Billet invité
Qu’il est dur de faire le bonheur des gens malgré eux ! C’est ce que doivent se dire les responsables politiques européens, voyant leurs homologues italiens traités de zombies par Beppe Grillo, alors qu’ils tentent de sauver du naufrage non pas l’Espagne, comme prétend y être parvenu Mariano Rajoy, mais leur stratégie de désendettement en affichant sa réussite.
Elle ne va pourtant pas de soi. En Espagne, précisément, le déficit public aurait atteint 10,2 % du PIB en 2012, et non 6,7 % comme annoncé par le premier ministre, si l’on tient compte du sauvetage des banques qui a transité par le budget de l’État. Le gouvernement reconnait une récession de -1,4 % du PIB, qui va se poursuivre cette année, des chiffres qu’il faut tous prendre avec des pincettes. Le fond de la crise immobilière est loin d’être touché et les 40 milliards d’euros d’aide européenne destinés à renflouer les banques ne seront pas suffisants. La recherche d’une assistance financière à la Sareb, la bad bank espagnole, déstabilise paradoxalement les banques, car les décotes des actifs qu’elle annonce – pour attirer en son sein les investisseurs – sont très largement supérieures à celles que les banques ont adoptées ! C’est cela ou faire intégralement supporter par les finances publiques le risque que représente la Sareb, qui est destinée à recevoir 60 milliards d’actifs… Les pertes doivent toujours se trouver quelque part !
Il va donc falloir à nouveau donner du mou dans le calendrier de réduction du déficit espagnol, au moment où cette mesure va également devoir intervenir pour la France et les Pays-Bas. Mais les choses ne vont pas en rester là. Dans leur tentative de faire bonne figure, les autorités européennes voudraient favoriser le retour sur le marché de l’Irlande et du Portugal, respectivement prévus pour intervenir cette année et en 2014. Des discussions en cours portent sur la manière d’y parvenir : globalement, en allongeant le calendrier de remboursement des aides que les deux pays ont reçu – 67,5 milliards et 79,5 milliards d’euros – ou bien ou en modifiant les échéances, tout en évitant soigneusement d’appeler cela restructuration (et pourtant) et surtout de devoir repasser devant le Bundestag !
Vítor Gaspar, le ministre des finances portugais, s’est tout dernièrement résolu à demander une année supplémentaire pour atteindre les objectifs de réduction du déficit, la récession ayant atteint -3,2 % en 2012, et 40 % des jeunes de moins de 25 ans étant au chômage et cherchant massivement à quitter le pays. Allant plus loin, le leader socialiste António José Seguro s’est prononcé pour une renégociation du calendrier de remboursement de la dette et l’obtention de délais pour le paiement de ses intérêts. De son côté, le gouvernement irlandais voudrait que le Mécanisme européen de stabilité (MES) intervienne directement dans le sauvetage des banques qui ont été nationalisées pour le soulager.
Mais il faudra peut-être aller plus loin et renforcer le dispositif permettant d’afficher un retour en fanfare sur le marché. Il pourrait être ainsi octroyé aux deux pays une ligne de crédit de précaution du MES, la condition préalable qui a été mise par la BCE à toute intervention de sa part dans le cadre de son programme OMT d’achat de titres souverains. Autant dire que le retour sur le marché n’en serait alors pas un.
Quel est le prix que vont devoir payer les Irlandais et les Portugais pour que les dirigeants européens puissent se prévaloir de leur sauvetage réussi ? Car le retour sur le marché en aura nécessairement un.
Votre esprit comptable-logico-rationnel m’a soudainement rappelé Primo Levi… (excusez) : « Auschwitz, un de ces noms qui définit à lui seul…