IL N’Y A PLUS AUCUN DOUTE SOUS L’ACROPOLE, par Panagiotis Grigoriou

Billet invité, en réponse au dernier billet de Michel Leis

Merci pour votre analyse, j’espère qu’elle servira au moins encore à  dissiper le doute là où l’instauration de la nouvelle religion – l’économie – n’a pas encore détruit et de manière irrémédiable l’économie réelle. Je pense que votre analyse est désormais mutatis mutandis partagée par la majorité des Grecs. Désormais, c’est-à-dire depuis que de nombreux analystes bien d’ici et d’ailleurs connaissent toujours un large écho à travers l’opinion. Dans une bonne partie de son discours d’ailleurs, le parti de la Gauche radicale et d’Alexis Tsipras ne dit pas autre chose.

Sauf que rien, vraiment rien ni personne, n’a pu s’opposer efficacement à la mise en place du Nouveau régime de la Troïka, si ce n’est qu’en y apportant un semblant de modération. Nous savons presque tout sur notre situation, mais la société laminée, et pour tout dire en phase de fascisation pour une de ses composantes en tout cas, n’a ni la force ni encore moins la méthode pour y faire face.

La question et d’ailleurs l’aporie, chez nous c’est « que faire? » Le paradigme disons anthropologique du « citoyen » de type occidental tel qu’il est devenu depuis (et en dépit du fait que la Grèce faisait également preuve de certaines particularités quant à la mise en œuvre du régime démocratique de ce type), surtout depuis l’émergence de l’église dominante de l’école néolibérale, ne ferait pas de lui (du « citoyen ») un « vecteur » de sa vie, et encore moins de l’ensemble des représentations dominantes qui lui seraient alors liées.

La population grecque subissant le choc durable depuis le premier mémorandum et jusqu’à sa quatrième version depuis avant-hier, peine à trouver une issue. D’ailleurs, nous ne sommes plus nous-mêmes, y compris dans certains de nos « petits gestes »… Et quant aux grands, c’est d’autant moins évident.

Les plus lucides d’entre nous finissent pas comprendre le sens de la « nouvelle historicité » : notre régime politique relève d’une variante en gestation se situant entre la « territorialisation » du pays, l’effondrement social et sociétal durable, ainsi que l’instauration d’une forme de dictature, où en plus du tribunal de l’Inquisition que vous mentionnez à juste titre, il faut également reconnaître que le rôle de la congrégation pour la mise en œuvre d’un nouvel obscurantisme est autant magnifiquement tenu par les instances européennes, tandis que la Troïka reste en effet parfaite dans la mise en œuvre du contrôle sur place.

Il en est de même de la visite du ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, le jeudi 18 juillet. Comme je le notais sur mon blog (greekcrisis.fr), notre centre-ville s’est transformé en zone interdite. Tout rassemblement et manifestation sur la voie publique ont été interdits, de 8h du matin et jusqu’à nouvel ordre du haut commandement de la Police. De nombreuses routes et rocades ont été « neutralisées » par les forces de l’ordre et enfin, certaines stations du métro sont restées fermées jusqu’à la fin de la visite du ministre allemand des finances. La prise de photographies en dehors des reporteurs accrédités a même été interdite durant un bon moment autour de la place de la Constitution et les policiers ont procédé à des contrôles dits « préventifs parmi les passants ».

Une telle visite de quelques heures seulement, participe ainsi et en l’accentuant, à cette « événementialité offshore », rendue si apparente jusqu’à sa caricature. Comme pour l’énième adoption du mémorandum par le « Parlement », s’agissant plus précisément du mémorandum V, dont l’adoption est survenue tard dans la nuit du 17 juillet.

Peut-être que certains seront toujours « très impressionnés par ce que la Grèce a déjà réalisé en matière de rééquilibrage budgétaire et de modernisation de l’économie », car en effet et à part la suppression de toutes les polices municipales du pays, du corps des gardiens scolaires en entier, ainsi que d’une partie des postes d’enseignants dans le secondaire technique et professionnel – ce qui n’est qu’un début -, ce mémorandum va encore plus loin. Ce samedi, la presse prédit les fermetures prochaines d’un certain nombre d’hôpitaux, qui seraient alors programmées pour ce mois d’août. En cas de problème de santé, tant qu’à faire, autant demeurer alors sur une île et ne plus en sortir, même malade ! Après tout, la Grèce n’existant plus, l’Égée demeurera ! Nous voilà alors « îlotiers » d’un grand cimetière… marin. Nos touristes pourraient peut-être apprécier.

Plus sérieusement, je dirais que le nouveau régime économiste, se « débarrassera » complètement des restes ou apparences démocratiques restants. D’où une certaine « utilité » prévisible à ces seules fins de l’Aube dorée par exemple, ce n’est plu à exclure. Nous aurions alors les lois Hartz… plus le fascisme, qui d’ailleurs ne sera pas comme ses versions précédentes et ceci en dépit de l’imaginaire historique de nos gauches par exemple.

En attendant : « Certes, il serait exagéré de dire – que dans la Colonie les choses vont à souhait. – Ainsi, et malgré quelques progrès, – nous ne pouvons que prêter l’oreille – à ceux qui insistent qu’il est grand temps – de s’adresser à quelqu’un de compétant – en matière de Réformes », écrivait le poète d’Alexandrie, Constantin Cavafy. Le titre de son poème est plus qu’évocateur: « Dans une grande colonie grecque, 200 av. J.C. », et on peut lire ce poème en entier, entre autres, traduit par François Sommaripas. Et tandis que nos contrôleurs comme dirait Cavafy, « plus ils jaugent et ils contrôlent, plus ils trouvent superflues des choses dont on ne peut pourtant se séparer, nous autres valides », nous, place de la Constitution, nous suivions alors Stelios religieusement : « On ne peut pas se séparer de la dignité humaine. Nous nous devons ce courage, cet énorme courage entre nous, nous sommes ici présents, pour dénoncer l’infamie, mais nous sommes ici surtout, pour dire que notre dignité reste et restera debout et de même, entière ». Sur son fauteuil roulant, Stelios Kymbouropoulos donnait déjà le ton, la lettre et surtout l’esprit du courage et de l’indignation, cette dernière transformée en amertume deux ans après la place des « Indignés ». C’était mardi 16 juillet au soir, place de la Constitution. Stelios, psychiatre talentueux ayant exercé à l’hôpital Attikon et handicapé, aime de toute manière le contact de la sociabilité. Pour ce mardi soir, il avait même suggéré aux manifestants d’apporter des bougies, pour les allumer à temps lors du rassemblement, « comme si c’était une fête d’anniversaire », nous dit-il.

C’est aussi vrai, vous avez raison : « De tout temps et en tous lieux, il faut se méfier des détenteurs d’une vérité révélée qui entendent faire de leur croyance individuelle une vérité universelle. Outre qu’ils sont peu accessibles aux réalités qui se trouvent hors du champ de la foi, leur prosélytisme est sans limites. Brûler des hérétiques ne leur fait pas peur et les guerres au nom de la religion sont une constante de l’histoire de l’humanité. », mais nous en sommes déjà (et d’ailleurs brûlés) !

Nuit d’Athènes et « nuit » tout court dans un sens… politique.

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