Les processus financiers enclins à l’emballement

Adrien de Tricornot m’interroge sur « les conséquences à tirer de la crise bancaire et financière en terme de régulation ». Son article s’intitule « L’essor des produits dérivés a accru le coût du risque » et a paru dans l’édition du Monde datée du mardi 5 février. Voici ma réponse à ses questions :

L’effet d’emballement – aux conséquences potentiellement catastrophiques – caractérise la dynamique de certains processus qui sont au cœur même du fonctionnement des systèmes financiers. Les trois principaux processus de ce type sont :

1) la valorisation spéculative : c’est le fait que le prix d’un produit soit autorisé à évoluer selon sa propre dynamique, en décollant du prix de ses fondamentaux, c’est–à–dire de ses composantes. Dans le cas de la bourse, les investisseurs se focalisent du coup sur la plus–value du titre plutôt que sur ses dividendes et la dimension « loterie » l’emporte sur une logique de placement sûr. La valorisation spéculative favorise le risque systémique que constitue la tendance du prix à tendre vers zéro : c’est le phénomène du krach.

2) l’effet de levier : c’est le fait que l’on puisse multiplier ses chances de gain et son risque de pertes. Le moyen le plus courant consiste à emprunter les sommes que l’on joue. Dans le cas qui fait la une de l’actualité, celui des « monolines » ou « rehausseurs de crédit », le multiplicateur atteint le chiffre faramineux de 140, conduisant au risque systémique que l’on observe aujourd’hui : la perte totale qui résulterait de la faillite de ces assureurs d’obligations se chiffre à 820 milliards de dollars.

3) les produits dérivés : c’est la possibilité qui est offerte de répliquer dans un nouveau produit « synthétique », les chances de gain et le risque de pertes d’un produit déjà existant, appelé son sous–jacent. Ainsi, les credit–default swaps créent une assurance « virtuelle » contre le risque de défaut d’une entreprise ou d’un produit financier. Ils permettent non seulement à des agents qui sont réellement exposés à ce risque de se couvrir contre lui (stratégie de « couverture ») mais également à d’autres qui ne le sont pas, de s’assurer contre ce risque « virtuel », comme s’ils y étaient exposés (stratégie « directionnelle »). Comme rien ne limite le nombre de ces derniers, le volume de ce type d’assurance peut gonfler indéfiniment, créant un risque systémique si les assureurs se révèlent insolvables. Le montant d’exposition actuellement garanti par des banques ou des fonds d’investissement spéculatifs (« hedge funds ») à des credit–default swaps s’élève à 45.000 milliards de dollars.

Il existe sans doute au sein des systèmes financiers des pare–feux locaux visant à circonscrire les effets les plus désastreux de ces processus prédisposés à s’emballer mais aucune tentative n’est entreprise pour les éliminer systématiquement étant donné qu’ils sont considérés essentiels au bon fonctionnement des marchés.

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3 réponses à “Les processus financiers enclins à l’emballement”

  1. Avatar de Yogi
    Yogi

    820 millions de dollars ?? Peanuts !

    [PJ : oui, c’est une coquille. il faut lire « milliards ». Merci !]

  2. […] Si la récession qui s’annonce aux États–Unis devait se transformer – ce qu’à Dieu ne plaise – en Grande Crise, les responsables en sont déjà connus : ce sont ces contrats dérivés qui créent du risque de toute pièce en permettant de parier sur un risque réel couru ailleurs et par quelqu’un d’autre. Il suffit à tout parieur éventuel de se trouver une contrepartie prête à parier au contraire que ce risque ne se matérialisera pas. Le montant du pari ne dépend que d’eux et peut ainsi déboucher sur des sommes extravagantes, comme les 45.000 milliards de dollars auxquels s’élève l’exposition actuelle des credit–default swaps garantis par des banques ou des fonds d’investissement spéculatifs (« hedge funds »). J’ajoute – comme si cela ne suffisait pas – que le secteur est non–régulé et que les contreparties ne sont nullement requises de constituer des fonds de réserve. J’écrivais dans Les processus financiers enclins à l’emballement à propos des credit–default swaps qui appartiennent à cette famille d’instruments financiers : « Ils permettent non seulement à des agents qui sont réellement exposés à ce risque de se couvrir contre lui (stratégie de « couverture ») mais également à d’autres qui ne le sont pas, de s’assurer contre ce risque « virtuel », comme s’ils y étaient exposés (stratégie « directionnelle »). Comme rien ne limite le nombre de ces derniers, le volume de ce type d’assurance peut gonfler indéfiniment, créant un risque systémique si les assureurs se révèlent insolvables ». […]

  3. […] Là où nous sommes d’accord, c’est sur la « finance très amaigrie ». Tu dis « le poids de la finance est passé de 5% à 25% » et tu as raison mais ça n’a rien à voir avec la monnaie : c’est parce qu’on a laissé la finance parasiter l’économie réelle de la production, de la distribution et du partage des revenus. C’est là qu’il faut concentrer l’effort et de manière urgente parce que c’est l’obésité de la finance qui fait qu’elle est en train de s’écrouler sous son propre poids. Et ce à quoi il faut s’attaquer, selon moi, c’est aux trois facteurs que je mentionnais dans Les processus financiers enclins à l’emballement : […]

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