LES SPÉCULATEURS SUR LA DETTE GRECQUE, NEUTRALISÉS

La décision par l’ISDA (International Swaps and Derivatives Association) que le fameux « swap » de la dette grecque (PSI pour Private Sector Initiative) annoncé vendredi dernier n’est pas un « événement de crédit » et ne déclenchera pas les CDS (Credit-default Swaps) contractés sur sa dette souveraine est une belle victoire sur les marchés, la première vraie victoire dans le combat inégal qui se menait jusque-là, et dont la phase initiale a été la crise des subprimes qui s’était déclenchée il y a exactement cinq ans.

Avec cette décision, c’est la spéculation sur la dette souveraine qui est mise au pas : proprement neutralisée, puisqu’un défaut partiel (les détenteurs privés de dette grecque ne récupéreront que 46,5 centimes de l’euro), assorti d’un rééchelonnement et d’une baisse des taux d’un niveau spéculatif à un taux correspondant à une évaluation objective du risque (en fonction de la garantie européenne), ne sera pas considéré « événement de crédit ». Si une telle combinaison d’éléments de dépréciation ne l’est pas, rien ne le sera plus – en tout cas dans ce cas précis de CDS contractés sur de la dette souveraine dans le cadre de la zone euro.

Pour la première fois depuis longtemps, les acheteurs de dette, c’est-à-dire les prêteurs des États, se sont vus forcés de devoir prendre à la lettre le fait que le taux assorti à la dette, le « coupon », contient une prime de risque et que celle-ci est précisément là pour compenser les occasions – rares de préférence – où les sommes avancées ne seront pas remboursées ou ne le seront, comme dans ce cas-ci de la Grèce, que partiellement.

Les États qui s’étaient écrasés jusqu’ici misérablement devant les diktats des spéculateurs sur le marché de la dette d’État avaient bien besoin d’une victoire pour redorer leur blason, l’ISDA vient de leur en offrir une.

La décision du comité de l’ISDA a apparemment été prise à l’unanimité de ses quinze membres : un consensus impressionnant, il faut bien le dire. Qu’est-ce qui a pu le motiver ? En l’absence d’explications – et on nous assure bien qu’il n’y en aura pas – on ne peut que spéculer (sans mauvais jeu de mots).

L’hypothèse la plus vraisemblable est que l’ISDA représentant tous les acteurs sur le marché des CDS devait défendre les intérêts de deux types de spéculateurs : ceux qui contractaient des positions « nues » sur la dette de la Grèce (autrement dit spéculaient sur son défaut sans véritablement être exposés à un risque de perte) et ceux qui émettaient la protection (sans avoir véritablement constitué de réserves, comme le cadre légal – ou plutôt son absence – le leur permet). On a dû procéder au calcul global des risques et constater que la chute des « assureurs » aurait coûté plus cher et causé davantage de risque systémique (risque d’effondrement généralisé du système financier) que celle des parieurs, et prendre en conséquence le parti des « assureurs » (le spectre de la compagnie d’assurance d’AIG hante encore toutes les mémoires – elle qui, à l’automne 2008, s’est effondrée pour avoir émis inconsidérément des CDS sur Lehman Brothers et sur les victimes collatérales de la chute de celle-ci).

Si mon hypothèse est correcte, ce ne sont pas tellement les États qui auront neutralisé la spéculation sur la dette souveraine, que les deux types de spéculateurs présents sur ce marché qui se seront neutralisés l’un l’autre. Il est vrai que si l’on avait dû attendre le retour du courage de la part des États, on risquait de devoir attendre encore bien longtemps !

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