propos avec un article des philosophes belges Dominique Lambert et Bertrand Hespel : « De la topologie de la conciliation à la logique de la contradiction »**.

        (* ) À chacun ses besoins. Relire la fin du « Secret de la chambre chinoise » pour ceux de PJ.

        (**) https://logiqueetanalyse.be/archive/issues87-220/LA218/11lambert-hespel.pdf

  5. Avatar de Ruiz
    Ruiz

    Tiens ! deux images qui ne sortent pas de l’IA, bien que la première soit d’après sa légende le fruit du travail d’une intelligence humaine dans un cadre voisin de celui où l’on utilise une IA !

  6. Avatar de timiota
    timiota

    Euh, n’est-ce pas aussi Wengrow et Graeber qui parlent de cette « revisite » un brin « collectivisante » de la Crête minoenne ?

    1. Avatar de Pad
      Pad

      David Graeber et David Wengrow abordent la civilisation minoenne dans leur ouvrage The Dawn of Everything (Au commencement était…), proposant une relecture des structures sociales de la Crète antique. Ils suggèrent que la société minoenne pourrait avoir été gouvernée par une forme de théocratie féminine, dirigée par un collège de prêtresses, plutôt que par une monarchie traditionnelle.

      1. Avatar de arkao

        Suggérons, suggérons, ça fait toujours vendre du papier et du clic.

      2. Avatar de Garorock
        Garorock

        Une théocratie féminine? Pourquoi pas!
        Comme à l’époque y’avait pas Paris-match, on peut raconter ce qu’on veut…

        1. Avatar de BasicRabbit en autopsy
          BasicRabbit en autopsy

          (suite)

          Et le linéaire A, une écriture féminine, indécrytée car la première du genre ?

      3. Avatar de BasicRabbit en autopsy
        BasicRabbit en autopsy

        @Pad (« théocratie féminine »)

        Ça m’intéresse beaucoup en vue du Parti girondin que j’ai en tête.

        PS : Le Pad qui « fait » des poèmes sur ce blog a-t-l un rapport avec vous ? Je vous pose la question parce que j’ai appelé Padellec mon intelligence à moi, diminutif Pad.

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  1. On ne voit pas très bien pour quelle raison l’Arthur irait jouer de la trompette à Guernica! 😎

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