L’actualité de la crise: une double impasse financière, par François Leclerc

Billet invité.

UNE DOUBLE IMPASSE FINANCIERE

Discrètement, le gratin de la finance mondiale s’est réuni à Bâle ce week-end, sous les auspices de la Banque des règlements internationaux (BRI). Présentée comme une réunion de routine, cette assemblée trimestrielle de la BRI ne l’est toutefois certainement pas, ne serait-ce qu’en raison de la présence de très nombreux représentants des mégabanques, qui y ont été conviés. Que ce soit pour les chapitrer ou leur demander leur soutien, cela risque fort d’être sans effet dans les deux cas. Un peu comme ces récentes et naïves missions en Chine qui avaient pour objet d’obtenir une réévaluation du yuan. A noter toutefois que les Pdg de Goldman Sachs et de JP Morgan semblent avoir décliné l’invitation, non sans désinvolture. Il faudra attendre la fin de la matinée de lundi pour prendre connaissance de ce que Jean-Claude Trichet voudra bien rendre public de ces deux jours de débat, une version destinée aux enfants, comme d’habitude. Mais rien n’empêche sans attendre d’évoquer le contexte de cette réunion.

Deux grandes questions, selon des indiscrétions dont le Financial Times a bénéficié, devraient y avoir été traitées, mais ce n’est pas réellement un scoop : la première portant sur les risques d’une nouvelle bulle financière, chaque jour plus potentiellement menaçante, résultant de l’embellie boursière, la seconde sur l’accroissement préoccupant de la dette publique. Avec à la clé, dans les deux cas, une même question toujours sans réponse : comment y faire face ? Car, comme déjà souligné à maintes reprises, les banques centrales et les gouvernements sont pris au coeur d’impératifs contradictoires qui pratiquement les paralysent. Alors qu’il se confirme que la faible croissance enregistrée dans les pays occidentaux résulte de ce qui ressemble étrangement à un faux départ, et que le système financier est à nouveau menacé de connaître de très fortes tensions. Tout le contraire d’un cercle vertueux.

Toutes les grandes banques centrales confirment sur tous les tons qu’elles n’ont aucunement l’intention de revenir, pour une longue période est-il martelé par leurs présidents, sur leur politique de taux proches de zéro, alimentant par là-même la bulle financière dont elles s’inquiètent désormais, après avoir commencé par dire qu’elle n’existait pas. C’est le prix à payer, savent-elles pourtant, pour que les banques puissent retrouver leur équilibre, alors qu’il est de plus en plus admis que l’on est loin du compte. En réalité, une triste évidence doit être reconnue : le système bancaire mondial n’est toujours pas en mesure de fonctionner sans le soutien permanent des banques centrales, qui continuent à largement se substituer au marché inter-bancaire. Nul n’est en mesure de dire combien de temps cela va durer.

Ce n’est pas le seul dysfonctionnement majeur d’une situation qui n’en manque pas. Il devient de plus en plus probable, en effet, qu’il n’y aura pas de reprise économique possible sans nouveaux plans de relance publics. Or, là aussi, le remède risque de tuer le malade. Les tensions sur les taux obligataires aidant, les déficits publics croissant, les gouvernements sont devant une impasse financière annoncée.

Les grands argentiers sont donc à la recherche d’une introuvable formule magique. Mario Draghi, le président du Conseil de stabilité financière (FSB), qui tenait parallèlement une réunion à Bâle ce samedi, a reconnu qu’il reste « beaucoup de fragilité dans le système », en raison des besoins en refinancement très importants dans les prochaines années des établissements financiers et des gouvernements. Tout est dit, l’inquiétude est fondée, car les sommes donnent le vertige et la capacité des marchés à y faire face est une inconnue. Autant que le sont les taux haussiers qui risquent de prévaloir, dans un tel contexte de très forte demande à venir de capitaux.

Si l’on se résume : d’un côté, une nouvelle bulle financière est en train de se constituer, sans qu’il soit possible de cesser de l’alimenter ; de l’autre, l’économie ne repartira pas faute de soutien public, impliquant de creuser un déficit qu’il faudrait combler. Il faudrait à la fois démarrer et freiner !

Toutes les incantations n’y feront rien. Ni à propos des taux de change ou de la relance du crédit bancaire, de la reprise du commerce international ou de celle de la consommation des particuliers. Pour le chômage, la question est réglée : il est acquis qu’il va continuer de progresser. En guise de sortie de crise, on assiste à son approfondissement. Le système capitaliste est encalminé. On en vient à évoquer, de rebondissement en rebondissement, des hypothèses hier impensables : que des Etats puissent faire défaut, que les banques centrales poursuivent, en dépit de leur arrêt programmé, leurs programmes d’achat d’obligations d’Etat (dans le cas des Etats-Unis, du Japon et de la Grande-Bretagne). De quoi s’interroger sur le verrouillage de la BCE sur cette épineuse question : sera-t-il à terme tenable ?

On apprenait, pour que le tableau soit complet, que l’agence Moody’s étudiait la possibilité d’introduire un nouveau critère, dit de « cohésion sociale », dans sa notation des dettes souveraines, afin de mieux apprécier l’éventualité qu’un gouvernement puisse faire défaut. En d’autres termes, Moody’s anticipe d’une situation au sein de laquelle les rapports de force sociaux et politiques vont prendre un poids grandissant. Au lieu de se résoudre, la crise devient globale : de financière, elle est devenue économique, elle s’apprête à prendre une dimension politique. Elle risque d’être parfois déconcertante.

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  1. Les élections de mi-mandat seront truquées : comme chez Poutine. Faut suivre Gaston! 😊

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