Billet invité.
LE FOND DE LA RIGUEUR
Ces derniers mois, la seule promesse qui pouvait encore être tenue dans les pays occidentaux était celle d’une croissance sans emplois, en application d’un nouveau concept de la science économique mal établi et que l’on hésitait encore à revendiquer.
Puis est brusquement survenu un mal qui répand la terreur, le déficit puisqu’il faut l’appeler par son nom, et qui a tout balayé ! De Tokyo à Bruxelles et de Washington à Londres, la dette publique est en peu de temps devenue l’ennemi public n°1. Reléguant à un second rôle le spectre de l’inflation et anéantissant par la même les velléités des banques centrales de fermer le robinet de leurs libéralités en faveur des banques, dont la poursuite est au contraire réaffirmée pour une longue période. Un nouveau spectre lui succédant, à ce point craint que son nom est le moins possible prononcé : la déflation. Une plaie dont on sait quand on y rentre et jamais comment on peut en sortir. Un mécanisme face auquel le danger de la dette publique devient secondaire et impose d’en trouver le financement pour jouer la relance.
L’Europe et la Grèce ont tenu ces dernières semaines le devant de la scène dans le grand drame de la dette, et l’on constate aujourd’hui que rien n’est toujours réglé, comme le démontre la remontée des taux sur les obligations souveraines grecques, qui viennent à nouveau de dépasser le seuil des 7% (taux à 10 ans). Un plan de sauvetage européen existe désormais, mais les conditions dans lequel il pourrait être activé restent floues, aussi politiques que ses principales mesures, dont on commence à douter qu’elles seront assez efficaces.
Espérant détourner les foudres qui les menacent, les Espagnols et les Portugais multiplient dans la précipitation les déclarations de bonne volonté, les premiers annonçant être prêts à tenir les objectifs de réduction de leur déficits à « n’importe quel prix », les seconds avoir de nouvelles mesures de rigueur en réserve. Il en faut plus pour impressionner les marchés, dont il se confirme, en fait de conjuration, qu’ils sont en ce qui concerne la dette souveraine européenne très bien représentés par les banques européennes.
D’autres signaux d’alerte retentissent plus lointains. Aux Etats-Unis, Ben Bernanke, président de la Fed, donne à nouveau de la voix et se fait de plus en plus insistant en entonnant l’air de la réduction du déficit. Au Japon, une dévaluation drastique du yen accompagnée d’amples mesures de création monétaire finançant la dette publique sont proposées par le parti social-démocrate au pouvoir.
Chacune à leur manière et dans des contextes économiques différents, les deux premières puissances mondiales recherchent comment elles vont bien pouvoir gérer au mieux les impératifs contradictoires d’une dette qu’il faudrait réduire d’un côté et amplifier de l’autre, afin de retrouver la croissance ou bien la conserver en soutenant l’économie. L’Europe reste en première ligne, mais le tour des Etats-Unis et du Japon se rapproche inéluctablement. L’un toujours protégé par le dollar, l’autre par son épargne intérieure qui fléchit.
C’est à se demander si la Grèce n’a finalement pas eu de la chance d’être choisie en premier pour l’exemple, bénéficiant à l’arraché de mesures de sauvetage, même si certains considèrent que celles-ci vont la soutenir comme la corde soutient le pendu. On s’interroge non pas sur l’identité de celui des pays pré-sélectionnés qui va la suivre, mais sur la hauteur de la marche qui va être franchie la prochaine fois, la crise montant d’un cran, et rendant peu vraisemblable la réédition du plan de sauvetage grec : on parle de 80 à 90 milliards d’euros sur trois ans pour la seule Grèce. Si l’Espagne devait être aidée, on changerait d’ordre de grandeur.
Mais il ne s’agit pas seulement de cela. Les objectifs de réduction des déficits fixés par Bruxelles ne sont pas tenables et ne peuvent pas tenir lieu de stratégie économique. Pas plus que le plan de sauvetage n’est, contrairement à ce qu’a imprudemment déclaré Christine Lagarde, la ministre française de l’économie et des finances, un mécanisme valable pour de nouvelles crises.
Si aucune avancée dans ces deux domaines n’est effectuée, il faudra revoir les objectifs et repousser les échéances pour le retour aux paramètres de bonne conduite, après avoir constaté qu’elles n’ont pas été tenues ou ne pourront l’être. On se sera entre temps installé, grâce aux premières mesures de rigueur et en raison de l’absence d’un plan européen de relance, peu ou prou dans la déflation, et pas seulement dans quelques pays particulièrement mal en point, comme le concède désormais le président de la BCE, Jean-Claude Trichet. Qu’en sera-t-il de l’euro ?
Venant de publier ses nouvelles « Prévisions économiques mondiales », le FMI fournit un éclairage juste à propos. S’en tenant pour l’instant à la période qui va jusqu’à la fin 2011, l’organisation internationale estime que le taux de chômage va rester à un niveau élevé, chiffré selon une moyenne peu significative à environ 9%, constatant qu’il continue de monter en raison de « l’expansion continue de la population active ». Sans qu’il soit besoin de chicaner le FMI pour son chiffrage et ses commentaires, on est en droit de craindre qu’il n’a pas pris en compte – ou les sous-estime en tout cas – les effets des plans de rigueur en cours d’application ou de conception. Mais il constate néanmoins que le chômage ne va pas régresser.
Un autre document, cette fois-ci de l’OCDE, est plus alarmant. Etudiant le chômage des jeunes (moins de 25 ans), il évoque le risque d’une « génération sacrifiée ». Connaissant actuellement, dans les 30 pays de l’OCDE, un taux de chômage de 19%, cette génération aurait des perspectives « plutôt sombres » dans les deux ans à venir. « Les jeunes peu qualifiés qui, même avant la crise, étaient confrontés à de multiples obstacles pour trouver du travail, sont maintenant exposés à un risque élevé et prolongé d’inactivité et d’exclusion ». La question serait de leur fournir, à court terme, un « filet de sécurité ».
Ce n’est pas autre chose que vient de faire, pour les salariés en général, le gouvernement Allemand, en décidant de proroger jusqu’à la mi-2012 les subventions au travail à temps partiel qui ont déjà permis d’éviter que 1,2 millions de travailleurs allemands ne rejoignent les rangs des chômeurs. On voit que la rigueur est facile à décréter mais plus difficile à instaurer.
A l’heure où le dossier des retraites fait l’actualité, et où sont adoptées dans certains pays les premières mesures restrictives, on peut s’interroger sur le sens d’une société où les jeunes vont avoir de plus de difficultés à accéder au marché du travail, alors que les plus âgés en sont sortis de plus en plus précocement (et vont voir leurs retraites très amoindries). Ce n’est pas seulement en raison du vieillissement de la population que le régime des retraites est déséquilibré (sans entrer dans d’autres aspects du dossier), mais aussi en raison de la diminution de la taille du marché du travail.
De fait, la question ne va plus pouvoir être traitée sous son angle purement financier. Elle va impliquer une réflexion plus globale et, à tout le moins, des mesures de protection sociale, faute desquelles la société à deux vitesses que l’on connaît déjà va se développer très rapidement.
C’est dans ce contexte social que la crise de la dette publique va devoir être traitée.
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