À QUOI TIENT PARFOIS LA BONNE SANTÉ DES BANQUES, par François Leclerc

Billet invité.

On s’en voudrait presque de revenir sur un sujet que l’on aurait pu croire épuisé : l’état réel des banques européennes. Pour tout dire, elles n’iraient pas aussi bien que prétendu, et la confirmation pourrait en être donnée – une fois n’est pas coutume – par la Commission de Bruxelles qui mène l’enquête et cherche à se faire sa religion, poussée par des députés européens qui veulent en avoir confirmation.

Ses investigations l’ont conduite sans coup férir en Italie, en Espagne, au Portugal et en Grèce, où un ingénieux dispositif comptable a permis aux banques d’afficher une fausse bonne santé. On feint aujourd’hui de s’émouvoir de cette sombre histoire « d’actifs de taxe différés », de cette cuisine douteuse dans laquelle les gouvernements ont trempé et sur laquelle personne n’a été très regardant quand ces expédients ont été utilisés pour consolider – faute de mieux – les fonds propres des banques, et plus précisément leur noyau : les « fonds propres durs » (dans le jargon, le « core tier one »). Ce qui leur a ensuite permis de passer les tests de l’Autorité bancaire européenne (EBA) et de la BCE à l’automne 2014.

En application d’un mécanisme passablement pernicieux, les « actifs de taxe différés » en question résultent de la conversion des pertes des banques en crédits sur les impôts futurs, en anticipation – à tort ou à raison – de leurs futurs bénéfices imposables (*). Dans cette logique, plus une banque enregistre de pertes, plus l’appel à ce mécanisme permet de providentiellement renforcer son capital, en attendant qu’elle se rétablisse. Quand il s’agit de produits ou de charges différés, la comptabilité est pleine de subtilités, comme c’est le cas lorsque des charges d’exploitation sont inscrites au compte d’investissement au prétexte qu’elles devraient générer des produits, afin de soulager le compte d’exploitation.

Ces actifs d’un troisième type auxquels le statut de « fonds propres durs » a été accordé de manière douteuse en représenteraient la bagatelle de 30 à 40 % dans les banques des quatre pays en question. De quoi s’interroger sur la solidité de ces établissements, si une bourrasque survenait, car ils résultent uniquement d’une écriture comptable. La BCE aurait-elle donc été bernée lors de son « évaluation de la qualité des actifs », ayant à l’automne 2014 déclaré ces banques bonnes pour le service ? Rassurons-nous, elle avait bien à l’époque émis quelques doutes, mais sans insister. Danièle Nouy, en charge de la supervision bancaire en son sein, avait ensuite relevé que la définition du capital était encore très variable selon les pays européens, sans entrer dans le vif du sujet. Le communiqué de presse de la BCE résumant les conclusions de son travail d’évaluation, avait d’ailleurs soulevé le « manque de cohérence de la définition des fonds propres ainsi que de leur qualité ». Mais le propos se voulait rassurant, les disparités réglementaires admises par la directive européenne traitant du sujet étant appelées à se « réduire progressivement au cours des prochaines années ». De fait, il est bien prévu d’en finir avec cet expédient d’ici à 2019, les banques allant devoir solidement renforcer leurs fonds propres en remplacement. Attendons de voir la suite.

Rétrospectivement, on croit comprendre que la BCE a pudiquement baissé les yeux devant un très sérieux facteur de fragilisation des banques, afin de leur donner le temps de revenir dans le droit chemin. Le meilleur serait toutefois à venir, si les demandes d’information de la Commission devaient confirmer les faits. Quelle piste ses limiers suivent-ils en effet ? Celle d’États qui pourraient être mis en cause pour « aide illégale » aux banques…

C’était dans notre série : « On en découvre tous les jours ».

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(*) Les actifs de taxe différés sont souvent banalement présentés comme résultant de la différence entre résultat comptable et résultat fiscal. Circulez, il n’y a rien à voir ! Le texte de la norme comptable IFRS est pourtant très clair : « un actif d’impôt différé doit être comptabilisé dans la mesure où il est probable que l’on disposera de bénéfices imposables futurs sur lesquels ces pertes fiscales et crédits d’impôt pourront être imputés » (IAS 12).

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