Ceci me semble très significatif car John Bolton, autrefois ambassadeur des États-Unis aux Nations-Unis, et plus pertinent encore, conseiller à la sécurité nationale sous le premier mandat de Donald Trump, est une des personnalités centrales des « neo-cons », le courant « faucon » du Parti républicain, et véritablement le noyau dur du Parti sous les présidents Bush père et fils. En s’en prenant au cœur du parti supposément le sien, Trump franchit une nouvelle étape dans sa prise de pouvoir.
Piqûre de rappel : le 18 juin 2020
Retranscription de Les mémoires de John Bolton
Bonjour, nous sommes le jeudi 18 juin 2020 et toute la presse ne parle que de la parution bientôt, dans une semaine, du livre de M. John Bolton « The Room Where it Happened. A White-House Memoir » : la chambre où ça s’est passé, des mémoires, ou des souvenirs, de la Maison-Blanche.
Alors, pourquoi ce titre ? Eh bien, parce que M. Bolton a eu l’occasion de dire à propos de certains événements, qu’« il était dans la pièce où ça s’est passé », par opposition en particulier au lanceur d’alerte qui ne connaissait les choses que par ouï-dire, quand il s’agissait de la raison pour laquelle on a lancé une procédure de destitution contre M. Trump à propos de ses interférences avec la politique de l’Ukraine et, en particulier, d’essayer de faire un échange de bons procédés, un renvoi d’ascenseur, entre le président de l’Ukraine et lui, de l’obtention de fonds militaires contre des informations compromettantes visant M. Joe Biden, candidat probable à l’élection présidentielle de novembre de cette année-ci, et rival probable de Trump.
M. Bolton, c’est un personnage assez spécial. C’est un conservateur. C’est un neo-con comme on dit là-bas [partisan de l’imposition de la démocratie type US à l’ensemble des nations du monde – « pour leur bien »], c’est-à-dire [aussi], c’est un faucon en matière militaire. C’est quelqu’un qui [avait] déjà [manifesté] tout jeune [son soutien] à la guerre du Vietnam même si Wikipédia souligne qu’il avait consenti des efforts considérables pour ne pas être envoyé lui-même là-bas.
Il a toujours défendu une politique des Etats-Unis extrêmement dure. Il a été ambassadeur des Etats-Unis aux Nations-Unies et il faut dire qu’il est opposé à l’institution même des Nations-Unies : il est pour la suppression de cet organisme. Ça, c’était sous le président George W. H. Bush, Bush père. Et plus récemment, il a été le conseiller, un conseiller à la sécurité internationale chez M. Trump de 2018 à 2019.
C’est un personnage haut en couleurs. Il a une énorme moustache qui permet de le reconnaître très facilement. Une personnalité très à droite, très dure en matière de politique étrangère. C’est lui qui a conseillé en particulier, à son époque : à l’époque où il était conseiller à la Maison-Blanche, à M. Trump que les États-Unis dénoncent un certain nombre de traités militaires et, en particulier, celui avec l’Iran.
Donc, un personnage très à droite sur l’échiquier politique mais qui en est venu à jouer un rôle clé parce que c’est quand même une personne qui s’identifie fortement au rôle de l’Etat. Il a le « sens de l’Etat » et, dans les dépositions qui ont eu lieu au moment de la procédure d’impeachment, de destitution de Trump au niveau du Congrès, donc de la chambre basse, de l’Assemblée Nationale, un certain nombre de personnes dans son entourage, des adjoints, des personnes de son cercle [Fiona Hill, Alexander Vindman] ont témoigné et ont rapporté en particulier son opinion extrêmement défavorable à la manière dont Trump mène sa barque. Cela dit, il est un grand adversaire des Démocrates et donc, il n’était pas prêt non plus à faire des cadeaux aux Démocrates. Au moment où la procédure est passée, où l’impeachment a été voté par le Congrès et où la procédure passait ensuite au Sénat pour qu’il y ait un procès véritablement qui se tienne et où, en raison d’une majorité Républicaine au Sénat, il était certain que, quelle que soit la manière dont les débats se déroulent, l’impeachment ne serait pas confirmé au niveau du Sénat.
Cela dit, tout le monde disait que le témoignage de Bolton serait essentiel. La question a été réglée du fait que les Républicains n’ont appelé aucun témoin, c’est-à-dire qu’en fait, il n’y a pas eu de procès. Il y a eu juste une délibération du jury… mais ce n’était pas une « délibération » puisqu’il n’y avait rien à délibérer ! Ça a été un vote selon les lignes partisanes et M. Trump a été exonéré. Cela dit, M. Bolton aurait pu quand même dire des choses très très compromettantes pour M. Trump.
Il est vrai qu’il a traîné la patte : il ne s’est pas porté volontaire pour témoigner au niveau du Congrès et il avait dit aussi qu’il ne se présenterait devant le Sénat pour témoigner que s’il était subpoenaed, c’est-à-dire s’il était appelé à comparaître par une décision d’ordre judiciaire. Donc, il n’était pas enthousiaste à se présenter.
Les raisons qui le poussaient, c’était, à mon sens, essentiellement parce qu’il n’avait pas envie de faire de cadeau aux Démocrates. La presse a beaucoup insisté sur le fait qu’on savait qu’il allait publier un livre sur tout ce qui s’était passé : le livre qui paraît la semaine prochaine, et que, voilà, on laissait entendre que M. Bolton était décidé à faire fortune grâce à la vente de ce livre et que, par conséquent, il n’était pas enthousiaste à, comment dire ? spill the beans, à vendre la mèche avant, avant que le livre ne sorte. C’est possible mais cela dit, je ne parierais pas sur cela : c’est un monsieur qui a le sens de l’Etat, mais il n’a aucune sympathie pour les Démocrates qui avaient mis en accusation M. Trump.
D’ailleurs, dans le livre – le livre n’est pas encore paru mais il y a les bonnes feuilles qui circulent – dans le livre, M. Bolton dit que, de toute manière, les Démocrates s’y étaient très très mal pris en accusant Trump uniquement sur le dossier de l’Ukraine et il apporte les preuves qu’il aurait fallu étoffer ce dossier par un grand nombre d’autres choses : les tentatives de M. Trump vis-à-vis de la Turquie d’essayer d’obtenir des choses de la Turquie de la même manière que de l’Ukraine, de la Chine, en articulant entièrement sa politique économique vis-à-vis de la Chine par rapport à des avantages personnels de soutien de M. Xi Jinping vis-à-vis de lui. C’est-à-dire en fait, M. Trump, au niveau de ses rapports avec l’ensemble des chefs d’Etat, se conduit exactement de la manière dont on sait qu’il se conduit en affaires : sur des rapports de force, du chantage affectif et autres, des tactiques, voilà, d’homme d’affaires véreux, ce qu’il est en réalité.
Est-ce qu’une parution du livre de M. Bolton plus tôt, est-ce que sa comparution devant l’Assemblée Nationale, le Congrès, ou devant le Sénat, est-ce que ç’aurait fait une différence ? Je crois que tout ce qu’il dit dans son livre, en fait, était déjà connu. Il ne fait que confirmer des choses que tout le monde savait, des choses qui circulaient déjà. Je ne pense pas, moi, que ça aurait fait une différence. La politique neo-con qui a été importante sous les deux présidents Bush, Bush père et Bush fils, c’est un courant qui est moins représenté maintenant, qui est moins fort : ce n’est pas un courant dominant dans le Parti républicain, pas plus que l’autre courant qui est vraiment, je dirais, opposé à Trump, c’est-à-dire le courant qui se situe – qui se situait autrefois – autour de John McCain et, aujourd’hui, autour de la mémoire de John McCain.
Toute la question de Trump, de sa disparition, de la chute de la météorite Trump, tourne autour du soutien de sa base, une base qui, au départ, était suffisante, de l’ordre de 40 à parfois 45 % dans l’opinion à le soutenir. C’est là que les choses se jouent et c’est là que, maintenant, quelque chose est en train de se passer plus que dans les livres écrits par l’un ou l’autre, plus que par l’apparition de témoins ou même de lanceurs d’alerte. C’est ça qui joue et c’est ça, en ce moment, qui est en train de virer un petit peu de bord.
M. Trump a fait la preuve auprès de son électorat qu’il n’était pas capable, qu’il n’avait pas été capable véritablement, en fait, de gérer la crise du coronavirus. Elle montre maintenant, par le mouvement Black Lives Matter, qu’il n’est pas parvenu à reprendre la barre et, surtout, à mon sens – et ça, j’attire l’attention là-dessus depuis quelques semaines, il est apparu que quand M. Trump demande à ses troupes d’apparaître, comme il l’a demandé une première fois en essayant de mobiliser des gens, ses supporters, suprémacistes blancs surarmés, de se présenter devant les capitoles, devant les préfectures, dans les états pour essayer de remettre en question le confinement, c’est un nombre très très limité de personnes qui se sont présentées, quelques dizaines souvent, quelques centaines au plus. Que, quand M. Trump a commencé à avoir très peur parce qu’il y avait véritablement des manifestations et des risques d’émeute autour de la Maison-Blanche, quand il a dit à ses troupes : « Ce soir, c’est la fête, c’est à vous de venir ! », personne n’est venu. C’est-à-dire qu’en fait, ses troupes surarmées que l’on voit défiler ici ou là, que j’appelle « l’armée confédérée en déroute » : ceux qui ont perdu la Guerre de sécession, ne sont pas venus.
J’attire l’attention sur cette image de Trump en général de l’armée sécessionniste, de l’armée confédérée. Vous la trouvez dans mon livre : ça fait partie des billets que je faisais en 2017 sur mon blog. Et c’est maintenant que vous la voyez apparaître dans les chroniques des commentateurs américains, que vous pouvez trouver cette analyse.
J’ai attiré l’attention depuis le départ dans mes commentaires – et si vous dites que c’est pour me vanter, oui : c’est pour me vanter ! – sur le fait que j’ai en général au moins quelques heures d’avance sur les commentateurs américains et, dans ce cas-ci, vous voyez, c’est de l’ordre de 3 années, de 3 ans. Ça me donne envie de continuer.
J’avais mis un peu entre parenthèses mes commentaires à l’époque de la pandémie, du spike, du point culminant de la pandémie. On ne sait pas ce qui va se passer. Ça correspondait aussi avec la décision du Sénat américain de l’exonérer en votant contre sa destitution. Le moment est peut-être venu de reparler davantage de M. Trump parce que j’ai le sentiment que la météorite Trump, elle est en train, voilà, de rougir parce qu’elle entre dans les strates supérieures de la stratosphère et que le moment est peut-être venu de reparler de lui davantage comme je viens de le faire à l’instant, devant vous.
Voilà, merci.
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