POUR UN CONGÉ CIVIQUE, par Bertrand Rouziès-Leonardi

Billet invité.

Ineffable plaisir que celui d’entendre des locataires emphytéotiques de la politique se féliciter de ce que les jeunes des pays européens recadrés par la Troïka émigrent massivement vers des économies mieux portantes ! C’est un peu comme si les moules espagnoles célébraient depuis leur rocher le volontarisme audacieux des boat-peoples africains. Nul doute que les jeunes Portugais, à l’instar des routiers et capitaines d’autrefois, se font une joie, que dis-je, un devoir d’abandonner leur patelin miteux et de gagner les havres du capitalisme sauvage encore épargnés par la crise. La vie de Bohème à la sauce ERASMUS, après tout, les y a préparés, n’est-ce pas ?

C’est un de ces locataires, Daniel Cohn-Bendit pour le nommer, eurodéputé depuis 1994, qui était l’invité de la matinale de France Culture, ce vendredi. Cet apôtre du mouvement perpétuel, quoique non cumulard lui-même, y prenait la défense d’un certain type de cumul à effet ventouse, avec l’approbation bruyante de Brice Couturier, dont c’est aussi la marotte du moment : tout citoyen qui accède à un mandat politique doit pouvoir continuer d’exercer son métier durant sa mandature ou ses mandatures successives, moyennant quelques aménagements, bien sûr (je le suppose à la décharge de nos deux lascars), en termes d’emploi du temps et de traitement. Prenez un chef d’entreprise (premier exemple à venir à la bouche de Dany le Rouge, comme par réflexe). Un chef d’entreprise ne peut se permettre de laisser sa boîte sans direction (il n’y a que les mégalomanes, soit dit en passant, pour se croire indispensables). Et que dire d’un avocat d’affaires (clin d’œil complaisant à Jean-François Copé) ou d’un chirurgien (clin d’œil à… enfin, vous savez qui) qui, tenus trop longtemps à l’écart d’une pratique en constante évolution, risqueraient de perdre la main ? Dans un système fondé sur l’incrustation et le pantouflage, il est rare que l’impétrant s’arrête à un seul mandat et encore plus rare que le retraité de la politique, revenu à son premier métier, s’il l’avait réellement quitté, s’éloigne tout à fait des feux de la rampe. Moralité, si j’ose dire, la possibilité même d’un renouvellement ad libitum des mandats électifs, jointe aux avantages symboliques et concrets que ceux-ci procurent, incite de fait au cumul d’un ou plusieurs mandats et d’un métier, ainsi que des traitements divers qui y sont attachés. Il faudrait cependant que l’on fût Napoléon pour porter sans faiblir ces charges multiples. C’est une chose de se placer sous le patronage du Petit Caporal, c’en est une autre d’entrer dans les contours de son activisme hors norme. Vouloir toucher à tout, en politique, est le plus sûr moyen, quand on n’a que le talent de prendre, de se réduire à l’impuissance.

Je t’invite, mon cher Daniel (permets-moi de te tutoyer comme tu tutoies tout le monde, avec ce sans-gêne confraternel qui est ta signature médiatique), à penser à hauteur d’homme et non de surhomme. Si l’on cassait la dynamique perverse du renouvellement et si, en outre, on écourtait la mandature, le principe du non-cumul du mandat et du métier te paraîtrait sans doute plus acceptable et même souhaitable. Je propose d’instaurer un congé civique, comme il existe un congé parental, qui garantisse au citoyen ou à la citoyenne nouvellement élu(e) ou tiré(e) au sort qu’il ou elle retrouvera au terme de son mandat court non renouvelable le métier qui était le sien avant qu’il ou elle n’entre en politique. Le traitement de représentant(e) ne pourra se cumuler, même à titre de dédommagement, au traitement de salarié(e), puisqu’il sera interdit d’être l’un(e) et l’autre. Tu ferais un beau cadeau aux générations futures, Daniel, si, juste avant de tirer ta révérence, comme tu l’as annoncé, tu redonnais au mandat politique son sens d’« engagement au nom de et au service du citoyen ». Le régime des sinécures et des commendes a fait son temps.

 

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