DE LA REPRÉSENTATION DU MONDE ET DU CAPITALISME, par Zébu

Billet invité

Le capitalisme, du moins sa configuration la plus récente et la plus aboutie au sens d’achèvement de ses processus, est mort en 2008. On lui déverse des tonnes de liquidités parce que son cœur a fondu et que l’on ne connaît aucune autre solution que celle-ci face à un cœur en fusion, sans savoir – ni même chercher à savoir – où iront ces tonnes de monnaies nouvelles. Dans les caves (celles des banques centrales), dit-on, mais on s’aperçoit chaque jour que de multiples fissures laissent évacuer ce trop-plein corrompu parce qu’illusion dans les océans économiques, lesquels sont interconnectés par les divers courants d’échanges.

J’ai regardé récemment un documentaire fascinant sur l’existence d’une carte datée de 1402 représentant le monde, notamment le continent africain, et même les sources du Nil. Et cette carte avait été élaborée… en Corée ! Le Cap de Bonne-Espérance ne sera atteint et dépassé, lui, que 86 ans plus tard et les Européens en étaient encore à dresser un inventaire fantasmagorique de l’Afrique à la même date.

La carte coréenne a des sources chinoises mais aucune carte chinoise, même les plus anciennes, n’apporte les précisions de la carte coréenne. En fait, ce sont les marchands arabes, notamment du Yémen, ayant fait le commerce de l’encens jusqu’en Asie du sud, qui ont apporté ce genre d’informations, s’installant même dans le Guangzhou dans le sud de la Chine pour fonder la plus ancienne présence musulmane dans cette partie du monde. Arabes qui ont pu bénéficier des connaissances grecques dès la fin du 8ème siècle avec la translatio studiorum et leur stratégie de conquête (notamment de l’Égypte) : on retrouve la même représentation des sources du Nil sur la carte de Claude Ptolémée et sur la carte coréenne. Et grâce aux connaissances en astronomie ainsi acquises, les marchands arabes ont pu naviguer sur l’océan Indien.

Il a fallu attendre la chute de Constantinople, la fuite de certains manuscrits et surtout Bartolomeu Dias pour modifier la représentation européenne du monde (ancien).

L’Europe me semble être dans cette configuration actuellement : sa représentation du monde économique est fantasmatique, tronquée, irréelle, parce qu’elle est isolée du reste du monde (comme elle le fut après la fin des croisades et jusqu’à la fin du 15ème siècle). Elle continue à recevoir de l’information sur ce monde-là mais par le biais de tiers, parce qu’elle est dans l’incapacité, plus que d’autres, de concevoir qu’il existe un cap de bonne espérance, quand d’autres dès le 11ème siècle le concevaient et étaient déjà partis « dans les Indes ».

Dans beaucoup d’autres parties du monde réel, on sait déjà tout cela. Dans certaines parties du monde, on a même anticipé, comme en Amérique latine. Laborieusement certes, mais initiant une redéfinition des tracés du monde économique. L’Asie le sait, qui l’a dit par la bouche du gouverneur de la banque centrale chinoise en 2009. Les États-Unis le savent aussi, même s’ils continuent dans la même voie pour l’instant parce qu’elle est la moins douloureuse et sans doute la plus favorable à leurs intérêts à court terme.

L’Europe se pense encore centre du monde alors qu’elle a un temps de retard sur la représentation effective de celui-ci. Elle en est encore à représenter le capitalisme comme on représentait alors l’Afrique jusqu’au 16ème siècle dans les cartes européennes : sans limites, sans fin. Et à imaginer l’existence d’un royaume de la croissance caché au sein d’un océan de crises dont l’Occident aurait perdu la trace et qu’il s’agirait de retrouver pour se libérer du péril menaçant, comme le fut le royaume du prêtre Jean en son temps face aux conquêtes d’abord arabes puis turques : un mythe.

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