Le Monde Economie, lundi 5 janvier

L’impréparation devant la crise

Les premiers jours d’une année nouvelle ont valeur psychologique en raison du bilan que l’on établit alors de celle qui vient de s’écouler : on tourne le regard en arrière et l’on soupèse. L’expression qui vient à l’esprit quand on contemple ainsi 2008, c’est : « le champ couvert de morts ». Et il ne s’agit pas comme le plus souvent à la guerre, de piétaille seulement : des généraux en furent cette fois les victimes, tels Bear Stearns, Lehman Brothers, Merrill Lynch, Fannie Mae, Freddie Mac, Wachovia, Washington Mutual, AIG ou Countrywide, et en Europe : Fortis, Hypo, ainsi que les banques britanniques et islandaises. Parmi les survivants, beaucoup de grands blessés, comme Citigroup, et les deux banques d’affaires rescapées de justesse, Goldman Sachs et Morgan Stanley.

Les fleurons de Wall Street étaient prétendument invincibles. Au lieu de cela, le symbole de la finance assurant une fois pour toutes sa domination sur le monde est en ruines. Le contraste entre l’ambition démesurée qui avait été affirmée et le caractère absolu de la déroute observée souligne encore davantage l’étendue du désastre : la chute d’un empire qui avait été promis pour mille ans est tout spécialement dérisoire. Et la tragédie avait éclaté dans un ciel pourtant sans nuages : la finance qui s’effondra en un peu plus d’une année avait obtenu la caution de tous, de la droite qui lui était naturellement acquise à la gauche qui s’était bien sûr fait tirer l’oreille. Quand cette belle unanimité fut finalement acquise, l’édifice monumental que chacun admirait alors en se congratulant mutuellement, s’écroula d’un seul coup.

Mr. Paulson, le secrétaire américain au Trésor, à qui l’on reproche les atermoiements et les changements de cap multiples qui caractérisèrent ses tentative d’endiguement, déclarait mardi dernier dans un entretien au Financial Times : nous n’imaginions pas l’ampleur du mal, nous n’étions pas prêts, nous ne disposions d’aucuns des moyens qui nous auraient été nécessaires.

Aujourd’hui, les corps sont alignés sur les tables de dissection et l’on découvre avec stupéfaction l’état déplorable des organes vitaux de ces grands gaillards que l’on imaginait pourtant vigoureux. Seule la fuite en avant leur conférait semble-t-il leur élan et le fonds Madoff ne constitue que la forme extrême, caricaturale, du business plan qui régnait en maître à Wall Street il y encore un an.

Les propos de Mr. Paulson sont très humbles et il loue aussi les mérites de ceux qui se préparent à lui succéder. J’ignore si cette humilité l’a toujours caractérisé où s’il s’agit d’une leçon qui lui fut inculquée par les événements qui émaillèrent 2008. S’il souligne que les moyens pratiques lui firent défaut, il faut ajouter qu’il en va de même des moyens théoriques.

On entend dire aujourd’hui, au spectacle de la déroute intégrale de la science économique dominante, celle que l’on appelle aussi « l’École de Chicago », que sa déconfiture signifie la victoire de ses ennemis traditionnels : le marxisme et le keynésianisme. Il s’agirait bien entendu au mieux pour les chefs de ces écoles d’une victoire posthume, car ils nous ont quitté il y a longtemps. Rappelons aussi que leurs théories ne furent pas ignorées sans autre forme de procès : elles furent testées sur le terrain – même si ce ne fut sans doute pas sous la forme exacte qu’ils leur avaient imaginée – et qu’elles subirent la même sanction que celle infligée aujourd’hui à « l’École de Chicago ».

Il serait bon alors que les économistes fassent preuve de l’humilité que l’on voit aujourd’hui à Mr. Paulson : eux non plus n’envisagèrent pas l’ampleur du mal en gestation, eux non plus n’étaient pas prêts, et ceci vaut aussi bien pour l’opposition marxiste ou keynésienne que pour les tenants de l’école monétariste dominante. Le fait est que la variété de science économique que les événements réclament aujourd’hui à cor et à cri reste encore à bâtir. C’est là à la fois une mauvaise et une bonne nouvelle.

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88 réponses à “Le Monde Economie, lundi 5 janvier”

  1. Avatar de Gilles Bonafi
    Gilles Bonafi

    Pour ceux qui doutent encore du tsunami à venir, je laisse ici le commentaire que j’ai envoyé sur Agoravox:

    En effet, Barack Obama nous prépare une politique des grands travaux, une relance keynésienne. Le problème réside dans son financement car les USA sont ruinés. Pour trouver de l’argent le gouvernement US dépend des pays émergents, or, ils sont eux aussi englués dans la crise. Ainsi, la Chine pour éviter un choc social gigantesque sera obligée de lâcher du lest (elle possède dejà 19% de la dette des USA soit 1300 milliards de dollars) et ne pourra pas sauver l’amérique.De plus, n’oublions pas les chocs à venir:

    -choc financier (subprimes, Alt A, CDS) avec des sommes supérieures au PIB mondial.

    -choc de l’économie réelle avec la faillite des constructeurs automobiles.

    -choc des collectivités locales et des états. La Californie par exemple.

    Non, c’est irrémédiablement cuit et ceci n’est pas une possibilité mais une certitude. Maintenant, il va falloir en tirer les conséquences et convoquer des Etats Généraux de l’économie car le danger est imminent.
    Paul a raison, nous avons tout essayé et tout à échoué. Il faut faire du neuf, créer une « nouvelle constitution pour l’économie » et vite!

  2. Avatar de jacques
    jacques

    Ces dix dernières années en France, le cout de la vie a augmenté de 150 points,le livret A de 120 points,les marchés monétaires de 300 points, les actions sont revenues à leur niveau de départ, l’or a augmenté de 1200 points comme l’immobilier, les emprunts d’état de 1000 points avant les grands plans de relance et de recapitalisation des banques.L’or et l’immobilier sont dans les mains des spéculateurs.Qui est responsable de la dette publique et des dettes privées ?

  3. Avatar de leduc
    leduc

    J’ai comme le pressentiment que les autorités américaines pourront faire durer le plaisir très très longtemps avant que le système ne s’écroule, enfin, quand je dis plaisir…. cela ressemblerait plus à de l’acharnement thérapeutique sur un mourant, des expériences médicales, des traitements inédits alors que tous les traitements connus se sont révélés inefficaces et que tous les signes vitaux sont dans le rouge…
    Peut-être que le système crédit-dette des banques commerciales a atteint son maximum, son point de non retour, peut-être qu’aujourd’hui les citoyens sont devenus insolvables, ces citoyens qui sont après tout les contribuables (pour l’aspect de la dette publique) et les consommateurs (pour l’aspect de la dette privée concernant les individus et indirectement la dette des entreprises avec des achats qui chutent et font trembler les résultats trimestriels des entreprises) sont a cours de financement et ne peuvent plus rembourser.
    J’ai toutefois le mauvais pressentiment que le crédit-dette des banques commerciales pourrait être relayée par celui de la réserve fédérale. J’imagine qu’ helicopter ben bernanke est déjà au travail et que la planche a billet a commencé à fonctionner allègrement ces derniers mois.
    On parle de cette politique économique monétariste, du crédit, de la création monétaire, moi, je crois bien qu’on s’est avant tout arrêté aux crédits accordés par les banques commerciales, mais aujourd’hui et demain c’est la réserve fédérale qui va financer directement ou indirectement les crédits dans toute la société américaine.
    Plus je regarde les sites de la réserves fédérales, leurs statistiques, et plus je me dis qu’il y a quelque chose absolument inédit qui est en train de se passer.

    http://federalreserve.gov/releases/h3/hist/h3hist1.htm
    page qui résume assez synthétiquement différents éléments des réserves, des dépôts à la fed des différentes institutions (les banques commerciales principalement j’imagine), de la base monétaire, des réserves en excédents.
    C’est assez impressionnant de constater à quel point le total des réserves des dépots a augmenté de façon exponentielle ces dernières semaines, et pareil pour la base monétaire.
    Paul, je ne suis certes pas un expert en monnaie et finance, mais les réserves déposées à la fed, et la base monétaire, ce sont bien de la monnaie papier non, créée imprimée par la fed si j’ai bien suivi ? Apparemment M1 a augmenté un peu plus vite ces derniers temps mais rien d’exceptionnel, pareil pour la composante « currency » (billet donc ?) de M1 qui a peu augmenté, ce qui parait normal puisque qu’ils correspondent à la monnaie en circulation hors de la fed et hors des chambres fortes, dans l’économie. Ainsi donc la base monétaire aurait fortement augmenté (planche à billet ?) mais cet argent serait en fait allé ou retourné directement dans les dépots de la FED par les institutions, les banques refusant de prêter cet argent et prendre des risques inutiles (solvabilité et confiance des autres acteurs économiques et financiers) et préférant le stocker en réserve dans l’endroit et le placement le plus sur et sécurisé au monde après les bons du trésor à l’heure actuelle, c’est à dire la réserve fédérale ? Ce qui expliquerait à la fois le bond gigantesque des réserves de dépots et de la base monétaire (il faut voir cela sur les graphiques de la réserves de saint louis, c’est impressionnant sur 30 ans, cela ressemble à un comportement d’une hyperbole qui tend vers l’infini) :

    http://alfred.stlouisfed.org/graph?s_1=1&s%5B1%5D%5Bid%5D=TRARR&s%5B1%5D%5Bvintage_date%5D=2009-01-02&s%5B1%5D%5Bline_color%5D=%23FF0000&s_2=1&s%5B2%5D%5Bid%5D=TRARR&s%5B2%5D%5Bvintage_date%5D=2008-12-29&s%5B2%5D%5Bline_color%5D=%230000FF&chart_type=line&s%5B1%5D%5Brange%5D=Max&s%5B2%5D%5Brange%5D=Max

    http://alfred.stlouisfed.org/graph?s_1=1&s%5B1%5D%5Bid%5D=BOGAMBNS&s%5B1%5D%5Bvintage_date%5D=2009-01-02&s%5B1%5D%5Bline_color%5D=%23FF0000&s_2=1&s%5B2%5D%5Bid%5D=BOGAMBNS&s%5B2%5D%5Bvintage_date%5D=2008-12-29&s%5B2%5D%5Bline_color%5D=%230000FF&chart_type=line&s%5B1%5D%5Brange%5D=Max&s%5B2%5D%5Brange%5D=Max

    Paul, ca veut dire quoi concrètement tout ca ? Ca vaut la peine d’en faire tout un sujet ou juste une petite réponse ? 🙂
    C’est le début d’un nouveau cycle de crédit, d’un nouveau type de crédit qui va tenter de regonfler la bulle qui est entrain d’exploser ?

  4. Avatar de leduc
    leduc

    Damned, faudra cherche un peu à la main les graphiques de la réserve de st louis, ca ne marche pas avec les liens ou alors ca ne se laisse pas linker aussi facilement 🙂

  5. Avatar de François
    François

    Hum le risque social n’est pas limité à la Chine, il est mondial. Par ailleurs nous ne risquons pas de revenir sur le processus de mondialisation. Il est désormais devenu inéluctable. Il est difficile d’imaginer que le paysan pauvre ayant seulement entre-aperçu sur une télé le mode de vie occidental continue à se satisfaire du sort qu’on lui fait. Pour une constitution durable d’une économie durable c’est un facteur qu’il faut intégrer.

    Gros problème aussi pour cette (première) constitution pour l’économie: Keynes et Marx avaient leurs réseaux d’influence; mais quel mouvement politique aujourd’hui soutient l’initiative? quel homme politique a-t-il déjà manifesté un intérêt réel pour cette constitution? C’est un processus encore en cours qui interpelle (ou irrite) sans doute certains responsables mais avons-nous lu la plus petite marque d’intérêt à gauche ou à droite? Ne nous faisons pas d’illusion. Cela demande le renouvellement complet de la classe politique et des penseurs en sociologie et en économie dans toutes les universités de tous les pays. Gilles Bonafi a raison: c’est urgent! mais il faut pas confier l’urgence à n’importe qui.

    Et enfin, il me semble que les contributions à l’élaboration de cette constitution se laissent attendre. Il semble que peu d’économistes, analystes financiers, sociologues soient décidés à confronter leurs propositions aux lecteurs/commentateurs de ce blog qui a pourtant démontré la créativité du cerveau global.

    En toute humilité, avec simplement mes expériences de vie, je pointe ceci qui me parait indispensable:
    – inéluctabilité et ethique obligent: comme but, un développement mondial egal et harmonieux sur notre planète
    – un système monétaire stable définitivement à l’abri des spéculations à court terme
    – une prise en compte de la finitude des ressources et donc leur gestion raisonnable au niveau de la planète
    – une prise en compte de la pollution (exploitation et recyclage) dans la fixation des prix
    – une taxe à la consommation conséquente sur les biens les moins durables et les moins essentiels
    – une récompense raisonnable de l’investissement productif quand il répond aux critères de cette constitution
    – une limite au pouvoir acquis par l’enrichissement personnel et par le mécanisme de l’héritage
    – des services publics habilités à gérer les ressources et les services de base (monnaie, crédit banques publiques, enseignement, eau, énergie, transports, communications, santé, retraites, chomage, logement, etc)
    – une prise en compte des difficultés spécifiques à des zones défavorisées de la planète
    – ET la mise sous tutelle des états des producteurs d’armes jusqu’à ce qu’ils soient déclarés définitivement obsolètes

    Je suis incapable d’écrire cette constitution. Auriez-vous des réserves ou d’autres recommandations à formuler en attendant de trouver des rédacteurs ???

  6. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    @ François,

    croyez-vous que le mode de vie occidental soit durable ? Je pense plutôt qu’il est condamné, à cause de la présente crise, inédite, et aussi à cause des limites naturelles
    d’un développement économique basé sur l’exploitation dispendieuse et inégalitaire des ressources non renouvelables.

    Bientôt le paysan pauvre verra sur sa télévision les millions de chômeurs que va générer cette crise. Il préfèrera alors sa survie sur son lopin de terre que les mirages publicitaires de notre société de consommation. Pour l’instant le système tourne en roue libre, c’est un peu la drôle de guerre, les positions ne semblent pas se modifier sensiblement, seules nous parviennent des analyses alarmistes que nous prenons encore un peu à la légère, comme s’il s’agissait de rumeurs.
    Bref, la réalité sociale et économique de l’ampleur de la crise n’est pas encore palpable pour le plus grand nombre. Sauf pour ceux qui ont déjà perdu leur travail.

    C’est vrai les partis politiques ne s’interessent pas encore à la constitution pour l’économie. Mais à titre individuel les choses bougent tout de même un peu.
    Un commentateur nous a signalé que Corinne Lepage — il est vrai très sensibilisée par les problèmes environnementaux — interviewvée par une radio, avait cité Paul Jorion. Lorsque nous serons tous au bord du précipie, les partis, devant une situation nouvelle patente pour tout le monde, devront proposer des idées nouvelles. Sinon, cela voudra dire que la démocratie aura disparu et que nous pourrons nous attendre au pire. Quand il s’agira de sauver la société toute entière et non plus seulement d’améliorer le sort de telle ou telle catégorie, les choses ne se poseront plus dans les mêmes termes qu’aujourd’hui, du moins j’ose l’espérer.

    Je ne sais plus qui a dit qu’au fur et à mesure qu’une crise s’aggrave, que l’on se rapproche du précipice, s’accroissent également les chances de trouver des solutions nouvelles.
    D’autre part, l’idée est bien lancée, un grand nombre de magazines d’actualité ou spécialisés dans l’économie et même le business ont cité Paul jorion ses analyses et ses solutions. Ce blog est beaucoup lu. Les petits partis actuellement aux marges du jeu politique, comme ceux qui défendent des idées altermondialistes, ou des visions de l’économie très différentes de la doxa ump-ps, apparaîtront soudain comme les plus réalistes. Et même si ces partis ne percert pas électoralement, les nouvelles idées seront appropriées par les vieux partis. Les idées comme le reste ont une vie, elles naissent, vivent, et meurent quand elles n’ont plus de pertinence.

  7. Avatar de François Leclerc
    François Leclerc

    La littérature économique et financière fait un usage courant impressionnant des métaphores, puisant en priorité dans trois domaines de prédilection : climatologique, médical et psychologique. S’il y a des valeurs qui ne baissent pas dans la conjoncture actuelle, ce sont bien les métaphores, pourrait-on ajouter finement. La fin du monde, l’Apocalypse et le Pandémonium sont dernièrement venus en renfort, visions eschatologiques ultimes, derrière il ne reste plus rien en magasin.

    Pour être honnête, les critiques les plus féroces de la science économique dominante, qui annoncent la déroute de ses dernières et prennent peut être leurs désirs pour des réalités, n’échappent à pas ce travers commun.

    Ces images répétitives, usées à force de redites, vides de sens quand elles n’induisent pas de faux-sens, pourraient alimenter une chronique sur le mode un peu narquois. Des philologues, sémanticiens, épistémologues et linguistes s’en emparer pour rédiger de savantes études pluridisciplinaires. Quant à moi, je ne peux m’empêcher d’être navré chaque fois que je les rencontre, faisant à mon tour un emprunt, mais au vocabulaire propre des économistes cette fois-ci, pour me demander la raison d’ une telle inflation ?

    Ce vocabulaire imagé a, je le crains, pour fonction essentielle de tout expliquer pour ne rien dire, exercice qui demande un peu de talent et beaucoup de persévérance. En s’appuyant sur un « bon sens » que personne n’aurait l’audace de réfuter. En utilisant, afin de parfaire l’édifice, des concepts philosophiques niveau cours de morale de la communale de nos grands parents, gravés dans notre mémoire collective.

    Le pire est que ce corpus est utilisé sans mauvaise intention, par habitude et facilité. Par conformisme. Mais il contribue à rendre encore plus opaque le monde de la finance, lieu d’excellence du secret et de la dissimulation.

    Au top du palmarès de ces notions doit être placée la sacro-sainte confiance, clé de voûte de toute la machinerie financière. La confiance est là, ou bien elle n’est pas là. Elle est alors appelée à la rescousse. S’élèvent de toute part, et venant des gens les moins excentriques, des prières lancinantes pour qu’elle revienne, afin que tout rentre dans l’ordre. Un peu comme une danse de la pluie. Sa disparition ou son retour font l’objet de processus non élucidés et semble-t-il parfaitement secondaires puisqu’ils ne sont souvent même pas mentionnés. Bref, la confiance est indispensable dans un monde que l’on aurait plutôt pensé gouverné par de moins nobles sentiments.

    Faute de mieux ou d’inspiration, d’autres ressources conceptuelles peuvent à l’occasion aussi être utilisées. « Il en a toujours été ainsi », ou bien encore « cela ne peut pas être autrement » sont les piliers implicites et inébranlables des vérités vraies qui nous sont parfois assenées. Enfin, pour poursuivre ce tour d’horizon, nous avions le comique de répétition, souvenir de nos études secondaires, nous disposons désormais du raisonnement à répétition, formule de rhétorique permettant de démontrer une « loi » à force de simplement la répéter, si bien qu’elle en est à la fin vérifiée.

    Vous pensez que je force le trait ? Avant de le conclure , lisez donc dans votre quotidien favori un compte-rendu de séance boursière pour débuter, puis poursuivez par la lecture d’un ouvrage pas trop volumineux et pris au hasard d’un auteur se réclamant de l’école de Chicago…

    Ce savoir-faire s’appuie également sur l’emploi systématique de solides concepts psychologiques, qui viennent naturellement sous la plume en raison de la personnification dont bénéficie singulièrement « le marché » (ou « les marchés », une variante), cet humanoïde à la main invisible. Une transposition qui permet aux experts de s’appuyer d’une manière irréfutable sur la nature et les ressorts de l’espèce humaine pour comprendre ses réactions et son comportement. Après tout, les acteurs du marché sont des humains. Tout s’éclaire.

    Le marché étant régi par des « lois d’airin », notamment la loi de l’offre et de la demande qui vaut bien le fameux et touchant « rien ne se perd, rien ne se crée » elles s’imposent sans discussion possible. Car pourquoi ces lois sont-elles dites d’airin ? Parce qu’elle sont coulées dans le bronze, c’est encore mieux que gravées dans le marbre. Il faut rendre hommage à la « science » économique pour cet apport fondamental à la méthodologie scientifique , qui n’en demande pas tant.

    Il est par ailleurs confondant, en dépit de ce qui a été rendu officiellement public quant aux raisons financières et spéculatives des hausses des matières premières, avant qu’elles ne chutent, que les commentateurs continuent imperturbablement d’utiliser comme schéma principal et souvent exclusif d’explication des mouvements des cours, la « loi de l’offre et de la demande » en s’interrogeant gravement et exclusivement sur la baisse de la production de l’OPEP et sur celle de la demande physique des produits pétroliers. Sans s’interroger sur la manière dont se forme effectivement le « prix de marché » et sur le poids des transactions « non physiques », qui ne vont pas jusqu’à la livraison.

    Dans le même ordre d’idée, la chute des bourses est restée pour les lecteurs des chroniques boursières largement une énigme, sauf à l’imputer à « la crise », responsable passe-partout et qui vaut pour toute explication. La crise, mais bien celle que connaissent les hedge funds et toutes les institutions financières qui vendent leurs actifs pour survivre et jouent à la baisse le cours des actions grâce à la vente à découvert, ne semble pas retenir prioritairement leur attention.

    Mais on n’en finirait pas de poursuivre ce florilège…

    Une dernière expression mérite toutefois d’accéder au podium d’honneur, très fréquenté ces temps-ci. Je veux parler de la fameuse aversion au risque. « Les investisseurs se réfugient sur des valeurs sûres, les obligations d’état, manifestant leur aversion au risque », peut-on partout lire. Ou, plus scientifique puisque pouvant certainement être chiffré, « l’aversion au risque est en progression ». On attend avec impatience la publication de ce nouveau baromètre. Il paraîtrait plus clair d’évoquer le fait que ces investisseurs cherchent à minimiser leurs pertes vu la situation des marchés, mais cela serait descendre au niveau du portefeuille et ne pas fouiller dans les profondeurs et arcanes de l’âme humaine, donc en rester au superficiel.

    Bizarrement, pour revenir sur terre, on ne parle pas tellement de l’aversion au risque que les banques semblent actuellement manifester dans le domaine du crédit, il y aurait pourtant quelques raisons. Après avoir consulté les dernières données publiées le 30 décembre dernier par la BCE (« Monetary developments in the Euro area, november 2008 »), qui décrivent l’évolution de la masse monétaire et de la distribution de crédit au secteur privé. Les crédits aux particuliers (consommation et immobilier) apparaissent en effet en nette baisse dans les tableaux. En dépit des aides financières publiques massives qu’elles ont sollicité et obtenu, faisant parfois des manières, les banques s’installeraient-elles dans le « credit crunch » du krach ? Souffriraient-elles d’une forte aversion à la distribution du crédit, complication de l’aversion au risque pour laquelle les docteurs en science économique restent impuissants ?

  8. Avatar de Zaharia

    Pour un système socialisé du crédit par F. Lordon.

    Bonjour à tou(te)s ! Bonjour à tous ces… « claviers de bonne volonté » !

    « Pour un système socialisé du crédit » est un texte qui ne devrait pas laisser indifférents…. les esprits distingués de ce Blog ! Sans doute une contribution importante à la démarche du « cerveau collectif  » suggérée par Paul.

    http://blog.mondediplo.net/-La-pompe-a-phynance-

  9. Avatar de Fab
    Fab

    Bonjour,

    Vous parlez de guerre, de piétaille, de généraux…Le chef (M. Paulson, le fils de Paul en VO) ne savait pas ce qu’il faisait : il a laissé les généraux et la piétaille se faire massacrer. Les conseillers de guerre du chef ne savaient pas non plus.

    Personnellement je laisserais tomber cette guerre ! Ca n’a pas l’air sain ! Non ? Ceux qui tiraient les ficelles sentent le cadavre et la majeure partie de la population mondiale, dans le meilleur des cas n’en a rien à faire et dans le pire mange les restes de ces cadavres ! Charmant et encourageant !
    Etudier les cadavres est une bone chose (c’est de l’humour noir) pour savoir d’où venait le mal mais, pensez-vous réellement qu’il faille présenter le retour du tout économie comme une fatalité, qui plus est une fatalité réservée, vous parlez de science, aux spécialistes ?

    La brèche est ouverte, il faut s’y engouffrer. Sinon les cadavres vont se relever et ce sera pire ! N’êtes-vous pas persuadés que les généraux qui ne sont pas tombés sur le champ de cette bataille ont depuis longtemps déployé leurs pions (mainmise sur la politique, monopoles : média, eau, sidérurgie, armement…) ? Et donc que l’issue de la crise leur importe peu, les différentes tactiques étant déjà prêtes ?

    Vraiment je ne comprends pas. Merci de répondre à mes questions.

  10. Avatar de thomas

    Comme le Pétinisme ou l’affaire Dreyfus, le positionnement de chacun par rapport à cette mutation en cours se révèle dans le cercle de la famille ou des proches.
    Des discussions mettent en lumière deux approches qui semblent liées au hard-ware de chacun, pas facile à faire évoluer :
    l’une pourrait s’appeler « business as usual » ou « green washing », et l’autre justement…..même son nom reste à trouver, mais elle rassemble déjà une confrérie assez sympathique.

  11. Avatar de et alors
    et alors

    Peut-être que « pour » passer d’une « finance de guerre », d’une « économie de guerre », à une « politique de paix », il conviendrait de s’abstraire d’un « langage de guerre », semble-t-il encore incontournable.
    Autrement-dit sortir des automatismes verbaux. La crise (systémique…! ? ), n’est-elle pas aussi (et bien plus gravement dans et entre nos esprits, encore bien séparés de nos corps. Têtes apparemment bien pleines mais finalement pas si bien faites.
    Stimulus réponse renforcement ou stimulus renforcement réponse ?
    Tout comme « expliquer » « les choses » en termes de « rapport de forces »… (la physique des boules de billard appliquée au vivant).
    Excusez mon insistance répétitive…et mes points d’interrogations. Point d’exclamation.

  12. Avatar de béber

    Ha mais pardon , m’ssieurs dames , mais peut on vraiement affirmer que les économistes  » n’envisagèrent pas l’ampleur du mal en gestation »?
    Z’êtes vraiement sur ?

    Pierre larroutourou dans son livre « urgence sociale » écrit texto : « pour éviter de sombrer dans une crise majeure quand l’économie américaine va « caler », il faut que l’europe puisse être un moteur économique disposant d’une certaine autonomie »( p57). »

    Vraiement, je crois que l’iceberg a été signalé , mais bon, la vérité, c’est que çà faisait la fête sur le pont ….Pour exemple, en France, au vue de l’explosion des bénefs du cac 40 , les critiqueurs de boursicoter en rond n’étaient point vus d’un bon oeil.

    Ce pauvre larroutourou avec son invention des 35h en a pris plein la poire , et dire qu’aujourd’hui , le figaro lui même en fait désormais l’éloge !C’est vraiement que les jours s’annoncent difficiles…

    Quand un type de droite comme Jacques Marseille écrit un bouquin au titre incroyable : » du bon usage de la guerre civile en France » , ou quand un Patrick Arthus écrit  » le capitalisme est en train de s’auto-détruire » , quand un sociologue comme vincent Gulejac écrit :  » la société malade de la gestion « , on peut pas se plaindre de l’abscence de vigies mais plutôt du manque d’écoute.

    Le formatage politique des grands médias empêchent de récolter les fruits du dialogue des intellectuels de tout bord .
    Et quand ne vient aux oreilles de l’opinion publique que ce qui convient au pouvoir du moment , le titanic ne fait que prendre du bon temps.

  13. Avatar de JLS
    JLS

    A mon avis une analyse fondamentale par Willem Buiter de la London School of Economics.
    http://blogs.ft.com/maverecon/2009/01/can-the-us-economy-afford-a-keynesian-stimulus/

  14. Avatar de Moz
    Moz

    Bonjour M. Jorion,

    Je me permets de vous soumettre ce lien, entre autres pour la question de la création monétaire (comme indiqué au début, le texte est (très) long).

    Cdt.

    http://blog.mondediplo.net/2009-01-05-Pour-un-systeme-socialise-du-credit

  15. Avatar de Moi
    Moi

    A mon humble avis, la question centrale est la répartition des richesses. Cette crise, comme celle de 29 (et celle de la fin des années 1880), est une crise des inégalités. Le travailleur s’est appauvri depuis 20 ou 30 ans (depuis la décomposition de l’URSS, comme par hasard) par rapport aux capitalistes. Ce déséquilibre a provoqué un camouflage par le crédit et une chute brutale de la consommation lorsque la corde tendue à l’excès a cédé (les subprimes). Comme après 29, ils vont essayer de sauver le système (c’est-à-dire calmer les masses) en ré-équilibrant la répartition des richesses entre capital et travail. Que ça marche ou pas, ce sera de toutes façons probablement un mieux (du point de vue du travailleur) par rapport aux quelques décennies ultra-libérales qu’on vient de connaître.

  16. Avatar de gibus
    gibus

    Excusez moi m’sieur dames, la coupable est identifiée et connue: son nom anglais GREED, son patronyme français CUPIDITÉ.
    Depuis les année ’80 des efforts considérables ont été faits pour « libérer » le gout du lucre au motif simple qu’il concours à l’harmonie générale bien plus surement qu’une gestion planifiée (hou le vilain mot!), régulée (pouah!), de l’économie. Tant que cette idée simple, simpliste, véritable Arme de Destruction Massive du Bien Public continuera de garder le moindre crédit dans l’esprit de nos contemporains, le panurgique troupeau se rapprochera de l’abime en bêlant d’effroi.
    Promouvoir la constitution pour l’économie s’adressant à la rationalité plutôt qu’au cerveau reptilien archaïque de l’être humain exigera des efforts bien supérieurs pour commencer à s’imposer. Mais le temps est compté, notre petite boule bleue n’en peut bientôt plus…

  17. Avatar de Sophie
    Sophie

    A propos de l’article de Lordon…
    Il va falloir que Paul Jorion fasse son choix, une fois pour toute , concernant la création monétaire par les banques privées: a t’il plus confiance en des histoires de ballons d’enfants et Helmut, ou bien en des spécialistes comme Lordon ( sans compter les universitaires, banquiers et quelques « amateurs » qui ont préché dans le vide sur ce blog depuis plusieurs mois ) ?
    Ou alors il va falloir qu’il fasse changer la définition de « monnaie » dans tous les dictionnaires, livres et manuels d’économie!!

  18. Avatar de alexis
    alexis

    @ Pierre-Yves D. : Tout à fait d’accord.
    James Hansen dans sa lettre aux époux Obama et JM Jancovici dans son livre « Le plein SVP » (2006) et dans celui à paraître dans qq jours (« C’est maintenant ») proposent de taxer les énergies fossiles afin d’initier un cercle vertueux d’économie, d’investissement dans le durable et la recherche d’autres modes de fonctionnement moins énergivores. Qui se soucie de l’énergie nécessaire au délocalisations de tout poil, de l’habitat des occidentaux vivants à des km de leur lieu de travail aux entreprises implantés en Chine pour le plus grand bonheur des ouvriers (ouh le vilain mot) ouest-européens ou étasuniens ?
    Mais l’aspect énergétique de notre fameuse crise ne semble pas effleurer grand monde… Pourtant… réclamer une relance économique nécessitera des dépenses énergétiques et en matières premières supplémentaires. Il serait tant d’expliquer avec quelle baguette magique nous allons faire surgir ce qui est en voie d’épuisement. La baisse du prix du baril n’indique nullement la découverte de gisements inépuisables, mais une baisse de consommation (2 millions de barils /jour en moins selon l’OPEP).
    Comme le souligne l’économiste bangladeshi Muhammad Yunus (prix Nobel 2006), cette crise en cache beaucoup d’autres, bien pires : énergie, environnement, migrations, famines, conflits, pandémies…

  19. Avatar de madar michael

    Bonjour à tous
    L’utilisation pertinente de la métphore guerrière à propos des subprimes (la cavalerie) ou de l’économie en général, on la retrouve tout le long du livre de
    P Labarde/B Maris  » Ah Dieu! Que la guerre économique est jolie! »
    Edité en 1998, on y retrouve l’analyse de l’arme de la mondialisation, de la « déreglementation, désintermédiation, décloisonnement « p102, de la titrisation p103(déja). « L’explication de la phénoménale croissance du capital boursier, bien au delà de l’économie réelle » par la « Chaine de Ponzi, ou pyramide albanaise.p112
    « la bataille de l’immobilier », un trou de 400milliards de francs en moins de six ans (gouffres du Crédit lyonnais ou du Crédit foncier )p135
    Onze ans aprés on est toujours en recherche d’alternatives au combat.
    L’avis de la troupe sera t il pris un jour en compte par les états majors ?
    mikl

  20. Avatar de antoine
    antoine

    @ sophie.

    Je m excuse je devais vous répondre la dernière fois et je ne trouve plus le topic.
    N’hésitez pas à me le redonner si vous le trouvez.

    Ceci vaut aussi pour ghostdog si par hasard il/elle me lit.

  21. Avatar de Moi
    Moi

    @Sophie : au moins vous, vous n’avez pas honte de dire que pour vous seul compte l’argument d’autorité.

  22. Avatar de Mathieu
    Mathieu

    Ce n’était pas, loin s’en faut, des arguments d’autorité. Relisez les posts de AJH et Etienne Chouard.

  23. Avatar de béber

    heu… s’cusez le dérangement si jamais çà marche pas …

    Pierre Larrouturou Part. 1 Les causes profondes de la crise envoyé par Respublica-redaction

  24. Avatar de Paul Jorion

    @ François Leclerc

    Sur les pires clichés de l’explication économique :

    1) la « confiance ».

    2) « Il en a toujours été ainsi ».

    3) « La loi de l’offre et de la demande » et ici.

  25. Avatar de Sophie
    Sophie

    Bon, allez, pour vous mettre l’eau à la bouche et vérifier que je n’utilisa pas l’argument d’autorité ( l’article de Lordon est très argumenté) un petit extrait de l’article en question

    On ne peut qu’être étonné – et réjoui – de l’ampleur prise par ce débat qui a d’abord fait son chemin sur Internet à partir de la vidéo de Paul Grignon, Money as debt, mais qui reçoit un fameux coup de main de la crise financière – a-t-on jamais autant parlé qu’aujourd’hui de banques et de liquidités ?…

    Trop habitués à la parlotte entre initiés mais surtout persuadés de leur monopole « naturel » sur la chose économique, les économistes ne pouvaient imaginer un seul instant voir débarquer dans les cénacles bien propres de l’académie une horde de mal-élevés décidés à se saisir de la question monétaire.

    Mais les manants ne respectent rien et eux qui ont été si longtemps et si soigneusement tenus à l’écart des débats économiques ont décidé d’un coup que ces choses-là les concernaient aussi et qu’à défaut de se les voir expliquer ils s’en saisiraient eux-mêmes. Seul un réflexe d’ordre, hélas trop prévisible, peut avoir conduit certains économistes, nouvelle noblesse de robe, à s’être scandalisés et à avoir pris pour une insupportable intrusion dans le champ de leurs questions réservées ce qui devrait être tenu pour le plus admirable des réflexes démocratiques : le tiers-état s’intéresse.

    À la décharge des clercs, il faut bien reconnaître que ce débat « parallèle » sur la création monétaire a été lancé de la plus maladroite des manières et que le sens commun académique a quelques bonnes raisons de renâcler aux accents légèrement paranoïaques de la vidéo de Paul Grignon qui, sur fond de musique inquiétante, dévoile la formidable conspiration : la monnaie est créée ex nihilo par les banques…

    Évidemment, le goût du sensationnel en prend un coup sitôt découvert que la conspiration de la création monétaire ex nihilo fait l’objet des enseignements de première année universitaire, et même des lycées, à l’occasion desquels la « révélation » a jusqu’ici provoqué peu d’évanouissements. Une bonne moitié de la vidéo-scoop de Grignon était donc déjà en vente libre et disponible dans n’importe quel manuel pour classes de Terminale SES…

    Le principe symétrique du droit absolu de saisine des « amateurs », et de leur droit d’effraction dans les débats des « professionnels », devrait donc consister en un minimum de respect pour la division du travail et une obligation, non pas bien sûr d’avoir préalablement accumulé une connaissance « professionnelle », mais au moins de ne pas imaginer « tout inventer », de cultiver le doute méthodique que « la » question (n’importe laquelle) a dû être déjà travaillée, et de faire l’effort minimal « d’y aller voir avant » – manière d’éviter les boulettes du type « complot monétaire »…

    On pourrait cependant aussi imaginer que la position même du « savoir » devrait valoir à ceux qui l’occupent une sorte de devoir d’indulgence, pour mettre tout ça de côté. Et en venir plus rapidement aux vraies questions.

    Quitte à résumer grossièrement, il semble que l’objet du tumulte tourne autour des éléments suivants :

    1. On croyait la création monétaire le fait de l’État – l’État n’était-il pas réputé « battre monnaie » ? – ; on découvre que c’est plutôt l’affaire des banques privées.

    2. Non contente d’être privée, l’émission monétaire-bancaire s’effectue ex nihilo. Or ce qui ne coûte rien à « produire » (l’octroi de lignes de crédit) est facturé quelque chose : le taux d’intérêt. La chose n’est-elle pas profondément illégitime ? Nul ne questionne le privilège de quelques institutions privées, seules détentrices du droit de création monétaire, et encore moins les conditions réelles de leurs profits.

    3. Un qui sait combien l’intérêt lui coûte, c’est l’État. Le service de la dette publique n’engloutit-il pas bon mal an l’équivalent des recettes de l’impôt sur le revenu ? Certes, ce ne sont pas des banques qui le lui facturent (l’État s’endette sur les marchés), mais – retour au point 1 – si l’État disposait du droit de création monétaire, il pourrait en profiter – lui, c’est-à-dire la collectivité des citoyens-contribuables – et, pour peu qu’il soit raisonnable, réserver « sa » création monétaire au financement de l’avenir, c’est-à-dire des biens d’équipement de la nation, le tout bien sûr à intérêt nul, donc avec les économies qu’on imagine.

    4. Or il se trouve que les facilités monétaires que lui accordait la Banque de France ont été interdites par la loi de 1973, et que le verrouillage est devenu quasi définitif avec l’article 123 du Traité européen (Lisbonne) qui prohibe formellement toute avance de la BCE aux États membres.

    Il faut bien reconnaître que l’idée de la création monétaire ex nihilo est suffisamment contre-intuitive et suffisamment contraire aux représentations spontanément formées par le sens commun en matière monétaire pour justifier l’effet de stupéfaction qu’entraîne presque systématiquement son énoncé.

    Car le sens commun se figure le banquier comme l’homme aux écus – il n’a pas totalement tort… – assis sur un tas d’or préalablement accumulé et par conséquent disponible pour être ensuite prêté.

    C’est là, au sens strict des termes, confondre la finance, où des détenteurs de capitaux déjà accumulés prêtent à des demandeurs de fonds, et la banque, dont l’action caractéristique est le crédit, qui procède par simple écriture et met des fonds à disposition hors de toute accumulation préalable, et sous la forme de la bien nommée monnaie scripturaire, simplement en créditant des comptes d’agent.

    @Antoine
    Désolé moi non plus, et je ne me souviens même pas de la question ;-), ca ne devait de toute façon pas être bien grave
    Mais j’ai été absente quelque temps… c’était il y a plus d’un mois, non?

  26. Avatar de Stubborn
    Stubborn

    @Sophie. L’argument d’autorité c’est l’argument pertinent. Qui l’énonce on s’en fout. Nous ne sommes plus à l’école, là. Et moi voyez-vous l’argument de la responsabilité des banques privées qui, ce qui expliquerait que, ne me convainc pas. Et vous savez pourquoi ? Pas parce qu’il est faux. Non. Parce qu’il est spécieux, partiel et à mon sens tout à fait insuffisant. Autrement dit – pardon Daniel pour la nouvelle métaphore… – parce qu’il fait office d’arbre qui cache la forêt. Et comme il se trouve que la vraie forêt pendant ce temps part en fumée, et bien ça m’embête passablement.

  27. Avatar de Moi
    Moi

    @Sophie: Lordon lui-même fait comme vous et, tenant le fait pour acquis, n’utilise que des arguments d’autorité dans son article : « la création monétaire ex nihilo fait l’objet des enseignements de première année universitaire… »

    Où voyez-vous la démonstration qu’il y a création ex nihilo par les banques privées? Il suffit de me citer le passage, que je ne vois malheureusement pas.

  28. Avatar de Sophie
    Sophie

    @Moi

    J’abandonne…
    Pour la démonstration, achetez un livre de terminale (ou autres)… et lisez le surtout…

  29. Avatar de François Leclerc
    François Leclerc

    @ Paul Jorion

    J’ai pris le train en marche et je n’avais pas lu vos instructifs billets.

    Il pourrait venir à l’esprit de faire de ces poncifs un bétisier, pour en rire. Erreur, car ce ne sont pas de simples facilités de langage dont on abuse. Il me semble intéressant de s’interroger sur leur fonction, en se demandant s’ils ne participent pas, en réalité, d’une forme d’occultation de la réflexion. S’ils ne contribuent pas à la propagande au lieu de servir la pensée. Poser ces questions est bien entendu y répondre.

    Le vocabulaire médical, du temps de la médecine des saignées et des clystères était aussi emprunté. Rappelons-nous des « humeurs ». Est-ce que l’on peut en déduire que les sciences économiques (en utilisant un pluriel qui les distinguent de disciplines portant elles le nom de science au singulier) en sont encore au stade premier de leur développement ? Quelles n’ont pas encore tout à fait acquis leur statut ?

    Parce que, d’un côté, elles multiplient les emprunts à d’autres sciences, comme si elles espéraient devenir ainsi plus crédibles, et de l’autre, elles se réfugient dans le monde des statistiques, des graphiques, des taux et des équations, afin d’être incontestable. Un paradoxe pour une « science » qui a comme principale caractéristique de ne pas trop s’aventurer dans la prévision, la métérologie qui traîne une facheuse réputation dans ce domaine faisant nettement mieux.

    Pour m’être un peu intéressé à certains problèmes du type « comment mesurer la pauvreté » et avoir vécu dans un pays où elle est immense et où on passe son temps à dire qu’elle recule, ce qui reste pour moi à démontrer (il s’agit du Brésil), je prend avec beaucoup de précaution beaucoup de ces chiffres dont la méthodologie qui a présidé a leur établissement est rarement questionnée.

    Mais c’est encore une autre histoire.

  30. Avatar de Gilles Bonafi
    Gilles Bonafi

    @François
    Merci de te lancer. Une « constitution pour l’économie » est une idée magnifique et elle est de Paul. Comme tu le dis toi-même tu te sens « incapable d’écrire cette constitution » et je te rassure moi aussi.Je pense cependant que nous pouvons collectivement dégager les points clés à aborder.Pour moi le princpal problème réside dans la notion de propriété.Grand débat en perspective!

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