U-boat, par Zébu

Billet invité

On se croirait dans un de ces films hollywoodiens de guerre sous-marine, où, alors que la situation –  forcément dramatique – est rétablie dans un calme précaire, tout à coup des boulons explosent et des trombes d’eaux surgissent au beau milieu des submersibles, forçant les commandants à condamner des compartiments entiers (et ceux y résidant avec) ou à jouer des muscles pour fermer des vannes improbables afin de sauver leurs navires et la vie de leurs équipages.

On se souvient en effet, au début du (très mauvais) film que les dits sous-marins furent dans l’obligation d’ouvrir les vannes des ballastes pour plonger dans les profondeurs abyssales de la dette publique afin d’éviter le tsunami financier qui menaçait leurs esquifs. Pire, pendant cette longue immersion contrainte, les destroyers de la finance continuaient à les grenader de spéculation quand ceux-là mêmes qui s’enfonçaient les avaient sauvé du naufrage attendu. Après avoir dû faire face aux différentes avaries sévères qu’une telle plongée subite avait provoqué dans les compartiments sociaux, malgré le changement de capitaines à la barre, les vaisseaux sous-marins continuaient de s’enfoncer, le chômage massif cette fois venant alourdir de tout son poids les brèches laissées béantes par l’explosion financière, les commandements laissant à plus tard ou à la providence le soin de les colmater.

Fort heureusement, comme dans tout (mauvais) scénario, vient un temps où le courage des équipages et leurs sacrifices, en lieu et place de la sagacité de leurs commandants, parvint à stabiliser les sous-marins dans leurs descentes infernales. On observa ainsi le ralentissement de la progression du chômage en Grèce, la crise politique italienne jugulée par le départ de Berlusconi, l’accord in extremis sur la dette aux USA et la réélection d’Obama, la stabilisation de la dette et du chômage en France, en attendant de voir s’infléchir le compteur de pression économique, entre autres submersibles ayant dû plonger en urgence. Ces derniers étaient équipés de moteurs de secours (les banques centrales), lesquels prirent immédiatement le relais des moteurs économiques défaillants, palliant aussi l’absence de sonars et de cartes de navigation politiques, donnant de puissants coups de barre lorsque les obstacles qui devaient inévitablement se présenter se présentèrent.

Ce temps, qui se prolongea quelques semaines, donna presque l’illusion que l’on avait enfin atteint le fond et qu’irrémédiablement la croissance de la remontée reviendrait tôt ou tard, question d’endurance, le tout étant aussi d’évoluer le plus silencieusement possible dans un environnement hostile où la finance continuait, de loin en loin, à balancer ses grenades, bien que sachant les sous-marins hors de leur portée du fait de leurs moteurs d’appoint, l’objectif étant néanmoins de continuer à mettre la pression sur les équipages pour éviter qu’ils ne puissent remonter à la surface et tenter de lancer les torpilles dont ils disposaient. Les suivre de loin en loin leur suffisait, d’autant que des brèches monstrueuses non colmatées continuaient de laisser s’échapper des traces qui facilitaient largement le travail de poursuite.

En règle générale, dans les (bons) films du genre, il existe à ce moment toujours une ingénieuse parade qui fait qu’un audacieux capitaine, suivi par son équipage enthousiaste, refait surface pour balancer quelques torpilles pour couler les navires ennemis, qui mettent fin à l’angoisse de l’engloutissement marin. Sauf qu’en l’espèce, et malgré de terribles menaces proférées à l’encontre de la finance, le (mauvais) scénario suivi par les commandants, une fois devenus maîtres à bord, consista à esquiver et naviguer en eau trouble, dans l’espoir que leur propre vaisseau passerait au travers des mailles du filet financier, quitte à ce que les forces adverses se déchaînent sur ceux qui auraient eu moins de chance qu’eux ; peut-être l’espérant même… Chacun pour soi et Dieu nulle part.

C’est à ce moment là que dans le genre sous-marinier arrive l’explosion spectaculaire de boulons internes, que trop de pression ou les attaques incessantes provoquent : meurtre d’un rappeur militant antifasciste en Grèce par un néo-nazi d’Aube dorée, suivi d’une menace de démission des élus de ce même parti pouvant induire des élections partielles ravageuses, menace provoquant elle-même l’arrestation des élus concernés sous la pression d’une énième mission de la Troïka, refus des républicains aux États-Unis d’intégrer « l’Obamacare » dans le projet de budget provoquant une tension phénoménale sur la cessation de paiement public, démission des élus du parti de Berlusconi pouvant amener à de nouvelles élections, lesquelles feraient émerger le sous-marin italien sous le feu de la finance internationale, etc.

Dans le sous-marin français, le « Redoutable », ce fut un tout petit boulon, vert celui-là, qui fondit, sous l’effet d’un budget au verdissement jugé trop pâle. Boulon qui exprima sa menace de sauter sous quelques jours et qui fut remplacé sous la pression, avant qu’un autre ne saute définitivement, sans toutefois plus de dommages, en apparence du moins. Car entre-temps, le Captain Security, droit sous son casque, donnait des coups de menton sous la jugulaire, le regard fixé sur la ligne bleue des sondages et ceux-ci étaient bels et bons : les Roms faisaient péter les plombs aux officiers qui en venaient aux mains pour mieux s’agripper au pouvoir, sous le regard impavide du Commandant et devant tout l’équipage.

« Sur-Roms », devrait-on dire, que ceux qui, quelques milliers à peine, étaient en capacité de mettre en danger la capacité (nucléaire) d’insertion du « Redoutable » mais aussi de cohésion au sein de l’équipe aux commandes du navire, tant il est vrai que le cap des élections municipales s’approchait et que certains au sein de l’équipage exprimaient la nécessité de donner un (bon) coup de barre à droite, dans l’espoir que celle-ci ne vint leur ravager les flancs dans toute leur extrémité.

Il va sans dire que pendant que tous ces boulons explosent comme (mauvais) bouchons de champagne à la kermesse, l’eau ne cesse d’envahir les compartiments, sous l’œil navré de l’équipage qui commence à se dire qu’il est bien dommage que l’on ne soit pas à la surface pour pouvoir les jeter par-dessus bord, pendant que certains commencent à projeter de prendre le pouvoir en les éjectant par les tubes lance-torpilles, sans rien résoudre de la situation vécue.

Les sous-marins continuent donc de sombrer, la pression extérieure ainsi croissante faisant peser tout son poids sur l’ossature des navires, lesquels risquent à chaque instant de se désagréger en morceaux ou d’imploser. Les commandants restent à la barre, maintenant un cap dont ils ignorent où il conduit, en l’absence de sonar mais aussi de volonté de refaire surface pour en finir une fois pour toutes avec la finance qui les bombarde impunément, pendant que les officiers se déchirent à la vue de tous, certains détournant sciemment l’attention sur un minuscule rivet accusé de nous faire couler, accusation pour le moins baroque et cynique au sein d’un tel naufrage.

Toute la question se résume à cette équation : combien de temps, étant donné le contexte, et qui de l’équipage ou du sous-marin, pourra continuer à accepter un tel foutoir sans se rebeller ou exploser/imploser ? Et pendant ce temps, le verre à la main, la finance nous transmet la recette du cocktail qu’elle sirote sereinement sur le pont : la grenade spéculative dégoupillée.

Quelqu’un peut-il appuyer sur le bouton stop de la télécommande ?

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