L’actualité de la crise : LE GRAND ÉCART, par François Leclerc

Billet invité.

Deux stratégies si radicalement opposées l’une à l’autre sont adoptées aux Etats-Unis et en Europe que l’on en vient à se demander si c’est bien la même crise mondiale qui y est vécue. D’un côté on étudie les mesures permettant de relancer de l’économie, de l’autre celles qui la dirigent tout droit vers la récession.

Aux Etats-Unis, les débats au sein de la Fed sont quasiment sur la place publique, les gouverneurs multipliant les prises de parole pour défendre leur point de vue. Une minorité de toujours voudrait que la Fed s’oriente vers la hausse de ses taux directeurs, afin de prévenir l’inflation. Tout à l’opposé, ce qui semble être une forte majorité oscille entre deux voies, qui pourraient être complémentaires. Relancer la planche à billet et donner l’assurance que les objectifs d’inflation sont relevés pour une longue période.

Tout cela a l’allure d’un conciliabule entre alchimistes tâtonnants à la recherche d’une pierre philosophale nommée relance. Sans se préoccuper des répercussions monétaires internationales de cette tentative incertaine et de dernier ressort

Les débats européens ne sont pas moins caricaturaux et hasardeux. La future succession à la tête de la BCE de Jean-Claude Trichet – qui oppose dans les coulisses Alex Weber à Mario Draghi – symbolise un débat de portée générale qui a peiné à déboucher dans les méandres diplomatiques de Bruxelles, face aux intérêts contradictoires des Etats.

Alex Weber a préconisé l’extinction des programmes de mise à disposition de liquidités à bas prix et d’achats d’obligations souveraines sur le second marché. Ce qui lui a valu une réplique de Jean-Claude Trichet. Weber le faucon s’est aussi distingué en réclamant l’adoption d’un dispositif « tout automatique » de pénalités pour les Etats qui ne respecteraient les ratios de déficit et de dette publics. Bruxelles envisageait qu’il puisse être bloqué par une majorité qualifiée, les Français par une majorité simple.

Un compromis franco-allemand a été trouvé et va être proposé la semaine prochaine aux chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne. Il associerait un dispositif prévoyant des pénalités pouvant être bloquées selon une majorité qualifiée et une prolongation éventuelle du fonds de stabilité financier (EFSF), qui faisait aussi débat. Des amendements au traité de Lisbonne devraient être adoptés par les Etats signataires, pour entrée en vigueur en 2013. La mise au point détaillée des mécanisme sera à suivre de près, si la proposition est finalement acceptée telle quelle !

Le danger que la stratégie engagée, avec ses nuances, dirige tout droit la région vers la récession et l’éclatement de la zone euro n’est même pas envisagé, pas plus qu’une quelconque initiative de relance. La seule timide proposition en ce sens vient de la Commission, qui cherche à accroître le budget communautaire pour mieux intervenir et se heurte aux intérêts des puissants, Allemands, Britanniques et Français.

Toute perspective de relance européenne est définitivement enterrée. La dette publique doit être brutalement comprimée pour que les dettes du système financier puissent lentement être digérées.

Si ! une voix vient de se faire entendre à propos du danger de récession. Celle de George Osborne, le chancelier à l’échiquier, qui a déclaré à la BBC qu’en cas de « double-dip » (de relance en « W »), il serait encore plus important que les pays européens prouvent qu’ils réduisent leur déficit, afin de prévenir une panique des marchés ! Ce qui revient à exiger du condamné qu’il creuse d’abord sa fosse.

Le détail de mesures qualifiées de « sauvages » par les syndicats et l’opposition sera révélé au Royaume-Uni mercredi prochain, dans la lignée des plans d’austérités grecs, espagnols, irlandais et portugais, qui ne cessent d’être renforcés. On parle du retour aux terribles années Thatcher.

Exprimant son désarroi, Fernando Teixeira dos Santos, ministre socialiste portugais des finances, vient de présenter une version durcie de son projet de budget 2011, l’assortissant du commentaire suivant, dans les colonnes du quotidien Publico : « On a pris des mesures dures, imposant des sacrifices, mais nous ne savons jamais ce que les marchés vont exiger de plus et peut-être nous dire que ce n’est pas assez, qu’ils en veulent plus, mais je ne vois pas très bien quoi faire de plus ».

L’agence Moody’s vient de décerner un satisfecit au gouvernement Portugais, mais elle n’est pas rassurante pour autant. Car les nouvelles mesures – qui n’ont pas encore été adoptées par le parlement, où le gouvernement est minoritaire – « augmentent le risque d’une double récession », selon elle.

La bulle immobilière espagnole se fait de son côté plus noire. Le taux de défaut des remboursements des crédits hypothécaires monte lentement mais sûrement. Selon la Banque d’Espagne, le montant des créances douteuses a dépassé 102 milliards d’euros, soit 5,61% du total des créances inscrites dans les livres des banques. Par quel artifice pourrait-il être donné un coup d’arrêt à cette progression, étant donné la situation économique actuelle et le contexte européen qui se profile  ?

Le gouvernement irlandais s’efforce de son côté de réunir un consensus politique autour d’un « plan de redressement » qui maintient la perspective de ramener le déficit à 3% du PIB en 2014. Un « immense défi » selon ses propres dires, car il a du réduire les prévisions de rentrées fiscales pour tenir compte d’une croissance inférieure à celle sur laquelle il escomptait, impliquant de nouvelles coupes claires budgétaires.

C’est le schéma qui va se reproduire en Europe. Olli Rehn, commissaire aux affaires économiques, vient de déclarer pour le confirmer que la Grèce pourrait devoir prendre de nouvelles mesures d’austérité budgétaire.

En se dirigeant résolument dans deux directions opposées, les Américains et les Européens peuvent-ils prétendre faire face aux exigences de la situation ? Rien n’est moins probable. Chacun à leur manière, ils s’enfoncent. N’ayant ni l’intention ni la force de procéder à des remises en question qui les dépassent.

La guerre monétaire que les Américains se préparent à intensifier va encore compliquer les calculs. Même si, aux dernières nouvelles, la Fed pourrait limiter le volume de son nouveau programme de création monétaire afin de mieux tâter le terrain.

Afin de ne pas être suspecté de catastrophisme aggravé, laissons la parole à Dominique Strauss-Kahn, co-président de la réunion aux côtés de Zhou Xiaochuan, le gouverneur de la Banque populaire de Chine, de la rencontre de Shangai : « Il y a aujourd’hui le risque que le chœur de ceux qui étaient parvenus à dompter la crise financière se dissolve dans une cacophonie de voix discordantes, alors que des pays font de plus en plus cavalier seul ».

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  3. la bonne vidéo est ici https://www.youtube.com/watch?v=qtkWkyJgZEU. Ca date de 2007

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