Billet invité.
LA TRANSPARENCE RESERVEE A LA THEORIE ET L’OPACITE A LA PRATIQUE
Les banques, encore les banques !… Quand elles ne soulèvent pas l’indignation en raison des résultats qu’elles annoncent ou des bonus qu’elles distribuent, elles inquiètent en raison du renforcement de leur concentration et de leurs tentatives d’échapper à une réglementation plus stricte. A cause aussi de leurs activités à nouveau débridées sur les marchés financiers. Ou bien encore de la tarification de leurs services de base, qu’il est désormais préférable de regarder de près. Elles ont été à l’origine de la crise, partie la plus visible d’un monde financier largement dans l’ombre, puis ont imposé aux gouvernements – qui n’ont pas cherché à s’y dérober – des sauvetages dispendieux et à nos frais. On ne sait plus aujourd’hui ce qu’il faut en penser, entre l’annonce des résultats mirobolants de certaines et la faiblesse de beaucoup d’autres, se demandant même si les premières ne nous cachent pas quelque chose. Ayant observé et compris que la transparence était réservée à la théorie, l’opacité à la pratique.
Ces banques, objets de nos colères rentrées (quand elles ne sortent pas), restent investies d’un rôle déterminant vis à vis de l’économie, quand bien même elles continuent de ne pas remplir correctement leur mission d’intermédiation. C’est à ce titre que nous continuons de les suivre à la trace, non uniquement parce qu’elles continuent d’alimenter une crise économique endémique, mais aussi en raison du fait qu’elles en préparent un rebondissement. De trois manières complémentaires : en continuant de refuser d’assumer leurs responsabilités financières et de se défausser sur les autres ; en recommençant à jouer au casino et en constituant une nouvelle bulle financière ; en s’arc-boutant pour éviter que des mesures effectives de réglementation de leurs activités soient prises.
Une réunion des banquiers européens avait lieu hier à Madrid au siège de la banque Espagnole Santander. En présence de Sheila Bair (FDIC), José Viñals (FMI), Andrew Bailey (BoE) et Joaquin Almunia, commissaires européens aux affaires économiques et financières. Peu en a été révélé, mais le sens général des interventions n’a fait aucun doute : sur tous les tons, il a été répété qu’une réglementation trop stricte (« excessive ») mettrait en danger l’économie (désormais souvent qualifiée de « réelle »). Emilio Botin, président de Santander (la plus importante capitalisation bancaire européenne), s’est défendu de sous-estimer les risques, lors de sa conférence de presse, mais il a mis l’accent sur le danger d’aller trop loin, notamment en matière de niveaux de fonds propres « discriminatoires » pour les grandes banques de dépôt, car cela aurait des répercussions sur l’accès au crédit et sur son coût. Retrouvant pour l’occasion la différence entre banque de dépôts (que Santander et BBVA sont pour une large part en Espagne) et banques d’affaires, bien que le modèle de banque dite « universelle » semble désormais prévaloir, sans que sa remise en question (via un démantèlement) soit accepté.
Le Financial Times concluait son article au sujet de cette réunion en écrivant : « Les banquiers participants à la réunion organisée par Santander en Espagne ont déclaré que, n’ayant pas été surpris par les propos de M. Botin en faveur de règles modestes concernant les fonds propres, il l’ont par contre été par l’assentiment qu’avaient manifesté à cet égard des participants membres de gouvernements ou d’organisations internationales ». De fait, de Francfort, le même jour, Jacques de la Rosière, ancien gouverneur de la Banque de France et chargé du fort prudent rapport sur le dispositif de la supervision financière européenne a seul et faiblement rétorqué : « Si nous commençons à bricoler, nous revenons à la case départ ».
Les banques sont en effet à l’offensive sur le sujet vital du futur niveau des fonds propres qui vont être exigés d’elles. D’autant qu’elles viennent d’avoir deux mauvaises nouvelles. La première est la décision annoncée par l’agence de notation Moody’s que cette dernière allait réétudier ses notations en prenant en compte dans son appréciation de la solidité des banques la présence de certaines catégories de titres hybrides, voulant établir des différences au sein de cette famille. Ce qui n’est pas étranger à l’apparition en force des Cocos, ces obligations convertibles contingentes qui pourraient échapper aux mailles du nouveau filet, mais ne régle pas la question des anciens titres hybrides, largement présents dans les fonds propres des banques européennes. La seconde est la situation embarrassante crée par l’IASB, dont on a finalement compris pour quelle raison les autorités européennes avaient refusé d’appliquer ses nouvelles norme comptables (ce qui est sans précédent) : l’organisme aurait en effet prétendu distinguer deux cas de figure, permettant aux prêts « classiques » d’être valorisés en fonction de leur amortissement prévisionnel, mais continuant d’exiger que les valeurs boursières et les produits dérivés soient valorisés au prix du marché ! Une fin de non recevoir à la demande des banques européennes (et des gouvernements les soutenant), qui souhaitaient peu ou prou un alignement sur les normes américaines, ces dernières ayant abandonné la valorisation au prix du marché pour les valeurs n’étant pas à la cotation en continu ou assimilées.
Une des questions majeures de la future réglementation financière, une fois écartées toutes les mesures les plus potentiellement contraignantes pour les banques (ce qu’elles se font fort d’obtenir), est l’homogénéisation des dispositifs finalement adoptés des deux côtés de l’Atlantique. C’est d’ailleurs cette dernière question qui donne l’impression de mobiliser l’essentiel des énergies du côté européen, tant il y est craint que les règles soient à l’arrivée plus contraignantes en Europe, induisant des distorsions de concurrence avec les banques banques nord-américaines. Cela se manifeste sur tous les dossiers en cours d’étude et, plus publiquement, à propos de la concentration bancaire qui devrait se poursuivre, aboutissant à la constitution de firmes géantes, un tableau où les banques européennes seraient remisées dans le bas. Toujours en raison du risque d’apparition de désavantages compétitifs.
Ces préoccupations se sont exprimées au niveau gouvernemental, Christine Lagarde, ministre Française de l’économie et des finances, demandant à Mario Draghi, directeur du Conseil de stabilité financière (CSF), de préparer un rapport sur la concentration bancaire pour le G20 de mars prochain. Aux niveaux des banques européennes, il est par contre tiré de ce danger une leçon très simple : elles s’opposent en effet à toute mesure visant à réduire leur taille. Deux des plus grandes d’entre elles, l’Espagnole Santander et l’Allemande Deutsche Bank, viennent de le rappeler. Dans les milieux financiers, on commence à parler de dangers oligopolistiques, un nombre de plus en plus grand de transactions étant réalisées par un nombre de plus en plus restreint d’opérateurs. Une situation recelant un double danger, concernant l’établissement des prix sur les marchés et les tarifs des services bancaires.
Tant les exigences à venir en matière de fonds propres, que les restructurations exigées des banques ayant reçu des soutiens publics par la commission européenne (la britannique Lloyds, la néerlandaise ING et la belge KBC sont déjà dans ce cas), vont en effet pousser à la concentration dans le domaine bancaire. A la recherche d’une meilleure rentabilité, les établissements vont devoir grossir. Et il n’est nul besoin d’être un grand expert pour en tirer la conclusion que cela va être source d’une nouvelle instabilité financière, aboutissant à la création d’établissement encore plus TBTF (trop importants pour que leur faillite soit envisageable).
Il est d’ailleurs à noter, si l’on s’en tient aux préoccupations exprimées plus qu’aux mesures réelles envisagées, que ce danger n’est pas uniquement perçu en Europe. Il l’est également aux Etats-Unis, moins sous l’angle du désavantage compétitif qu’il pourrait induire (les plus importantes banques étant américaines), que sous celui du risque systémique qui en résulterait. Eric Rosengren, le président de la Fed de Boston (et membre du comité de politique monétaire fédéral), a été jusqu’à envisager l’hypothèse qu’il pourrait ne plus être, dans ces conditions, dans la capacité d’un Etat souverain de financer et organiser le démantèlement d’un établissement bancaire.
Dans la série « on peut toujours essayer » Josef Ackermann, le président de la Deutsche Bank, a proposé dernièrement qu’un fond pan-européen d’urgence de soutien aux banques soit fondé. Financé, a-t-il demandé, par les banques et par les gouvernements, sans préciser la clé de répartition entre les efforts des uns et ceux des autres ! Cela lui a valu, en retour et toujours lors de la même conférence de Francfort, une remarque de Jürgen Stark, membre de la direction exécutive de la BCE : « Nous ne devons pas susciter de nouvelles incitations d’aléa moral en créant un fonds d’urgence pour les banques financé par l’argent des contribuables ». Il a poursuivi en remarquant qu’il ne voyait « aucun changement significatif dans l’attitude des participants (à la crise) ». C’est le moins que l’on puisse dire, mais cela vient d’un banquier central.
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