La démocratie aujourd’hui, c’est donner du pouvoir au peuple des humains de notre Terre, par Pierre-Yves D.

Billet invité

L’idée de la démocratie athénienne, c’est-à-dire la démocratie directe, est me semble-t-il une idée-limite, qui permet de mesurer à quel point notre démocratie représentative est effectivement la dépossession d’un pouvoir théoriquement dévolu au peuple, et pas seulement du point de vue formel des institutions, mais surtout pour ce qui concerne les problèmes réels auxquels nous sommes confrontés tout à la fois individuellement et en tant que membres de l’humanité.

Partant, la question primordiale n’est pas tant de savoir s’il faut retourner à une forme de démocratie directe que de nous demander en quoi et par quoi le peuple a été dépossédé d’un certain pouvoir. La question de la démocratie n’est pas simplement formelle, elle s’inscrit toujours dans une situation, tout comme toute institution humaine se crée pour répondre à certaines nécessités. Je rappelle qu’à l’origine de l’institution démocratique on trouve la question de la dette des pauvres, laquelle fut alors répudiée. 
Le pouvoir du peuple c’est une capacité de délibérer et d’agir pour ce qui concerne des problèmes qui affectent les humains d’une certaine époque et habitant un certain espace.
 Or, qu’est-ce qui affecte aujourd’hui les humains ? Nous le savons tous ici : les inégalités sociales, le péril climatique et écologique, la complexité.


Pour ma part je ferais ici de la complexité le concept qui englobe les deux autres, car il explique comment le peuple a été dépossédé. S’il existe en effet des inégalités sociales grandissantes, un péril environnemental, c’est parce que nos institutions ont perdu toute prise sur certaines réalités, ou encore n’ont pas prise sur certaines nouvelles réalités qui sont apparues, faute d’avoir la visibilité suffisante, la taille humaine, la simplicité qui devraient raisonnablement permettre à tout un chacun de savoir où il se trouve et où il va en ce monde. Je pense bien sûr à toutes ces activités liées à la finance extra-territorialisée sur lesquelles les financiers eux-mêmes n’ont plus de prise. Mais il y a d’autres réalités, analysables également en termes de complexité, comme celles relatives aux objets techniques, à la bureaucratie, qui font notre environnement quotidien. Or quelle plus grande dépossession du pouvoir pour un peuple que celle qui consiste à perdre certaines de ses capacités d’agir dans le temps et l’espace, et ce d’autant plus s’il s’agit maintenant de tous les peuples de la Terre ! S’il n’y a plus un lieu où l’action humaine puisse simplement exister, où l’on puisse envisager des actes avec des conséquences prévisibles, c’est que le champ à l’intérieur duquel s’exerce la démocratie n’existe plus. On en est là. Les politiciens s’entêtent à nous faire leur com’ sur les moyens de gagner des points de PIB ou plutôt de ne plus en perdre trop, trop vite, mais les enjeux sont ailleurs. 
À nous donc de nous rappeler et de rappeler à nos contemporains qu’il faut simplement rendre à la démocratie seulement la possibilité d’exister, qu’elle n’a plus, ou alors de façon tellement dérisoire. Il s’agira donc de rendre du pouvoir au peuple. Je dis « du pouvoir », car il ne servirait pas à grand-chose de dire « le pouvoir » si l’on n’a pas appréhendé au préalable la question des « objets » de ce pouvoir.

Deux options s’offrent à nous, pas forcément contradictoires. La première, c’est la révolution, qui a la préférence d’Alain Badiou. Mais cela me semble tellement relever du « petit bonheur la chance » – il le dit lui-même – qu’il y a de quoi rester songeur si l’on ne repense pas les choses sérieusement avant de faire la révolution : les révolutions sont rares, et certains des exemples qu’il a en tête tellement catastrophiques (révolution de 1917, révolution chinoise).

La deuxième option, c’est de revoir le cadre même dans lequel se définit aujourd’hui l’action politique (selon la définition du politique qu’en donne Castoriadis, mais aussi Rancière, qui considère que la politique n’est pas non plus le moyen d’accéder au pouvoir, ni la gestion des affaires publiques par une autorité élue ou pas, mais bien la capacité de transformer la société). Cela principalement en assignant à la démocratie une nouvelle définition de son champ d’action, ce qui revient aussi à dire qu’il lui faut un nouveau périmètre élargi, notamment en prévoyant, comme le préconise Paul Jorion, une constitution pour l’économie. Cette constitution a pour but de faire en sorte que l’économie et la finance ne soient plus ce champ de bataille permanent et presque omniprésent qui menace aujourd’hui la survie de notre espèce, et, pour ce qui nous touche personnellement, nous « pourrit la vie », car par la force des choses (Jorion parlerait des structures dans lesquelles nous sommes impliqués), nous poursuivons chaque jour des buts, au travail et ailleurs, qui nous mènent collectivement à la ruine physique et morale.

Comment pouvons-nous prétendre être heureux, si nous le sommes, si nos contemporains ne peuvent l’être aussi ? Or il s’avère que dans le monde actuel, beaucoup de nos actes, conjugués à ceux des autres, sont devenus en définitive des actes criminels, au moins de par leurs conséquences. Autant dire qu’un tel monde est devenu proprement invivable, et a fortiori, non viable à terme. Nous payons des impôts ou des taxes – même le pauvre qui mendie paie une taxe quand il achète sa pitance – qui alimentent un système dont on sent bien de plus en plus qu’il nuit gravement à la société. Stiegler évoque la « bêtise systémique », c’est du même ordre d’idée. Il nous faut donc sortir de ce monde criminogène où même ceux qui n’avaient aucune vocation à devenir des criminels, ou du moins, leurs complices, le sont devenus, souvent à leur corps défendant.

En conclusion, il s’agit de sortir du labyrinthe infernal de la confusion des idées. En commençant par remettre la question de la démocratie au niveau où elle se pose désormais, c’est-à-dire au niveau humain planétaire, car c’est à ce niveau que les antagonismes entre les hommes font aujourd’hui les plus grands ravages, occasionnent les plus grandes destructions, c’est-à-dire les plus irréversibles, et ce nécessairement jusqu’au niveau local.

À cette aune, la question de la démocratie se pose donc avec une acuité égale à l’Est et à l’Ouest, au Nord et au Sud. Le pouvoir du peuple, c’est donc dans sa plus grande exigence, sa plus grande nécessité, le pouvoir d’un seul peuple, ce peuple unique composé des humains qui peuplent la Terre, qu’il nous faut faire advenir, tout d’abord en créant les conditions institutionnelles de son existence. Il ne s’agit pas de dénier ici l’importance de toute action politique dans le cadre institutionnel local existant ou hors de ce cadre – qui implique, impliquerait les citoyens directement dans la vie d’une Cité et visant à transformer la société, car gageons qu’il y a et il y aura toujours ici ou là des combats à mener pour l’égalité – mais de dire que toute action politique digne de ce nom, et peu importe ici sa forme, sa modalité, doit penser sa finalité et son programme toujours dans le cadre de notre humanité planétaire, c’est-à-dire à horizon d’une histoire commune.

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