Éric Rohmer (1920 – 2010)

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Ce n’est pas par hasard que quand j’ai proposé il y a quelques semaines ma version irrévérencieuse du débat sur l’identité française, j’ai convoqué Rohmer dans la rubrique « Une manière de faire la cour ». J’illustrais sa contribution à ce genre particulier par la longue scène de séduction de Ma nuit chez Maud où le passage à l’acte est sans cesse remis à plus tard sous le prétexte frivole qu’une explication de la plus grande cérébralité semble soudain s’avérer impérativement nécessaire, poussant la séduction vers des sommets de tension érotique anapourniques ; j’aurais tout aussi bien pu renvoyer à L’amour l’après-midi, Pauline à la plage, Le beau mariage, Le genou de Claire, et tout bien réfléchi, à la quasi-totalité de son œuvre.

La particularité du cinéma, c’est en principe l’image, et tout spécialement, l’image vivante, et il est toujours tentant de repousser vers une catégorie bâtarde, celle du « théâtre filmé », sa variété où la parole prend le dessus sur l’image. Mais ce qui distingue l’humain, c’est précisément la parole, et ce que l’œuvre de Rohmer met en évidence, c’est que si l’on reproduit de manière quasi-naturaliste le labyrinthe des mots et l’effet que nos paroles provoquent non seulement sur l’autre mais aussi sur nous-même qui les prononçons, on parvient à coup sûr à faire de l’excellent cinéma. Baratineur est notre nature profonde, et nous prendre sur le fait de notre baratin, à la manière d’un documentariste animal, c’est bien nous montrer tels que nous sommes.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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6 réponses à “Éric Rohmer (1920 – 2010)”

  1. Avatar de ménard
    ménard

    l’oeuvre de Rohmer brille par la qualité de l’effacement apparent de son propos en cela il se rapproche d’un Eugéne Adjet et de son vieux Paris ,Ce sera une mine de jubilations et d’informations justes sur une époque pour les curieux, dans quelques décénnies

  2. Avatar de Lisztfr
    Lisztfr

    Très bien vu, et l’on pourrait le dire également pour le Figaro de Mozart, les liaisons dangereuses, où l’on complote, séduit, manipule, trompe, etc. à loisir.

    Notre époque veut voir. On vous amène voir ce que vous avez toujours voulu voir, le mythe (SF, Potter…), E.T, le sexe, ce qui intéresse les pré-ado. Or l’on ne voit jamais ce que l’on voudrait voir, comme le faisait remarquer Lacan. Une sorte de déni de la castration, actuellement, se fait jour dans la volonté de tout voir, et de tout faire advenir, de faire se joindre immédiatement désir et réalité Tout est là, l’absence est niée, le report aussi. Une profonde régression infantile peut se diagnostiquer ici.

    Le psychologisme avait déjà été mis à mal par Hemingway qui l’avait rejeté au profit d’un réalisme qui se voulait purement descriptif.

    Oui c’est bien, ce que l’on voit, mais le voyant, je ne le rêve pas. A la fin, Glenn Gould n’avait plus besoin de piano, il pouvait tout imaginer…

    Il est possible de voir sans comprendre, mais il est impossible d’imaginer sans comprendre.

  3. Avatar de bernard laget
    bernard laget

    ce que je trouve superbe avec Rohmer est qu’il nous fait rentrer dans le film, sa caméra se substitue complicement à notre propre regard, il le fait insensiblement en douceur; de simples spectateurs il nous rend complices.

  4. Avatar de domini CB
    domini CB

    C’était une joie pour moi de parcourir les 12 épisodes, je crois, de La collectionneuse,
    disponibles sur You Tube.
    Les petits matins, les chants des oiseaux…les chants du coq.
    Et ces instants vécus et à jamais révolus, insaisissables
    et enfuis, qui plus jamais ne reviendront.
    Ils sont aussi précieux et considérables que le quotidien qui m’est donné à vivre…à cette heure, du moins.

  5. Avatar de FabCH
    FabCH

    Quel tristesse d’apprendre incidemment sa mort, moi qui ne me laisse pas de me régaler de son oeuvre; quel contrepoint merveilleux il offrait par rapport à la déferlante du cinéma à gros sabots décervelant (je viens de découvrir les Amours d’Astrée et de Céladon alors que le battage médiatique se déchainait sur cette coquille d’Avatar, belle mais horriblement vide et ne consistant qu’en un assemblage de poncifs éculés….).

    Je me rappelle avoir enregistré à la télévision il y a près de 10 ans Le genou de Claire et que la bande n’avait pas été assez longue pour capter la fin, alors que Briali lorgnait son genou… Cette frustration m’a hantée des années avant de pouvoir enfin découvrir la fin du film…

  6. Avatar de Lola

    La vocation d’un film n’est pas d’apporter au cinéma.
    La vocation d’un film est d’être un beau film.
    J’aimais Rohmer et je me fous du cinéma.
    Et bravo pour la nouvelle vague japonaise si elle a produit des beaux films.

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