« Populisme » est en France aujourd’hui un élément de langage pour discréditer toute revendication de démocratie réellement vraie, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité.

Dans mon billet précèdent : Convoquer en 2014 les États généraux de l’Union Européenne, je n’ai pas explicité la source de l’expression « États généraux ». Louis XVI a convoqué les États généraux pour mettre en délibération la constitution financière de son royaume. L’Etat central de la France était en faillite par absence de constitution économique adossée à une constitution politique agréable à tous les sujets du Roi. La finance, le crédit et la monnaie ont été le catalyseur de la révolution politique consistant à constituer l’économie des droits sur une égalité réelle et solidaire devant la loi.

Comme tous les Français, Louis XVI a été fait citoyen de la République monarchique enfantée par les États généraux. La révolution française issue des Etats généraux a été un succès du point de vue de la théorie politique de la démocratie mais un échec pratique sur le plan de l’économie des droits. La stabilité financière et monétaire a été établie par Napoléon sur la mise en parenthèse de la démocratie.

L’esprit de la République française s’est répandu dans toute l’Europe, détaché de son inspiration démocratique. La démocratie pensée par les États généraux français à partir des cahiers de doléance est restée une théorie sans réalité pratique dans l’ordre de la politique étatique et des institutions politiques.

En réalité, la démocratie n’existe dans aucun État d’aujourd’hui. Le Royaume Uni et les Pays-Bas ont fait leur révolution au XVIIème siècle contre les monarchies financières et contre la démocratie réelle. Les États-Unis se sont fondés sur une constitution purement financière contre la fiscalité du Parlement de Londres.

Le dollar qui est nominalement la monnaie du monde d’aujourd’hui est un assignat permettant de spéculer librement sur le prix réel des dettes publiques. L’euro est stricto sensu un produit dérivé du dollar et du deutschmark qui réserve aux oligarchies financières le produit des impôts. Remarquons qu’il n’y a jamais eu de révolution politique en Allemagne.

La question de la démocratie n’a jamais été concrètement posée. La répartition de la richesse et la propriété du capital productif n’est discutée que par la bourgeoisie et les aristocraties politiques, financières et industrielles. L’Union Européenne a été construite sur une alliance des oligarchies intellectuelles et économiques de l’Allemagne, de l’Italie et de la France. Le principe de cette union a toujours été clair : empêcher le peuple d’interférer dans les affaires du monde qu’il ne peut pas comprendre. « Populisme » est en France aujourd’hui un élément de langage pour discréditer toute revendication de démocratie réellement vraie.

Le Front National est la réaction « populaire » au consensus oligarchique européen et mondialiste. Le mot « front » dit ce qu’il veut dire : une façade de sentiments aussi disparates et vrais que ceux qui s’exprimèrent dans les cahiers de doléance. Le mot « national » signifie une communauté d’intérêts volontairement communs mais en réalité abstraits et contradictoires. L’idée du FN, c’est l’existence et la nécessité de la nation qui s’exprime. Evidemment dans le contexte d’aujourd’hui, si le peuple s’exprime en tant que nation c’est contre les appareils politiques, contre les institutions et contre la négation des peuples par la globalisation et le libre-échange. L’habileté de l’appareil politique du FN est de rester très confiné comme dans les autres partis et de produire les éléments de langage qui collent aux sentiments de la base au lieu de les moquer. Dans les faits, le FN n’est dangereux que pour les autres partis et pour les institutions ploutocratiques dont il constate la faillite. Dans la réalité de la démocratie bâillonnée, le FN ne change rien car il s’inscrit exactement dans les mêmes cadres et hypothèses que les autres partis.

Comment fait-on respecter la loi quand elle n’est pas la même pour tous ? Comment conserver l’instrument monétaire quand l’endettement public n’est pas vérifiable par les citoyens ? Comment établir la propriété quand il n’y a plus d’autorité publique politiquement légitime ? Comment contrôle-t-on des frontières quand les limites ne sont plus visibles ? Comment régler des droits par des obligations quand les signes monétaires sont réservés par la loi à des intérêts privés spécifiques ?

Le FN est structurellement un outil de désintégration politique par la virtualité financière. Du point de vue des professionnels de la spéculation politique, c’est un outil comme un autre sur le marché du pouvoir. Mais c’est un outil puissant car il mime la démocratie à la différence des autres partis et idéologies qui dénient toute réalité à la démocratie et n’ont donc pas de crédibilité populaire. Le pourcentage du FN dans les sondages peut faire varier la prime de crédit de l’État français ou la prime de liquidité de l’euro sur le marché des changes. Il est peu probable que le FN change quoi que ce soit aux rapports de force réels et à la possibilité d’existence réelle de la démocratie. En revanche, le FN est un outil efficient de spéculation pour soumettre la décision politique à la dictature financière qui produit l’instabilité systémique favorable aux ploutocrates.

Cette situation de retournement de la réalité contre une vérité nouvelle émergente est exactement de même nature que celle qui a forcé Louis XVI à convoquer les États généraux. Il suffit juste d’imaginer que la nébuleuse FN joue le rôle du clergé d’alors qui faisait lien entre toutes les classes économiques de la société politique.

L’enjeu d’aujourd’hui est de reposer à l’échelle de l’Europe la question de 1789 qui n’a pas accouché de la démocratie. Le moment est arrivé car les finances du monde sont à sec comme les finances du royaume de France. Les mêmes excès de la ploutocratie ont conduit à la même impasse économique. Les mêmes dissensions au sein des élites conduisent à solliciter l’arbitrage du peuple.

Les cahiers de doléance sont déjà rédigés sur la Toile et il faut convoquer des représentants pour les transformer en constitution et en lois d’application des droits de l’homme et du citoyen. Au pire le FN rajoute de la confusion et de la contradiction dans une situation que la ploutocratie a rendue chaotique. Au mieux le FN pose des questions pertinentes auxquelles il ne peut pas et ne sait pas répondre comme les partis dits de gouvernement.

Les vraies batailles ne se déroulent pas dans les partis et les mouvements politiques de surface. Elles portent sur les structures de la pensée et du discours qui permettent les différentes réalités possibles dans le champ de l’économie politique. Les États généraux de l’Union Européenne sont la requalification du Parlement Européen à quoi pourrait conduire la montée des populismes aux prochaines élections. Si les nouveaux cadres de pensée sont formulés en conditions financières de résolution de l’instabilité systémique, les oligarchies n’auront pas d’autre réponse à proposer à la « menace populiste » qu’une confédération européenne des démocraties nationales qui rende les peuples solidaires et responsables par la monnaie commune du vivre ensemble.

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