L’actualité de la crise: quand le brouillard se dissipe, par François Leclerc

Billet invité.

QUAND LE BROUILLARD SE DISSIPE

« Les marchés manifestent un regain d’aversion au risque vis à vis de la dette souveraine grecque ». Non, vous ne vous êtes pas trompé de blog, ne cliquez pas ! La mention de cette formule passe-partout, et pour tout dire sentencieuse, est là pour faire remarquer qu’elle a – tout du moins momentanément – disparu des commentaires de la presse !

En l’espace de quelques jours, à la faveur de la crise de l’euro, les Credit Default Swaps ont sous leur petit nom CDS acquis une notoriété dont ceux qui en bénéficient se seraient bien passés. L’un des principaux mécanismes spéculatifs par lequel la Grande Crise est arrivée à été démonté en place de Grève. Donnant à la prohibition des paris sur les prix des actifs une actualité qu’elle n’avait pas encore acquis et qui ne va plus la quitter. On parie ?

On a donc vu exposé que, sous prétexte d’assurance, les CDS permettaient de spéculer sur le marché obligataire public (ils sont en fait multi-usages), étant l’indice par excellence du risque attaché à la dette d’un pays. Alors que leur valeur peut être manipulée, car il n’est pas nécessaire pour les acheter de posséder le bien que l’on assure et l’on peut, par des achats massifs, influer sur celle-ci ! C’est un jeu encore plus simple que celui des agences de notation.

Le nom d’une banque d’outre-Atlantique aux moeurs connues pour être dissolues a également été jeté en pâture à l’opinion, évitant l’épineuse question de savoir si des banques européennes – notamment allemandes  – avaient bien pu tremper dans la combine. Amenant jusqu’aux services de renseignements du gouvernement espagnol (CNI), selon des sources très bien informées, à s’engager sur la piste des spéculateurs visant leur pays, comme si la guerre était déclarée et que seuls les hommes de l’ombre pouvaient naturellement intervenir afin de percer les mystères d’une économie qui y baigne également.

Comme si une leçon ne suffisait pas, une fuite, dont a bénéficié le Spiegel puis le New York Times, a été l’occasion d’une seconde révélation, qui a suscité à ce jour beaucoup plus de questions que de réponses. Goldman Sachs a aidé le gouvernement grec en lui avançant un milliard de dollars, moyennant finance et en gageant des recettes futures, sous couvert d’un swap de devises, afin de passer sous la barre des contraintes budgétaires permettant d’accéder à la zone euro. L’histoire est désormais connue mais ne va pas pouvoir s’arrêter en si bon chemin.

Qui était au courant dans les instances communautaires et gouvernementales européennes ? D’autres pays auraient-ils procédé de même  ? D’autres banques se seraient-elles prêtées à de telles opérations  ? Pour répondre à ces questions, il n’est envisagé, aujourd’hui, qu’une banale demande d’information au gouvernement grec de la part d’Eurostat – l’organisme chargé de centraliser les données économiques et financières des pays membres de la zone euro – et qu’une enquête très indécise menée depuis Bruxelles. Les grosses voix qui comptent, celles de Jean-Claude Trichet et de Jean-Claude Junker, ont d’autorité et d’entrée de jeu évacué l’idée que d’autres pays pourraient avoir joué au même jeu interdit que la Grèce (en précisant, à tout hasard, « à ma connaissance »).

Seul, le ministre grec des finances a affirmé le contraire. Faire de la Grèce un cas unique arrangerait donc presque tout le monde, sauf cette dernière, afin de ne pas élargir le camp des coupables, voir les mises en cause se multiplier, et la nécessité d’une sérieuse enquête s’imposer. A nouveau, on parle beaucoup de Goldman Sachs sur cette nouvelle affaire, sans pour autant envisager de lui demander des comptes, et sans chercher à élargir le cercle à d’autres banques ! Bref, on tente de circonvenir le feu, une fois de plus, et à noyer le poisson par la même occasion.

Cela va pourtant vite, quand cela s’y met, dans le domaine des supputations et des révélations, des surprises sont donc possibles ! Simon Johnson envisage déjà que Mario Draghi, candidat à la succession de Jean-Claude Trichet et président du FSB, soit dans l’obligation de retirer sa candidature à la présidence de la BCE et qu’il pourrait même ne pas garder la sienne à la FSB (le Comité de stabilité financière). Les limiers rodent autour du cas de l’Italie, dont il est de notoriété publique que les comptes sont créatifs. Des bouches se décousent, et de vieilles histoires du début des années 2000 sortent, quand les miracles de la titrisation et des Special Purpose Vehicles, ces discrètes structures, étaient vantés aux Etats afin d’habiller leurs comptes. Impliquant non seulement la Grèce, mais également le Portugal et l’Italie. Des noms de banques sont aussi citées : Deutsche Bank, BNP Paribas…

Ce nouveau coin de voile levé sur l’économie de l’ombre ne laisse pourtant pas d’étonner. Car un Etat en est donc venu – censé être un parangon de vertu dans un monde de brutes – à se commettre avec une banque dont la bonne fortune est désormais suspecte afin de manipuler ses propres comptes. Amenant à penser que les Etats eux-mêmes, à y regarder, pourraient être partie prenante de l’économie de l’ombre. Une généralisation bien entendu hâtive et presque sans fondements.

Les banques – encore et toujours les banques, symboles du système financier  ! – sont à nouveau projetées à la une de l’actualité en raison de leurs pratiques. La question d’une légalité qu’elles auraient pu transgresser, dans le second cas, est pour l’instant écartée, sauf par des voix isolées outre-Rhin. Une enquête concernant leurs agissements, ou pire des poursuites, même pas évoquée. Comme si leur impunité était de droit, leurs services par ailleurs requis, leurs intérêts en contrepartie préservés. Veillant à ce que la Grèce ne fasse pas défaut, et que les émetteurs de CDS ne se retrouvent pas avec leur garantie sur les bras. Exigeant de la Grèce une rigueur extrême, pour leur plus grand bénéfice.

Cela a amené John Kemp, choniqueur de Reuters, à proposer sur son blog que le gouvernement grec demande un moratoire et une renégociation de sa dette, afin de soulager la pression et de faire payer aux banques une partie de l’addition. Car, selon lui, c’est encore une dose d’aléa moral qui est distillé à ces dernières à la faveur de la crise grecque, sous forme de garantie donnée qu’elles seront remboursées, la zone euro intervenant si nécessaire en toute dernière instance.

Dans le feu de l’action, des déclarations restées très timides ont été prononcées, notamment par Christine Lagarde (ministre française des finance), à propos de la spéculation contre la zone euro et l’usage à cette fin des CDS, dont on attend un début de concrétisation. Ayant conscience qu’il valait mieux cependant allumer un contre feu, Barclays a pondu un rapport, distribué largement à la presse, cherchant à laver les CDS des pêchés qui leur sont attribués. S’interrogeant gravement sur le fait de savoir si l’on devait les comparer à un canari dans une mine (chargé en mourant d’avertir de la venue du grisou), ou à un matou lâché au sein d’un groupe de pigeons, pour bien entendu privilégier la première de ces deux images, plus avantageuse. De son côté, Angela Merkel (la chancelière allemande), voudrait que de nouvelles règles imposent désormais aux pays et aux banques de dévoiler les opérations de swap obligataires ayant un impact sur les finances publiques.

Petit à petit, le brouillard dans lequel le système financier est enveloppé se dissipe. Plus il affiche ses résultats, dans un monde qui se confirme être en crise économique prolongée, plus ceux-ci deviennent suspects. Plus ses agissements et ses instruments s’affirment comme contribuant au bien-être d’un nombre réduit de privilégiés, sa base sociale devenant de plus en plus étroite, plus il va avoir tendance à s’enfermer dans un monde excluant les autres, pour se protéger hors d’atteinte. Tout en développant un contrôle social de plus en plus lourd et omniprésent. Est-ce une option viable et tenable, si c’est la seule promesse qu’il peut tenir ?

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