POUR CEUX QUI DOUTENT, par Michel Leis

Billet invité

Lors de son déplacement à Athènes, le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, s’est déclaré « très impressionné par ce que la Grèce a déjà réalisé en matière de rééquilibrage budgétaire et de modernisation de l’économie ». Pour ceux qui en doutaient encore, une économie en voie de modernisation ressemble donc à l’économie grecque avec ses 27 % de taux de chômage et un appauvrissement généralisé de la population. Évidemment, on oublie toujours que la success story de l’économie allemande tient pour l’essentiel à l’application des mêmes recettes : appauvrissement des travailleurs intérieurs (les lois Hartz) et extérieurs (les travailleurs mal payés des ex-pays de l’Est). Sa résistance face au chômage s’explique surtout par un contexte démographique particulier et une économie qui ne s’intéresse qu’aux clients riches et solvables partout dans le monde, en s’appuyant sur la flatteuse marque de fabrique « made in Germany » très porteuse, mais difficilement transposable.

Le décalage entre les déclarations de Wolfgang Schäuble et la réalité vécue par la population grecque illustre un autre aspect du discours dominant. Cela fait déjà quelques années que je m’interroge sur les normalisations sociales implicites dont le rôle est essentiel dans la fabrication du consentement. C’était l’un des thèmes principaux de mon essai et le sujet de mon dernier billet. La disparition de la norme de progrès et l’épuisement très rapide de la norme de consommation créent un vide inquiétant, situation qui ne devrait pas avoir échappé à nos dirigeants.

Mais pour les élites politiques et économiques, ces questions sur la nature et les conditions de l’émergence d’une nouvelle norme sociale dominante ont déjà une réponse : l’instauration d’une nouvelle religion, l’économie. Même si le discours se veut scientifique, les fondements sont de l’ordre du religieux, à commencer par une vérité révélée : seule l’économie nous conduira au salut. Elle a eu ses précurseurs, ses schismes, ses hérétiques, mais une église dominante a fini par émerger : l’école néolibérale. Un groupe d’apôtres, l’école de Chicago, est venu apporter aux dirigeants du monde entier la bonne parole, et une série de dogmes qui ne peuvent être remis en cause. La compétitivité, l’équilibre budgétaire. Les églises, mosquées et autres synagogues sont nombreuses pour porter la bonne parole, des entreprises aux grands médias.

Comme toute religion, c’est la croyance en la vérité révélée et la soumission au dogme qui expliquent l’attitude de ces adeptes. C’est la seule lecture cohérente des propos de ses ayatollahs. Ils ne viennent pas constater un hypothétique progrès, ils viennent conforter les fidèles et les encourager à respecter les rites et maintenir le dogme. Ce ne sont pas les conditions de vie de la population qui leur importe, c’est leur situation vis-à-vis de la vraie foi. Ceux qui ne veulent pas s’y soumettre sont des incroyants ou des infidèles qui doivent retrouver le chemin des églises et se conformer aux rites. Il faut reconnaître que le rôle de la congrégation pour la doctrine de la foi est magnifiquement tenu par les instances européennes tandis que la Troïka me semble parfaite dans la mise en œuvre du tribunal de l’Inquisition.

Pourtant, malgré des années d’un prosélytisme intensif, cette nouvelle religion n’est pas parvenue à convertir l’ensemble de la population. C’est là que le bât blesse, le vide laissé par les normes sociales en voie d’épuisement n’est toujours pas comblé. Après une phase de conquête rapide, elle fait plus que marquer le pas, elle perd des fidèles et suscite des sentiments de révoltes.

De tout temps et en tous lieux, il faut se méfier des détenteurs d’une vérité révélée qui entendent faire de leur croyance individuelle une vérité universelle. Outre qu’ils sont peu accessibles aux réalités qui se trouvent hors du champ de la foi, leur prosélytisme est sans limites. Brûler des hérétiques ne leur fait pas peur et les guerres au nom de la religion sont une constante de l’histoire de l’humanité.

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