Mr. Pascal Salin est très mal informé

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Mr. Pascal Salin, professeur émérite à l’université Paris-Dauphine, propose dans Le Monde d’hier de Revenir au véritable capitalisme. L’antienne libertarienne qu’il entonne est connue : le pétrin dans lequel nous sommes n’est pas dû au capitalisme mais à l’État. Non seulement, dit-il, le capitalisme n’y est pour rien mais s’il avait pu mieux dispenser ses bienfaits, aucun des événements fâcheux des dernières années ne se serait produit : « En réalité, c’est l’interventionnisme des Etats et l’affaiblissement des disciplines du capitalisme à notre époque qui ont empêché les marchés de jouer leur rôle régulateur… il faut voir dans la crise récente, comme dans les précédentes, une conséquence de l’affaiblissement du capitalisme ».

Il s’agit une fois encore de prendre Keynes comme punching-ball : sa mort prématurée en 1946 a frustré les Hayékiens de leur adversaire de prédilection et, pareils au pauvre Hamlet, ils n’en finissent pas de se disputer avec le spectre du père-héros mais haï.

Malheureusement, les rares faits que Mr. Salin mentionne dans sa tribune libre sont faux. Premier argument, que l’on répète en effet aux heures de grande écoute mais que l’on ne s’attend pas à trouver sous la plume d’un économiste : « Les banques ont ainsi été incitées ou même contraintes d’accorder des crédits à des emprunteurs peu solvables sous le prétexte absurde d’éviter de prétendues discriminations ». Ce n’est pas l’État qui a encouragé l’allocation de prêts subprime : l’État américain imposait des quota d’attribution de prêts à des minorités ethniques par l’intermédiaire des Government–Sponsored Entities Fannie Mae et Freddie Mac mais ceux-ci portaient sur des prêts dits « conformes » (en bleu sur le graphique ; RMBS pour Residential Mortgage–Backed Securities : titres adossés à des crédits hypothécaires résidentiels – repris de mon livre L’implosion [2008 : 210]). Les années « subprime » furent les années 2004 à 2006, la titrisation y fut l’œuvre essentiellement du secteur privé (en pourpre).

Dans le contexte de la bulle, les emprunteurs étaient solvables et leur capacité au refinancement de l’hypothèque prise sur leur logement était entière : des prêts leur furent accordés tout simplement parce que ceux-ci rapportaient beaucoup d’argent au secteur bancaire privé et à son compère, les banques d’affaires de Wall Street. Demandez donc à mon ancien patron à Countrywide, Mr. Angelo Mozilo, s’il se livrait à cette activité parce que l’État lui avait mis un révolver sur la tempe.

Deuxième argument : « Cette situation [d’expansion du crédit et de baisses des taux courts] a été aggravée par la politique interventionniste du gouvernement américain dans la politique du logement ». Cet argument-là est plus intéressant encore parce qu’on y retrouve le fameux arroseur arrosé. Mr. George Bush fut l’ardent promoteur de la « société propriétaire » : la Ownership Society. Étant Président de l’État Fédéral, il était sans conteste représentant de l’État. Mais qui lui a offert, clé en main la Ownership Society, marketing et discours justificatif compris ? Le Cato Institute, le fameux think-tank… libertarien, où Mr. Salin compte j’en suis sûr de nombreux amis et admirateurs.

Il n’y a dans ce que je viens de dire pas grand mystère et quiconque voudrait en savoir plus en trouvera les détails dans mon livre La crise du capitalisme américain (2007 ; 2009). Non, c’est bien le capitalisme qui a joué avec les allumettes, et c’est lui maintenant qui vient, par Hayékiens interposés, blâmer le pompier étatique d’avoir mouillé pour tenter de le sauver, tout ce qui n’a pas brûlé dans l’incendie qu’il a lui-même provoqué.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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