L’actualité de la crise : DEUX POIDS, DEUX MESURES, par François Leclerc

Billet invité

Réunis jeudi et vendredi prochains en Conseil européen, les chefs d’Etat et de gouvernement vont ramasser les copies pour adopter à l’unanimité un communiqué final avec pour objectif de stopper la cacophonie de ces derniers jours. Un projet de texte a déjà fuité auprès de la BBC, qui s’en tenait au minimum décent, mais les débats se sont depuis élargis à un nouveau sujet, une augmentation de capital de la BCE ayant entretemps été posée sur le tapis.

Rien toutefois ne présage – on s’en doute un peu – que les réponses qui vont être apportées en fin de semaine vont changer la face de l’Europe.

La crise part pourtant dans tous les sens. La nouveauté réside dans le développement de la protestation dans plusieurs pays : après le Portugal, la Grèce, l’Irlande, ce sont le Royaume-Uni et l’Italie qui connaissent leurs premières grandes manifestations, emmenées par les étudiants qui jouent leur traditionnel rôle d’éclaireurs. Si elles ont en commun de ne pas avoir de débouché politique revendiqué, la situation générale devrait être considérée comme inquiétante par ceux qui sont au pouvoir ou aspirent à y accéder.

En ce sens, la crise n’est pas devenue uniquement sociale, elle est également profondément politique, car mettant en évidence l’absence de répondant pouvant la canaliser. Les bonnes âmes parleront de montée du populisme et du danger des extrémismes, mais elles n’offriront pas pour autant d’alternatives, cloîtrées dans le cadre étroit de la rigueur – dont elles ne savent ni ne veulent sortir – avec des mots creux et des programmes timorés pour seule vaine promesse.

Politique, la crise l’est plus explicitement en Belgique, à la recherche d’un gouvernement introuvable dans un pays qui ne se reconnaît plus, ou bien en Italie, où une vulgaire emittenza retarde son départ sans que sa succession soit prête. Ou en Grande-Bretagne, où les bases parlementaires de la coalition entre conservateurs et libdems sont fragilisées par la mise en oeuvre d’un plan de rigueur extrême. Ou bien en Espagne, où des élections amèneraient si elles avaient lieu maintenant le Parti Populaire de centre-droit au pouvoir, tandis qu’au Portugal la tentative d’un gouvernement de coalition PS-PPD a pour l’instant fait long feu. Ou encore en Allemagne, où la coalition au pouvoir s’apprête à perdre des consultations difficiles, impliquant à terme sa reconfiguration.

Une autre nouveauté est apparue en Grande-Bretagne. La montée de l’inflation et la faiblesse de la croissance place la Banque d’Angleterre dans une situation inconfortable, prise entre la nécessité de relever ses taux d’un côté et de les maintenir bas de l’autre, de laisser suspendu son programme d’achats d’actifs ou au contraire de le relancer pour aider l’économie. Les signes avant-coureurs de la stagflation apparaissent, de triste mémoire dans un pays qui a déjà connu ce mélange de faible croissance et de forte inflation, prélude alors au thatchérisme, une période noire ou bénie suivant que l’on était pauvre ou riche, avec cette fois-ci la promesse de gratter encore plus jusqu’à l’os.

Au sein de la zone euro, l’Espagne reste le pays de tous les dangers. On y découvre subitement d’une part que les banques n’y sont pas en aussi bonne santé que certains l’affirment, et d’autre part que la crise immobilière continue de couver, propageant lentement mais sûrement ses miasmes. Des chiffres inquiétants circulent, calculés par Moody’s ou par UBS, faisant état d’importants besoins de recapitalisation des banques dans l’année qui vient, en fonction des pertes attendues.

De nouvelles émissions obligataires à 12 et 18 mois viennent de voir les taux s’envoler, signe des incertitudes qui planent à court terme. Selon un décompte dont on ne garantit pas la rigueur, Elena Salgado, la ministre des finances, vient pour la 58ème fois de déclarer sur un ton convaincu que « l’Espagne n’a pas besoin d’être aidée ».

Giulio Tremonti, son homologue italien, pourrait bientôt la rejoindre pour chanter ce même refrain. Malgré son maintien au pouvoir de justesse, Silvio Berlusconi n’est pas sorti d’affaire et l’Italie de sa crise politique. L’écart de ses taux avec ceux de l’Allemagne a atteint un record historique il y a deux semaines.

La dette publique italienne, d’un montant de 1.867 milliards d’euros (120% du PIB), est la troisième mondiale par ordre d’importance, alors que les perspectives de croissance sont très faibles, de l’ordre de 1,1% en 2011. Le pays vient de prendre son ticket dans la file des pays qui attendent d’entrer dans la zone des tempêtes.

C’est aussi le cas de la Belgique, que l’agence Standard & Poor’s vient de mettre en garde : « Si la Belgique échoue à former bientôt un gouvernement, une dégradation de sa notation pourrait intervenir dans les six mois ». Poursuivant : « l’incertitude politique prolongée en Belgique présente des risques pour la réputation de solvabilité de son gouvernement ».

Le pays doit en effet dégager 22 milliards d’euros d’ici 2015 pour ramener le déficit public à zéro, contre 6% du PIB l’année dernière, avec pour objectif que la dette ne repasse pas l’an prochain au-dessus de 100% du PIB.

Les autorités de Bruxelles, qui tentent encore d’exister dans la cacophonie ambiante, viennent de souligner dans un rapport semestriel sur l’état de l’Europe que « la possibilité de contagion au sein de marchés très interconnectés signifie que le système financier de l’UE dans son ensemble reste exposé ». Une tardive reconnaissance que la lancinante question de la dette ne peut se résumer à celle de la dette publique, mais qu’elle englobe également la dette privée, plus particulièrement celle du système bancaire. Sans que cette évidence soigneusement éludée soit bien entendu assortie du commencement de l’amorce d’une solution. La tenue prochaine de nouveaux stress tests fait à elle seule évoluer les commentaires, sans même attendre leurs résultats…

Le menu des chefs d’Etat et de gouvernement est déjà copieux, il est vrai ! Ils prétendent se consacrer en priorité au futur mécanisme de crise, pour en avancer le lancement de six mois, début 2013. Mais ils ne vont pas pouvoir en rester là, devant la nécessité d’aborder dans l’immédiat les sujets qui fâchent. L’émission d’euro-obligations évacuée sans nuances – malgré le renfort apporté à cette option par le FMI, la Commission de Bruxelles et l’économiste en chef de l’OCDE – repousser toute augmentation des moyens mis à disposition du fonds de stabilité financière (EFSF) ne suffira pas pour clore le débat.

Venant troubler le front du refus emmené par les Allemands, auxquels les Français se sont ralliés, la Commission de Bruxelles a en effet proposé que l’EFSF voit ses prérogatives et instruments élargis. En mettant à disposition des lignes de crédit à court terme pour les pays qui en auraient besoin – à la manière du FMI – ou bien en achetant des obligations souveraines. Une bonne manière faite à la BCE, afin qu’elle puisse se désengager. Mais cela n’en prend pas spécialement le chemin, l’immobilisme devrait prévaloir.

Tel le feu qui couve, un autre débat sous-jacent ne pourra être totalement éludé. Innocemment présenté sous le terme de renforcement de la « gouvernance économique » et en réalité abordant la question de l’avenir de l’Europe, puisque tous, les Allemands en tête, réaffirment ces derniers temps avec force leur indéfectible attachement à l’euro et qu’il faut se donner les moyens de sa conservation. La rigueur et la discipline budgétaire soit, mais comment y parvenir sans renforcer et coordonner les politiques économiques et fiscales ?

Dans une interview remarquée accordée à Bild am Sonntag, Wolfgang Schäuble – ministre allemand des finances – a déclaré être ouvert à une harmonisation de la politique fiscale. Faisant référence à la création de l’euro, il a avancé qu’« il avait été décidé que la politique fiscale et budgétaire serait réservée au niveau national. Mais si cela doit changer, nous pouvons en parler ». Par ailleurs, la politique économique allemande se déploie, soit en cherchant à ce que que la Pologne rejoigne la zone euro, soit en prévoyant d’accroître ses exportations en Inde afin de diversifier hors Europe ses débouchés.

Toujours dangereusement au bord du précipice, les gouvernements de la zone euro cherchent à serrer les coudes, sans savoir encore trop comment procéder. Pris entre un fédéralisme vide de contenu et le chacun pour soi qui prédomine actuellement. Prenant les devants, Jean-Claude Trichet a cadré la discussion avant l’ouverture du sommet européen. Il préconise d’« aller davantage dans la direction d’une fédération », défendant la nécessité d’un « bond en avant dans la gouvernance économique nécessaire et proportionnée à l’union monétaire que nous avons créée ». Le tout au service de la politique de rigueur disciplinée qu’il ne cesse de préconiser, ignorant les avertissements du FMI de ne pas sacrifier la relance de la croissance.

L’OCDE n’est pas en reste, considérant dans sa dernière étude que de « lourdes incertitudes » planent sur une reprise qualifiée de « faible et lente », la « priorité immédiate » de la réduction des déficits pouvant « freiner la croissance à court terme ». C’est dans ce but que l’organisation préconise de renforcer l’Union économique et monétaire, car elle « est venue compliquer la coordination de la réponse à la crise, l’échelon national conservant un grand nombre de pouvoirs et les échelons de l’UE et de la zone comportant de multiples acteurs ». Le tout afin de mettre en place une surveillance accrue des déficits budgétaires, avec à la clé des sanctions « appliquées quasi-automatiquement ». De manière significative, mais accessoire, le document de l’OCDE reconnait que « de nouvelles opérations de recapitalisation des banques pourraient être nécessaires ».

En attendant, c’est de la recapitalisation de la BCE qu’il est question. En formulant cette perspective, que cherche donc Jean-Claude Trichet ? Devant se résoudre à poursuivre son soutien des pays de la zone des tempêtes sur le marché obligataire, il demande aux Etats et à leurs banques centrales de mettre au pot en doublant le capital de la BCE, non sans s’être assuré du soutien préalable de l’Allemagne.

Malgré elle, la BCE est entraînée sur une pente et veut interrompre la glissade. Jean-Claude Trichet veut par son intervention signifier aux gouvernements que les achats obligataires de la BCE ne sont pas illimités et qu’ils doivent prendre leurs responsabilités, comme il n’a cessé de l’affirmer. Car, en réalité, aucune augmentation de capital n’est nécessaire, l’Eurosystème, qui regroupe la BCE et les banques centrales nationales, étant déjà solidaire en raison de ses mécanismes internes pour les achats effectués et à venir.

Le contexte général du marché obligataire n’en est pas moins inquiétant. Selon Unicredit, la mégabanque italienne, les pays de la zone euro devront aller chercher 560 milliards d’euros en 2011, soit 45 milliards de plus que cette année, le montant le plus élevé depuis la création de l’euro. Dans un contexte général de hausse des taux, qui atteint également les Etats-Unis, quels taux les pays européens devront-ils consentir, qu’ils soient ou non pris dans la zone des tempêtes ?

Deux facteurs vont se conjuguer pour contribuer à cette hausse. 1/ La concurrence avec les banques, dont les prochains stress tests, s’ils veulent être plus crédibles que les précédents, ne pourront pas totalement masquer le besoin de recapitalisation de certaines. 2/ L’exode des capitaux engagé vers le nouvel eldorado des pays émergents, que la Banque des règlements internationaux a déjà enregistré. Soit dans le cadre d’opérations à court terme de carry-trade sur le marché monétaire, soit afin de participer au développement des nouveaux marchés financiers.

La politique européenne a décidément comme constante d’être toujours décidée par défaut. Le prochain sommet n’y fera pas exception. Ses modalités évoluant au fil du temps et des circonstances, elle suit toutefois une même ligne directrice : les Etats doivent être soumis à une grande rigueur de gestion et se financer auprès des banques commerciales, tandis que celles-ci bénéficient d’une grande souplesse et sont financées par la BCE.

Cela revient à ce que les financiers appellent dans leur langage une asymétrie de traitement et que le commun des mortels dénonce comme étant « deux poids, deux mesures ».

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136 réponses à “L’actualité de la crise : DEUX POIDS, DEUX MESURES, par François Leclerc”

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  1. Ajouter qu’en termes de « faux-jetons » … me semble-t’il…. ceci devrait frôler un record.. : https://www.lalibre.be/international/europe/2025/07/05/un-couple-neerlandais-implique-dans-79-accidents-comparait-pour-fraude-a-lassurance-ce-sont-les-autres-conducteurs-qui-ne-font-pas-attention-4CR4LQWSHBBMHC77BXUG75NR7Q/ … » Autre élément surprenant :…

  2. La vraie question…à nouveau donc , me semble-t’il , reste : https://www.pauljorion.com/blog/2025/07/05/video-les-faux-jetons-sont-au-pouvoir/comment-page-1/#comment-1078536

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