L’actualité de la crise: pour prévenir, il faudrait guérir, par François Leclerc

Billet invité.

POUR PRÉVENIR, IL FAUDRAIT GUÉRIR

A Bâle, le plus distingué des aréopages vient de mettre au point le nouveau dispositif destiné à ce que nous ne connaissions plus jamais cela. Afin que plus jamais le système financier ne soit dans l’obligation d’être renfloué par les Etats sur fonds publics, car ils n’en ont plus les moyens. C’est tout du moins ce qui est reconnu par ses ténors quand ils sont en mal de franchise.

L’histoire dira, mais on ne sait pas quand, s’il s’agit ou non d’une forfanterie de plus. D’un accord de circonstance marqué dès l’origine par une incompréhension de la nature profonde de la crise actuelle, par une incapacité à remettre en cause des rouages qui vont tôt ou tard reproduire les mêmes effets. Dans un contexte qui aura évolué – que l’on voit se dessiner à grands traits – et d’une manière qui ne sera pas la même que la dernière fois.

Dans l’immédiat, un notable renforcement des fonds propres que vont devoir détenir les banques a été décidé par les représentants des banques centrales et des régulateurs des 27 pays membre du Comité de Bâle, sous les auspices de la Banque des règlements internationaux. Le prochain G20 de Séoul devrait donner l’occasion aux Chefs d’Etats d’entériner cet accord.

Avant même de s’interroger sur les modalités du dispositif, et sur les délais dont il est assorti pour que sa mise en œuvre soit effective – la date butoir de 2018 est avancée, dans huit ans – on mesure le paradoxe qu’il représente : on prétend définir les conditions permettant de ne pas replonger dans une crise dont on ne sait toujours pas sortir. Ce qui ne manque pas de susciter une interrogation tragiquement écartée : est-ce que les mesures qui devraient être adoptées pour que cela ne se reproduise pas ne sont pas celles qui permettraient de sortir de la crise  ?

A quoi bon élever une nouvelle muraille réputée infranchissable – une de plus, dans une longue lignée – si l’on abdique de toute réflexion sur les mesures qui devraient être prises pour sortir de la crise actuelle, une perspective qui n’est même plus évoquée dans les discours  ? Comme s’il allait falloir prendre son parti d’une vérité qui n’est pas bonne à dire, selon laquelle nous y sommes installés pour une longue période et que ses conséquences durables vont progressivement se révéler.

Ce ne sont ni les dernières prévisions de l’OCDE, ni celles que le FMI vient de rendre publiques dans une note de préparation destinée aux participants du prochain G20, qui viendront contredire ce sinistre présage. Nous sommes partis pour connaître dans la zone occidentale une longue période de très faible croissance économique – mesurée suivant la méthodologie actuelle – et en subir des conséquences économiques et sociales qui commencent seulement à être entrevues. En particulier en terme de persistance d’un taux élevé de chômage – dont il va falloir se résoudre à reconnaître qu’il est devenu structurel – d’extension des zones de pauvreté et d’accroissement de la précarité au sein de ce que l’on appelle les classes moyennes, dont les soubassements économiques et sociaux sont destinés à être progressivement sapés. Lentement le rideau se lève et un nouveau décor apparaît avant que les projecteurs ne l’éclairent de plein feu.

Parallèlement, une situation d’impuissance s’instaure, admise du bout des lèvres seulement. Celle de la régulation de l’économie et de la finance sous les auspices de banques centrales et des leviers de leur politique monétaire. Car une triste vérité se fait jour : ceux-ci sont actionnés dans le vide et n’ont plus de point d’appui. Toutes les mesures exceptionnelles peuvent être prises, dépendant du fait qu’elles sont américaine, japonaise ou européenne, rien n’y fait : au mieux les tuyaux ne peuvent plus être débranchés et l’assistance de provisoire devient permanente, au pire elles ne permettent pas de relancer la machine. De leur côté, les Etats sont pris dans une contradiction qui voudrait que simultanément ils se substituent à une relance privée défaillante de l’économie tout en commençant sans plus tarder à réduire leurs déficits.

Le Comité de Bâle vient de décider de multiplier par trois les ratios exprimant le rapport entre les fonds propres durs et les engagements des banques. Les mesures portent à la fois sur les ratios, la nature de ce qui est reconnu comme fonds propres durs et le calendrier de mise en œuvre de l’ensemble. Les discussions qui jusqu’au dernier moment se sont poursuivies n’ont pas été uniquement l’occasion pour les différents lobbies bancaires, relayés par leurs gouvernements respectifs quand ils étaient nationaux, de ferrailler dur afin d’obtenir tel ou tel aménagement, en raison de la diversité des situations de faiblesse des systèmes bancaires.

On a vu les Allemands sur la défensive, permettant de mieux comprendre comment leur système bancaire était sinistré, les Français se réfugier derrière eux pour tenter de freiner les ardeurs des régulateurs, trop content de ne pas avoir à reconnaître leurs propres faiblesses, tels les champions incontestés d’une opacité maintenue coûte que coûte. On a cru apercevoir les Américains et les Britanniques – au coeur du système financier – pousser au contraire les feux sur une voie les avantageant, appuyant du doigt sur la fragilité de la structure des fonds propres des banques européennes continentales, que la nouvelle réglementation va proscrire. On a mieux compris comment le système bancaire était profondément hétérogène, une minorité de puissantes mégabanques régnant sur un tissu de banques mal en point, qui connaissent un profond processus de concentration et absorptions, qui n’en est qu’à ses débuts.

Mais on n’a toujours rien appris de la situation réelle des banques, comme en témoignent l’imprécision et le flou qui continuent de régner afin d’établir la liste de celles qui sont déjà confortablement pourvues en capitaux et de celles qui ne le sont pas et vont devoir fortement accroître ceux-ci. Les estimations des besoins de financement sont toutefois supposés très importantes, ce qui justifie les longs délais prévus de mise en conformité avec les nouvelles règles, afin que les banques ne se bousculent pas au portillon et fassent inconsidérément monter les taux du marché. On commence à reconnaitre que les Etats et les banques vont se retrouver en concurrence sur les marchés financiers, une situation qui pourrait aboutir au surenchérissement des coûts de financement des uns comme des autres et pénaliser ainsi la relance économique.

En dépit de la diversité de leur situation, toutes les banques se sont reconnues dans un même langage. Elles ont mis en avant que les moyens financiers qu’elles vont devoir utiliser pour renforcer leurs fonds propres ne pourront pas l’être pour relancer l’économie. A regret, certaines reconnaissant même que les magnifiques rendements qu’elles ont enregistrés ces dernières décennies – leur retour sur capital – ne vont plus être reproductibles. Un argumentaire qui va les dédouaner de la faiblesse de l’offre de crédit qui continue d’être constatée et va masquer une réalité plus profonde. Car ce ne sont pas seulement ces nouvelles contraintes capitalistiques qui vont être à l’origine d’un moindre endettement global, ce sont également les instruments financiers qui le permettaient – et le suscitaient à la fois – qui font défaut. Le retour de la titrisation n’est pas pour demain, tout du moins au niveau que celle-ci avait atteint dans ses grands jours.

Mais au delà ces explications, une autre réalité se fait jour, un nouveau monde se dessine. Les mégabanques se mettent en ordre de bataille pour renouveler leurs exploits sur un autre terrain, après avoir épuisé celui qui ne leur permet plus d’atteindre leurs rendements habituels. De ce point de vue, elles accompagnent les grandes compagnies transnationales qui se dirigent aussi vite que possible vers les gigantesques et prometteurs nouveaux marchés que les pays émergents représentent. Toutes abandonnent à son sort marginal un vieux monde qui ne peut rivaliser avec les promesses du nouveau. En vue de déployer une nouvelle stratégie géopolitique dans un contexte en train de pivoter, où succède à l’axe ultra dominant Nord-Sud un nouvel axe Sud-Sud reposant sur le développement des relations économiques directes entre pays et marchés émergents.

Ce monde met les bouchées doubles pour accomplir en quelques dizaines d’années ce qu’il aura fallu bien plus de temps pour mettre sur pied en Occident. Non sans créer de gigantesques déséquilibres. Pas ceux que les Occidentaux déplorent parce qu’ils les atteignent directement – et irrémédiablement, vont-ils devoir finir par reconnaître – mais d’autres qui seront à terme redoutables pour toute la planète. Parce qu’ils mettent en cause à grande échelle et brutalement des équilibres environnementaux, mais aussi parce qu’ils suscitent des sociétés profondément inégalitaires, un modèle qu’ils en viennent à exporter et qui se répand par delà les frontières.

Huit longues années sont prévues afin que le système bancaire puisse se remettre sur pied par ses propres moyens. Dans des conditions d’opacité maintenue qui ne donnent aucune garantie de respect des nouvelles règles, lorsque celles-ci seront finalement adoptées. Le système financier continue de façonner le monde.

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