Paul et Stéphanie – La dépression : réponses aux premières questions, le 4 novembre 2021 – Retranscription

Retranscription de Paul et Stéphanie – La dépression : réponses aux premières questions

Paul Jorion : 

Bonjour, nous sommes le 4 novembre 2021 et il y a exactement une semaine, j’ai fait une vidéo qui s’appelait, comme elle s’appelle d’habitude, d’abord mon nom, « Paul Jorion – La dépression » et j’avais une invitée qui était Stéphanie Kermabon, hypnothérapeute à Vannes, et qui est mon invitée à nouveau aujourd’hui : vous la voyez à côté de moi. 

Bonjour Stéphanie ! Et nous avons donc fait cette vidéo et j’avais annoncé déjà que je te rendrais la parole parce que tu avais envie de dire un certain nombre de choses supplémentaires sur la dépression et la sortie de dépression. 

Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Nous avons eu un abondant courrier, on nous a posé directement des questions. Il y a des sujets qui ont été avancés sur lesquels nous avons envie de commenter et donc, il y a un changement de formule : à partir de maintenant, nous continuerons à faire des vidéos de ce type-là parce qu’elles ont véritablement du succès mais au lieu de les appeler : « Paul Jorion… » quelque chose, on va appeler ça : « Paul et Stéphanie » pour encourager véritablement les personnes, qui n’ont d’ailleurs pas hésité à le faire à te poser à toi directement des questions aussi et nous nous efforcerons de répondre à tout cela. Donc, nous avons véritablement une série mais qui a changé de nom : « Paul et Stéphanie » dorénavant. 

Alors, première chose : il y a des questions qui t’ont été posées à propos de ce que tu as dit de la dépression et là, je sais que tu as envie de répondre à un certain nombre de choses. 

Stéphanie Kermabon : 

Oui, tout à fait. Donc, bonjour à tous. Voilà, donc on m’a posé une question, c’est-à-dire : « Comment on a pu me négliger de la sorte ? ». Bon eh bien, la réponse est très simple. 

Comme je vous l’ai dit dans la première vidéo, je ne me suis pas sentie aimée par mon père et ça, du coup, ça a engendré le fait que je ne pense pas mériter – enfin à l’époque – je ne pensais pas mériter et du coup, qu’est-ce qui se passe quand on ne pense pas mériter ? Eh bien on s’attire ce qu’on pense mériter, c’est-à-dire pas grand-chose. Et donc la personne qui a partagé ma vie pendant 7 ans et demi, c’était vraiment quelqu’un qui se droguait puisqu’il fumait des joints mais ce n’était pas 1 ou 2 : il était vraiment dans sa bulle. Et du coup, je pouvais être à côté de lui sans que ce soit important. Il m’est arrivé aussi de pleurer à côté de lui. En fait, je dis tout ça pour vous permettre de comprendre à quel point je ne me sentais pas importante, pour pouvoir accepter justement cette négligence. 

C’était important de souligner ça. Je pense que quand on ne s’aime pas, on ne peut pas déjà aimer, et on ne peut pas non plus avoir quelqu’un… enfin, on a quelqu’un à la hauteur de ce qu’on pense de soi en fin de compte.

Paul Jorion : 

Tu as utilisé le mot « mérite » et aussi « dépossédé » et tu te souviens sans doute que ce sont des mots que j’ai utilisés pour parler moi-même d’un épisode, quand j’avais 20 ans, où je me sens dépossédé quand je crois avoir un grand mérite pour avoir réussi mon examen et mon professeur se dirige vers un petit groupe de mon père et moi et c’est mon père qu’il félicite sans même échanger un regard avec moi. 

Nous estimons tous que nous avons un certain mérite mais nous aimerions qu’il soit reconnu et quand, de manière flagrante, il n’est pas reconnu, on tombe dans la dépression. 

Stéphanie Kermabon : 

C’est ça. C’est exactement ce que j’ai ressenti en fait pendant très longtemps, puisque la dépression a été vraiment importante, et s’est faite progressivement en fait. 

Comme je l’expliquais la première fois, tout s’éteint et puis il n’y a plus rien, voilà. C’est aussi simple que ça ! Alors, moi, au niveau du burn-out parce que ça été bien expliqué, enfin ça a été bien commenté, je n’ai pas vécu de burn-out. C’est vraiment une douleur profonde de petite fille intérieure qui ne se sentait pas aimée, qui a provoqué ma dépression, voilà. Le burn-out, pour moi, c’est encore autre chose. C’est un phénomène de société. 

Paul Jorion : 

Nous allons en parler parce qu’il y a pas mal d’interventions spécifiquement sur le burn-out mais avant de passer à cela, il y a une remarque tout à fait générale que j’aimerais faire, c’est à propos d’une expérience qui est racontée par une des personnes qui a fait un commentaire : c’est cette prise de conscience d’un enfant de 8 ans qu’il est mortel, que nous sommes mortels. Et l’épisode est décrit avec un contexte, c’est-à-dire que cet enfant – qui est donc un des commentateurs sur mon blog – il prend conscience de cela à un moment où il est beaucoup question de suicides dans son entourage. Il est question de deux personnes qui, dans un espace très rapproché, se sont pendues. 

Et ça, sur cette question de la dépression en général, j’ai déjà fait une remarque. En fait, c’est une remarque qui m’est venue à la lecture des Confessions de Jean-Jacques Rousseau parce que c’est lui qui en parle, je dirais, un petit peu dans ces termes-là. Jean-Jacques Rousseau parle des choses qui nous distinguent véritablement des autres animaux et il parle bien entendu de la parole, il parle de la musique aussi, mais il attire l’attention sur le fait que nous sommes sans doute… nous ne savons pas ce que les animaux en pensent, ils ont sans doute une intuition du danger bien entendu mais qu’ils n’ont pas la parole, ils n’ont pas cette capacité d’exprimer ce qu’ils ressentent face à un danger qui pourrait être mortel. Mais nous, par la parole, par la réflexion, par les discours que nous tenons entre nous et par ce que les parents disent aux enfants autour d’eux, en particulier pour parler d’une mort dans l’entourage, nous prenons conscience à un certain moment du fait que non seulement l’espèce est mortelle mais que ça nous concerne aussi.

Parce qu’on connaît ces discours des enfants qui disent : « Oui, oui, d’accord, on comprend que, voilà, comme les animaux, nous mourrons aussi. Mais pas toi papa, pas toi maman ? ». Et les parents sont obligés de dire… D’abord, ils inventent un peu une fable autour de ça : « Oui, mais ce sera dans très longtemps ! » et ainsi de suite et puis finalement non, ils doivent admettre qu’eux aussi vont mourir et alors, l’enfant fait le pas suivant : « Et moi aussi un jour, probablement ». Et nous le savons, je dirais, sur un mode intellectuel mais il faut souvent une très longue période avant que nous l’intégrions véritablement et, bien sûr, le vieillissement vous fait prendre de plus en plus conscience que, oui, ça va effectivement se passer un jour. 

Et donc, il y a quelque chose de spécial chez nous c’est que, d’une certaine manière, avec cette prise de conscience de la mortalité et de notre mortalité individuelle, nous entrons dans un état dépressif qui est propre à l’espèce toute entière, qui est certainement une expérience qui n’est pas la même pour les autres espèces. Et nous en sortons très rapidement et nous faisons le deuil de cette idée-là aussi et nous commençons à vivre et nous mettons cela, je dirais, fort entre parenthèses, au point que les gens qui font des sports extrêmes, on a le sentiment en les regardant qu’ils ont mis ça entièrement entre parenthèses ou même que la possibilité même que ça débouche sur un accident, c’est quelque chose de finalement anodin par rapport à l’expérience qui est celle de vivre véritablement. Nous avons cette capacité en tant qu’être humain. 

Nous allons dire quelques mots du burn-out mais avant, tu voulais faire quelques remarques par rapport à d’autres questions qui nous ont été posées. 

Stéphanie Kermabon : 

Oui, par rapport au fait qu’à un moment donné, la maladie, du coup… Enfin, moi, quand j’entends la maladie, j’entends « le mal a dit ». Qu’est-ce que le mal a dit en fait ? 

Paul Jorion : 

Le « mal a dit ». Tu décomposes. Qu’est-ce que le mal dit ?

Stéphanie Kermabon : 

Voilà : « le mal a dit », qu’est-ce que le mal nous dit ? Et souvent, c’est le corps en fait qui nous permet de comprendre ce que la tête n’a pas envie d’entendre, n’a pas envie de comprendre. Donc le corps agit comme une sonnette d’alarme en fin de compte.

Paul Jorion : 

Oui, il « somatise » comme on dit.

Stéphanie Kermabon : 

Voilà, il somatise. 

Paul Jorion : 

C’est-à-dire qu’il va vivre de lui-même l’expérience à laquelle nous ne voulons pas faire face et ça conduit par exemple à ce qu’on appelait les « paralysies hystériques », c’est-à-dire qu’une main, voilà, ma main a touché quelque chose et il y a une paralysie que le médecin observe. On ne peut plus utiliser la main mais ça ne correspond pas à la physiologie, c’est bizarre, c’est juste l’avant-bras, ce qui n’a pas de sens du point de vue de la médecine mais la paralysie est réelle, la personne ne peut pas utiliser son bras. 

Est-ce que nous dirions maintenant quelques mots du burn-out en tant que tel ?

Stéphanie Kermabon : 

Oui, tout à fait. 

Paul Jorion : 

Voilà. Alors, je vais embrayer là-dessus parce qu’il m’est venu un peu au fil des années une représentation de quoi il s’agit à partir, bien entendu, de conversations mais aussi, ce qui m’a permis de modéliser un petit peu, je dirais, cette question du burn-out, en fait, c’est la programmation. Je me suis posé la question à un moment donné : « Comment programmer cela ? », voilà, et c’est comme ça que je résous souvent des questions. Par exemple, j’ai résolu une question importante en anthropologie en me disant : « Quelles lignes de programmation écrirais-je pour essayer de mettre ce problème sur le papier ? », et trouver la réponse de cette manière-là. Et là, le burn-out, il m’est apparu que c’est la chose suivante. 

Nous avons, et là, plusieurs des personnes qui, sur le blog, en parlent, mettent en avant l’accumulation de tâches qu’on nous confie, voilà. Il faut qu’il y ait beaucoup de tâches qu’on nous confie mais ça ne suffit pas parce que si nous arrivons à établir une liste de priorités qui soit une bonne liste de priorités, que nous ne remettions pas en question, eh bien, c’est simplement une question d’organiser ça dans la journée : il y a des choses que nous ferons la semaine prochaine, la semaine suivante. Il y a des priorités qui nous sont définies parce qu’il y a des deadlines, il y a des échéances qui sont établies par l’entreprise, etc. Mais le burn-out apparait quand il devient impossible de garder l’ordre des priorités, quand à tout moment des ordres contradictoires nous viennent sur quel est le rang des priorités, là, il y a un moment où nous réagissons et, simplement, nous déconnectons : nous voulons sortir de cela. Et la réponse, c’est une forme de dépression : on ne veut pas se lever le matin, on ne veut pas aller au boulot. Et ça, il y a plusieurs des commentateurs qui font allusion à ça, au point qu’il y a une illustration qui est très intéressante : la personne refuse de continuer à travailler et le burn-out se répercute sur sa supérieure. 

C’est-à-dire qu’on peut avoir une cascade à ce moment-là. Elle parvenait à se sortir un petit peu de quelque chose en déléguant et cette personne-là dit : « Non, niet, c’est terminé ». Ce n’est pas conscient bien entendu, c’est le corps comme on disait tout à l’heure, le corps a embrayé et il a pris la décision…

Stéphanie Kermabon : 

Il parle à la place.

Paul Jorion : 

Il parle à sa place, voilà, exactement, le « mal a dit », a dit quelque chose. Mais ce qui est intéressant, c’est lui qui se déconnecte et sa supérieure reçoit de lui cette impossibilité d’assigner les priorités. On l’a vu dans le cas d’Orange et là, il était flagrant que c’était les ordres contradictoires : « Faites ceci. Non, faites cela, etc. Dans cet ordre-là, non, on remet l’ordre en question ». Et donc, je termine là-dessus, c’est cette incapacité… Quand j’ai voulu faire un programme pour rendre compte des choses de cet ordre-là, je me dis : « Non, c’est impossible : il faudrait réécrire chaque jour, les lignes de code parce qu’on ne peut pas… ». 

Stéphanie Kermabon : 

Ça évolue. 

Paul Jorion : 

Ça évolue ! Et ça évolue de manière improvisée au point que si on était l’ordinateur qui doit appliquer le programme, on ne peut pas : à tout moment, il est dit qu’il faut faire autre chose. Il faut toujours faire autre chose que ce qu’on nous avait dit le jour précédent. 

On a fait le tour là d’un certain nombre de questions qui nous étaient posées. Est-ce que tu as quelque chose encore à rajouter aujourd’hui par rapport à ce qu’on nous a demandé ? 

Stéphanie Kermabon : 

Oui, on a vu par rapport aux commentaires qu’effectivement, certains ont dit qu’il fallait prendre de la vitamine D, continuer le sport, etc. C’est vrai que c’est très très important par rapport à la dépression. Ça permet de bouger le corps, etc. mais moi, je vois ça plutôt en prévention, c’est-à-dire qu’en gardant nos activités, en ayant cette joie dans le cœur, là, on peut faire en sorte d’être de mieux en mieux, etc. mais c’est vrai que je pense que la vitamine D et le sport ne soignent pas, malheureusement, l’état antérieur dans lequel on se sent quand on ne se sent pas aimé, ayant du mérite, important, intelligent, enfin tout quoi.

Paul Jorion : 

Voilà. C’est tout, on arrête là pour aujourd’hui ?

Stéphanie Kermabon : 

Je pense que c’est pas mal. 

Paul Jorion : 

J’espère qu’on a encore une fois soulevé des questions importantes et qu’il y aura des commentaires. 

Stéphanie Kermabon : 

S’il y en a d’autres, n’hésitez pas ! 

Paul Jorion : 

S’il n’y en a pas d’autres, nous avons encore sûrement des tas d’autres choses à vous raconter dans le deuxième épisode de « Paul et Stéphanie ». À très bientôt. 

Stéphanie Kermabon : 

A bientôt ! 

Paul Jorion : 

Au revoir. 

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Une réponse à “Paul et Stéphanie – La dépression : réponses aux premières questions, le 4 novembre 2021 – Retranscription”

  1. Avatar de rainbow
    rainbow

    Ayant vécu un burn-out en début de carrière et étant dans le développement informatique, l’ordre des priorités qui change tout le temps je connais. Dans des PME, c’est presque la règle. Entre les clients si on est un sous-traitant qui sont tous urgents et qu’il faut satisfaire pour garder le client et les clients qui demandent des changements graphiques tous les jours et que le responsable de projet est incapable de dire non et a sous-vendu le projet mettant ensuite les développeurs sous pression en faisant porter le poids financier sur leurs épaules sans assumer, l’entreprise qui fait du développement interne dans laquelle chaque chef de département veut que le système informatique allège son travail mais qu’au centre les priorités changent sans filtre car le patron a eu une idée lumineuse un matin et que cela passe au-dessus des autres demandes ce qui fait que sur une semaine entre les urgents prioritaires, les prioritaires parce que la personne est débordée et veut ca vite vite et les moins prioritaires + gérer le ou les juniors en plus qui au lieu d’alléger le travail servent psychologiquement à accepter plus d’urgences encore qu’avant pour la direction, il ne reste souvent que deux ou trois heures pour travailler sur les vrais projets nécessaires à la meilleure gestion globale de l’entreprise plutôt que servir les desiderata de chacun. En tant que développeur dans ces conditions, travailler en dehors des heures de bureau car en dehors des heures des personnes qui vous dérangent pour garder la satisfaction du travail en se voyant avancer (quand ca change tout le temps y a rien qui avance) c’est carrément l’idée qu’on pense bonne au départ avant de se rendre compte qu’on a un corps.

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  2. @P.Jorion MERCI pour cette information encourageante. En espérant que les lecteurs s’intéressent aussi à ce que les (rares) commentatrices ont…

  3. @bb Oui, et, mon avis, la plupart (si pas la totalité) des diverses religions(et autres sectes) ont, de tous temps,…

  4. Garorock. Vous vociférer mon vieux. J ai écrit 2 fois sur le sujet des pierres qui parlent. Dont une fois…

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