Illustration par ChatGPT 4o
Auteurs :
Pour les prompts : Paul Jorion ; pour le texte : ChatGPT (4o et o3), Claude-sonnet-4 et DeepSeek R1
Parallèles historiques : de la guerre froide à la course à l’IA
Les observateurs établissent souvent des parallèles entre la rivalité actuelle en matière d’IA et les courses technologiques du passé, notamment la compétition entre les États-Unis et l’Union soviétique pendant la Guerre froide dans les domaines des armes nucléaires et de l’exploration spatiale. Bien que l’histoire ne se répète jamais fidèlement, ces analogies offrent un prisme utile pour examiner la dynamique, les risques et les issues possibles de la bataille entre les États-Unis et la Chine dans le domaine de l’IA.
Pendant la Guerre froide, les États-Unis et l’Union soviétique se sont livrés à une compétition intense pour se surpasser technologiquement, afin d’affirmer leur suprématie idéologique. La « course à l’espace » est peut-être l’épisode le plus célèbre : après le succès surprise de l’Union soviétique avec Spoutnik (le premier satellite artificiel) en 1957, les États-Unis ont réagi par un effort national qui a abouti à l’alunissage d’Apollo en 1969. Cette compétition visait à démontrer la supériorité d’un système (la démocratie capitaliste contre le socialisme communiste) à travers des réalisations scientifiques. Dans le même ordre d’idées, beaucoup considèrent la course à l’IA comme une compétition visant à démontrer quel modèle de gouvernance – le libéralisme occidental ou le capitalisme d’État autoritaire chinois – est le mieux à même de favoriser le progrès technologique. En effet, les avancées chinoises telles que les modèles DeepSeek ont été explicitement comparées à Spoutnik en raison de leur impact psychologique sur la communauté technologique américaine. Tout comme Spoutnik a servi de signal d’alarme indiquant que les Soviétiques pouvaient contester le leadership américain, le succès de l’IA chinoise avec des ressources limitées est un signe que les États-Unis ne peuvent pas présumer d’une domination permanente dans les domaines de haute technologie.
Un autre parallèle réside dans le concept de course aux armements. Dans la course aux armements nucléaires de la guerre froide, chaque camp a accumulé des armes de plus en plus puissantes, conduisant à un équilibre précaire connu sous le nom d’« équilibre de la terreur » en raison d’une destruction mutuelle assurée. Dans le contexte de l’IA, bien que les systèmes d’IA ne soient pas des armes au sens littéral du terme, ils sont de plus en plus considérés comme des agents stratégiques susceptibles de conférer des avantages militaires et économiques décisifs. On craint une spirale similaire : si un pays accélère la recherche militaire axée sur l’IA (comme les drones autonomes ou la cyberguerre dopée par l’IA), l’autre fera de même pour éviter de prendre du retard, ce qui conduira à une escalade continue : aucune des deux parties ne peut se permettre d’interrompre son effort car cela pourrait offrir un avantage décisif à l’adversaire. Le danger, analogue au cas du nucléaire, est que le déploiement précipité de l’IA (par exemple dans le commandement et le contrôle des armes ou des infrastructures critiques) sans sécurité adéquate pourrait entraîner des accidents ou des conflits involontaires (une IA défectueuse pourrait provoquer un chaos similaire à un lancement de missile accidentel). C’est pourquoi certains stratèges réclament des accords de contrôle des armes IA, similaires aux traités de la Guerre froide, afin de fixer des limites à certaines applications de l’IA. Cependant, il est difficile de parvenir à de tels accords compte tenu de la double nature de l’IA (le même algorithme qui améliore un système de recommandation de produits peut être utilisé pour améliorer le guidage des missiles).
La course à l’espace nous enseigne également des leçons. Cette compétition a entraîné d’énormes investissements dans l’éducation et la recherche (par exemple, les États-Unis ont créé la NASA et ont investi massivement dans les STEM – Sciences, Technologie, Ingénierie et Mathématiques – après Spoutnik). De même, la course à l’IA incite les nations à investir dans le capital humain : bourses d’études en IA, recrutement international de talents et laboratoires nationaux d’IA. À long terme, comme ce fut le cas pour l’espace, cela pourrait déboucher sur une cascade d’innovations allant bien au-delà de l’objectif initial. La course à l’espace nous a donné les satellites, la microélectronique et, finalement, l’Internet (grâce aux efforts de la DARPA). La course à l’IA pourrait déboucher sur des avancées dans les domaines de la santé (découverte de médicaments grâce à l’IA), de la modélisation climatique, etc., comme des retombées de la volonté de devancer l’adversaire. Cependant, une différence essentielle réside dans le fait que la course à l’espace était largement menée par les gouvernements, tandis que l’IA est aujourd’hui portée à la fois par les gouvernements et les entreprises privées. Cela introduit des forces de marché qui n’existaient pas sous la même forme dans les années 1960, ce qui complique toute tentative de coordination ou de restriction de la concurrence.
Historiquement, les rivalités technologiques ont parfois stimulé la coopération de manière inattendue. Par exemple, malgré la guerre froide, les États-Unis et l’URSS ont négocié des accords de limitation des armements lorsque les coûts et les risques sont devenus trop élevés. Dans le domaine de l’IA, des efforts de coopération internationale commencent à voir le jour : forums multipartites sur l’éthique de l’IA, dialogues entre scientifiques américains et chinois, et panels mondiaux appelant à des normes de sécurité communes. Il est concevable que les deux superpuissances de l’IA reconnaissent un jour leur intérêt mutuel à prévenir des défaillances catastrophiques de l’IA ou une course effrénée à l’armement, ce qui conduirait à quelque chose qui s’apparenterait à un « traité sur l’IA ». Cependant, un déficit de confiance important et des divergences idéologiques rendent cela difficile à court terme.
Une autre analogie historique peut être tirée de l’économie : la concurrence entre les grandes puissances dans le domaine des technologies de la révolution industrielle. La domination britannique dans le domaine de la machine à vapeur et des machines textiles au XIXe siècle a incité d’autres pays à rattraper leur retard ; la rivalité entre les États-Unis et le Japon dans le domaine des semi-conducteurs dans les années 1980 en est un autre exemple. Ces rivalités ne se sont souvent pas soldées par la défaite totale d’une des parties, mais par un rééquilibrage : le Japon est par exemple devenu un important producteur de semi-conducteurs, mais a établi une relation symbiotique avec les entreprises américaines. Dans le contexte de l’IA, il est possible que nous assistions à un avenir où les États-Unis et la Chine excelleront chacun dans différents créneaux de l’IA et parviendront à un modus vivendi : par exemple, les États-Unis seront en tête dans certains modèles fondamentaux ou technologies de puces, tandis que la Chine sera en tête dans l’adaptation et le déploiement à grande échelle, et chaque partie commercera avec l’autre (directement ou par l’intermédiaire d’alliés) parce qu’un découplage complet s’avérera inefficace. Il s’agirait davantage d’une coexistence concurrentielle que d’un scénario où le gagnant rafle toute la mise.
Il convient toutefois d’être prudent lorsqu’on établit ces parallèles. L’IA n’est pas du matériel spatial ou des missiles nucléaires ; elle est plus diffuse, intégrée dans des logiciels et des données, et évolue rapidement. Les délais sont également incertains : certains parlent d’une « course à l’IA » vers l’intelligence artificielle générale (AGI), un point hypothétique où l’IA dépasserait largement les capacités cognitives humaines. D’autres doutent qu’un tel jalon soit proche ou même bien défini (DeepSeek-V3 montre que la Chine apprend à construire une IA meilleure et moins coûteuse). L’ambiguïté autour de l’objectif final (s’agit-il de l’AGI, de la domination économique, de la supériorité militaire ?) rend la rivalité en matière d’IA plus complexe à certains égards que la course à l’espace (qui avait des objectifs clairs comme « atteindre la Lune en premier »).
Néanmoins, le contexte historique nous met en garde : les courses technologiques effrénées peuvent être risquées et coûteuses. Elles peuvent conduire à une polarisation du monde, où chaque camp forme des blocs compacts (on parle déjà d’un écosystème technologique bifurqué : un « rideau de fer numérique » séparant l’IA chinoise et occidentale). Elles peuvent détourner d’énormes ressources vers des efforts militaires ou redondants, au détriment des problèmes mondiaux qui nécessitent une coopération (comme le changement climatique, où, ironiquement, l’IA pourrait être utile si elle était partagée). Et elles peuvent générer paranoïa et malentendus : la guerre froide a frôlé plusieurs fois le conflit nucléaire en raison de fausses alertes ; on peut craindre un incident déclenché par l’IA à l’avenir (par exemple, un système de surveillance IA identifiant à tort un exercice militaire de routine comme une attaque, provoquant une crise).
Ayant en tête ces enseignements, nous devons nous pencher sur les implications à long terme de la rivalité entre les États-Unis et la Chine en matière d’IA. À quoi pourrait ressembler le monde dans une dizaine ou une vingtaine d’années si les tendances actuelles se maintiennent ? Et quels autres futurs pourraient émerger si la coopération ou des choix stratégiques différents entraient en jeu ?
(à suivre …)
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