L’avenir des banques

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Les journaux pensent déjà à la rentrée et on me pose la question : « L’avenir des banques ? » Je réponds ceci.

Banques commerciales et banques d’investissement. Commençons par les plus mal en point : par les secondes. Leur bonne santé reposait sur les commissions perçues sur l’émission d’instruments financiers sophistiqués dont l’existence supposait une perception faussée du risque – ces produits ont aujourd’hui pratiquement disparu. Leur bonne santé reposait aussi sur le rendement de leur portefeuille en produits structurés – du fait de la crise de l’immobilier, ces produits sont passés sous la barre de leur rentabilité minimale. Leur bonne santé reposait enfin sur l’activité spéculative de leur salle de marché – d’une part celles-ci disposent aujourd’hui de beaucoup moins de fonds à consacrer à ces opérations et d’autre part, les contraintes auxquelles elles sont soumises s’accumulent en raison du réveil des régulateurs dont la mission d’urgence est de sauver ce qui peut encore l’être et qui sont désormais aux aguets, traquant les rumeurs désobligeantes et restreignant l’exercice de la vente à découvert, pour mettre un frein aux paris à la baisse.

Bear Stearns a disparu en mars, absorbée par la banque commerciale J. P. Morgan Chase. Lehman Brothers est portée à bout de bras par les autorités, la chasse aux ragots et la mise au pas des « short sales » ayant été instaurées à son expresse attention. J’ai parlé hier de Merrill Lynch et vos commentaires ainsi que ceux de Nouriel Roubini soulignent que la situation est sans doute encore bien pire que celle que dressait mon portrait pourtant déjà particulièrement affligeant.

Même donc si les quatre derniers grands courtiers de la place de Wall Street parviennent à survivre – aidés par les miroirs et les écrans de fumée que la Fed, la SEC, etc. leur prodiguent en ce moment, les secteurs qui leur étaient véritablement rentables ont soit disparu, soit sont maintenant sous tutelle si étroite qu’on voit mal comment, si elles se maintiennent à leur taille actuelle, leur seuil d’insolvabilité ne sera pas rapidement atteint. On trouvera bien encore, pendant un certain temps, des fonds souverains, des « private equity » ou des « hedge funds » prêts à leur avancer – profitant de leur faiblesse – des fonds à des taux usuraires, mais on s’apercevra a posteriori que cela n’aura contribué qu’à accélérer leur perte.

Qu’adviendra-t-il des fleurons de Wall Street ? Ils subiront le même sort que Solomon Brothers en 1998 et Bear Stearns en mars dernier : ils seront absorbés par des banques commerciales où leur activité se poursuivra sous une forme résiduelle à gérer ce qui survit encore de l’activité qui marqua leur grandeur passée : par exemple, trier les prêts à qui il reste une chance d’être un jour remboursés pour les ré-empaqueter ensuite sous un nouveau nom, comme on le fait en ce moment avec les CDO dont la partie saine est reconditionnée sous le nom de « Re-Remics ». Bien sûr, si on leur en offre la possibilité, les ingénieurs financiers mettront au point de nouveaux instruments dont l’inventivité dépassera une fois de plus l’imagination, mais il faudra pour cela cinq à dix ans.

Les banques commerciales s’en sortiront mieux que les banques d’investissement puisqu’il leur restera toujours les dépôts de leurs clients mais leurs résultats seront plombés par le fait qu’elles ont voulu elles aussi jouer aux petits jeux de leurs consoeurs. La possibilité leur en a toujours été offerte en Europe tandis qu’elle s’est ouverte à elles aux États–Unis en 1991 par l’abrogation du Glass-Steagall Act de 1933 qui les avait jusque là protégées, elles et leurs clients, contre les aventures. Leur sort dépend aujourd’hui de l’ampleur maximale que prendra la crise de l’immobilier. Or, sur ce front-là, on le sait, les nouvelles sont loin d’être bonnes : l’indice Case-Shiller a atteint en mai, son plus mauvais chiffre jusqu’ici : dépréciation du parc immobilier résidentiel américain de 16 % sur un an pour les 20 principales métropoles du pays.

Et il existe là un cercle vicieux puisque la mauvaise santé des banques commerciales, leur course à la recapitalisation, affecte leur capacité à prêter, ce qui contribue à déprimer encore davantage l’immobilier. Si leur survie n’est donc pas aussi compromise que celles des banques d’investissement, elle n’en est pas pour autant assurée. Quelle serait l’attitude des autorités financières américaines si l’une d’entre elles se révélait insolvable dans les mois qui viennent ? Citigroup nous donne des frayeurs depuis six mois mais étant grosse, dispose encore de réserves ; Wachovia, le numéro quatre, est elle de plus en plus pâle et fluette. Les Britanniques ont nationalisé Northern Rock. Les Américains ont officiellement re-nationalisé aujourd’hui les Government–Sponsored Entities, Fannie Mae et Freddie Mac, même si l’on préfère ici éviter cet épithète en raison de ses relents supposés de « socialisme ».

On dit à propos du New Deal rooseveltien qu’il fut largement « improvisé ». Ce ne sera pas le cas des mesures que l’on prend cette fois puisqu’il peut précisément servir d’exemple. N’ayant pas lu la presse de 1933, j’ignore si elle offrait au public de l’époque des explications aussi détaillées du mécanisme de la crise que celles auquel il a droit aujourd’hui. Suggérait-elle comme maintenant – et ceci sur la plus grande partie du spectre politique – que les bonnes fortunes de l’ultra-libéralisme sur une période de vingt ans furent peut–être simplement accidentelles ?

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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2 réponses à “L’avenir des banques”

  1. Avatar de Armand

    « des régulateurs […] restreignant l’exercice de la vente à découvert, pour mettre un frein aux paris à la baisse ». Il s’agit d’une *certaine* forme de vente à découvert, la « *naked* short » qui est, et était déjà, illégale, mais que la SEC ne traquaient pas vraiment, alors qu’elle était, et est toujours, peut-être, pratiquée par ceux-là mêmes qu’elle cherche, et eux seuls, aujourd’hui à protéger. Bref, l’art de se prévaloir de ses propres turpitudes tout en continuant, peut-être, à les pratiquer avec les encouragements, hier et aujourd’hui, des autorités.

    Quant aux banques commerciales normales, elles ne peuvent plus pratiquer leur métier de prêteurs même sur des dossiers sains, ce qui conduit à quelques petits problèmes économiques …

    « les bonnes fortunes de l’ultra-libéralisme sur une période de vingt ans furent peut–être simplement accidentelles ? » je le prends avec ironie et supposant qu’il me faille entendre que « l’accident » ne devait rien au hasard ni à la chance mais tout à l’organisation. Tant que les « Nous le Peuple » paient …

  2. Avatar de Rumbo
    Rumbo

    Suite à la proposition que les banques centrales, européenne et suisse, puissent faciliter l’octroi de crédits étendus aux banques, il s’agit d’un « signal fort » pour Hervé Juvin, président de l’institut ‘Eurogroup’ (au passage, pourquoi pas de e à eurogroup?…) entendu sur radio BFM, hier 30 juillet 2008.

    « S’il y a une action concertée, ce n’est pas que la maison brûle, mais que la situation est grave. C’est que, sans doute, on ne nous a pas tout dit. Il est très intéressant d’attendre la publication des résultats semestriels, par exemple des grandes banques européennes. S’ils étaient triomphants, ces résultats devraient ramener la confiance. Il y a probablement une semaine ou dix jours qu’ils nous auraient été annoncés… S’il y a action pour sauver des systèmes bancaires, ou des établissement bancaires de taille moyenne, ou de grande taille, c’est bien parce que la crise n’est pas financière, c’est une crise bancaire. Et la menace, évidemment, c’est quelque part, sinon une paralysie, du moins un ralentissement très fort de l’activité. Et la grande question posée à tous les directeurs des banques centrales, comme aux directeurs du trédor et aux ministres de l’économie: serons-nous, oui ou non, en récession en 2009? »
    Mon commentaire estque si on a beaucoup parlé de crise financière, c’est pour ça, je l’ai dit avant, il y a une crise bancaire et monétaire. C’est davantage basique que: crise financière.

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