Billet invité
Le monde des investisseurs « High tech » a entamé la semaine avec la gueule de bois, et elle ne semble pas être près de passer. La raison ? L’introduction en bourse du géant des réseaux sociaux, aux 900 millions d’utilisateurs affichés, tourne au fiasco. Mardi 22 mai, le titre dévissait pour le 3ème jour consécutif, clôturant à 31 dollars, alors que l’introduction s’était faite vendredi à 38 dollars. Une chute d’autant plus spectaculaire que le mode d’introduction retenu, à savoir ne proposer qu’un petit nombre d’actions représentant un pourcentage faible du capital, est une technique habituellement utilisée pour générer une croissance rapide à court terme de la valorisation des titres. S’il y avait besoin d’une énième preuve de l’irrationalité des marchés, le scénario rocambolesque d’une des plus importantes entrées en bourse de l’histoire serait un candidat tout trouvé. Retour sur un scandale qui ne dit pas – encore – son nom.
Les rumeurs sérieuses sur l’introduction en bourse de facebook ont commencé à circuler courant 2010. Les spéculations allaient bon train pour une IPO (Initial Public Offering, la procédure d’introduction en bourse permettant la cotation d’un titre) en 2011 ou 2012. À l’époque, les analystes financiers estimaient la valorisation du groupe dans une fourchette comprise entre 15 et 25 milliards de dollars, ce qui était déjà considérable pour une entreprise employant seulement 2.000 personnes et générant péniblement 2 milliards de chiffre d’affaires et un résultat net de 606 millions de dollars.
Courant 2011, on était déjà passé à 50 milliards de dollars. Pourquoi ? Tout simplement parce que la désormais célèbre banque d’affaires Goldman Sachs venait de monter un tour de table de 1,5 milliards de dollars investis dans facebook, 500 millions en son nom propre et 1 milliard pour le compte de clients de la banque, laquelle avait mis en place un SPV (special purpose vehicle , un instrument de gestion de créances). L’affaire avait déjà fait grand bruit à l’époque lorsque la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme de la Bourse américaine, avait envisagé de changer ses règles pour empêcher le renouvellement de ce type d’opérations qui permettaient de contourner la limite des 500 actionnaires qui oblige chaque entreprise à publier l’intégralité de ses résultats en toute transparence et à faire connaître son actionnariat jusqu’alors anonyme. Le subterfuge de Goldman Sachs permettait de ne voir qu’une tête, donc un seul actionnaire, et autorisait facebook à continuer à divulguer seulement les chiffres comme bon lui semblait.
Dans le courant de l’été 2011, on a commencé à voir de nouveaux chiffres sortir du chapeau : 65, puis 75 puis 80 milliards et finalement en fin d’année 100 milliards de dollars de capitalisation, sans aucune explication rationnelle. Pour bien comprendre en quoi ce chiffre est farfelu, il suffirait de s’intéresser à l’absence de perspectives de croissance tangibles, au manque de visibilité et de lisibilité du business plan de la compagnie, à la maturité des marchés développés (les États-Unis génèrent à eux-seuls 50 % du chiffre d’affaires alors que le nombre d’utilisateurs a reculé à plusieurs reprises, à l’unisson des autres grands marchés notamment européens), au décollage incertain des revenus de la téléphonie mobile, etc. Mais foin de tout cela, mettons nous simplement dans la peau d’un investisseur lambda et considérons l’indicateur de référence dans l’évaluation des investissements qu’est le PER ou price earning ratio, le rapport entre la capitalisation boursière et le résultat net. En 2011, facebook a réalisé 3,7 milliards de chiffre d’affaires avec un bénéfice de 1 milliard de dollars. Avec une valorisation à 100 milliards de dollars, on a donc un PER de 100… c’est 3 à 4 fois la moyenne du secteur ! Prenons l’exemple de la valeur la plus emblématique de la net économie, Google. Valorisé à 189 milliards, l’entreprise réalise 38 milliards de chiffre d’affaires et surtout 10 milliards de bénéfices, soit un PER de 18,9 : cinq fois moins que facebook !
Comment en sommes-nous arrivés là ? Force est de constater que les naïfs contemplant la loi de « l’efficience » des marchés financiers en sont pour leur grade. Une fois de plus. La frénésie autour de l’arrivée en bourse du réseau social rappelle évidemment la bulle internet du début du siècle. La différence, c’est que nous sommes déjà dans un contexte de crise, qui plus est d’une gravité sans précédent, et que l’on aurait pu penser que l’appréciation des risques fasse l’objet d’une approche plus circonspecte. C’est pourtant tout le contraire qui s’est produit. La perspective était trop alléchante, l’espérance de gains immédiats trop engageante. Et puis surtout, la mayonnaise avait été si bien montée. Peut-être trop bien montée même.
La question intéresse en effet les autorités de régulation aux États-Unis, alors que les plaintes se multiplient à travers le pays. Les banques ayant participé au consortium de 33 établissements sélectionnés pour l’IPO sont dans le collimateur de la SEC, sa présidente Mary Schapiro venant d’annoncer l’ouverture d’une enquête. Plusieurs témoignages convergeraient affirmant que les principales banques auraient organisé des conférences téléphoniques avec un certain nombre de clients importants pour les informer en amont de l’introduction de révisions des prévisions de résultats de facebook, créant de facto une asymétrie d’information entre les investisseurs. Morgan Stanley est particulièrement visée en tant que principale banque introductrice. Non seulement elle fait partie des banques soupçonnées d’avoir diffusé à certains clients des perspectives négatives juste avant l’introduction en bourse, mais il semblerait également qu’elle ait fait usage de son option de sur-allocation (un mécanisme connu sous le nom de greenshoe) de 63 millions d’actions en les shortant, générant un profit tout en soutenant le cours…
Autre protagoniste mis en cause, David Ebersman, le directeur financier de facebook, qui pourrait non seulement être à l’origine des fuites qui auraient permis aux banques d’informer leurs clients en amont de l’IPO (l’information qui aurait été fournie par les banques était bien trop similaire de l’une à l’autre pour ne pas avoir la même source « officielle ») mais qui serait également le responsable du prix d’introduction trop élevé et de l’augmentation de 25 % du nombre de titres cédés sur le marché 3 jours avant l’introduction, remettant en cause la stratégie de « création de rareté » qui avait été adoptée pour permettre de faire grimper rapidement le cours.
La conclusion du puzzle saute aux yeux : business as usual.
135 réponses à “FACEBOOK ET L’HYPOTHÈSE D’EFFICIENCE DES MARCHÉS, par Julien Alexandre”