Taxe sur les transactions financières : UN ENTERREMENT QUI MANQUE DE CLASSE, par François Leclerc

Billet invité.

Attendons-nous au pire ! Après la conclusion d’un ersatz d’Union bancaire et dans l’attente du lever de rideau sur le projet de séparation des activités bancaires de la Commission, celui de la taxation des transactions financières va connaître une « avancée décisive », annonce Michel Sapin. Nous voguons d’audace en audace ! Afin d’impulser cette taxe, le ministre français ministre des Finances et des Comptes publics va lundi et mardi prochains retrouver ses homologues de l’Union européenne. Il serait en effet temps d’aboutir, si l’on se rappelle que son principe avait été adopté par le Parlement européen… en mars 2010, mais une question s’impose vu le contexte : que va-t-il rester des intentions initiales ?

Face au blocage britannique, une coopération renforcée entre onze pays a été finalement autorisée par le Conseil européen, à laquelle participent notamment l’Allemagne, la France, la Belgique, l’Italie et l’Espagne. Afin de protéger la City, principale place mondiale où s’opèrent les transactions des produits dérivés, le Royaume-Uni a contesté cette décision devant la Cour européenne de justice, qui l’a rejeté en première instance tout en laissant la porte ouverte à un appel. Son souci pourrait se voir cependant exaucé par des voies plus détournées, à l’instigation d’autorités françaises et allemandes cherchant à protéger le volumineux négoce de leurs banques sur ce marché. La taxation des transactions sur les produits dérivés devrait être repoussée à plus tard, sinon à jamais.

Dans l’immédiat, deux objectifs sont simultanément poursuivis par les ministres : lancer un signal fort avant les élections européennes de ce mois-ci – on reconnait la patte des politiques – et vider autant que possible de sa substance le projet de taxation. Pour y parvenir, deux formules sont disponibles : s’en tenir à un accord général de principe et laisser « les techniciens » travailler hors champ, comme l’a proposé Michel Sapin, ou bien procéder par étapes en s’en tenant à la seule taxation des transactions sur les actions.

Dans les deux cas, les techniciens en question auront beaucoup de grain à moudre afin de diminuer l’impact de la taxe sous couvert de dispositions plus ou moins anodines. Pour prendre deux seuls exemples, en exemptant les « repos », ces opérations à très court terme entre banques qui sont souvent utilisées pour financer des opérations spéculatives, ou bien les transactions au sein d’un groupe. Dans les discussions internes au groupe de travail du projet, les représentants de Bercy auraient déjà fait preuve d’une grande créativité d’après ATTAC et WEED (World Economy, Environment and Development, un institut allemand de Bonn) …

Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, avait dès octobre dernier éreinté un projet de taxe créant selon lui « un énorme risque » pour les pays qui l’appliqueraient. Un communiqué commun du Medef français, de Paris Europlace et de la Fédération allemande de l’industrie (BDI), a enfoncé le clou le 24 avril dernier. Les risques sont cette fois-ci identifiés, mais à mots couverts : délocalisation massive des transactions vers la City (au détriment des autres places boursières), dégradation des conditions de financement des entreprises par les banques (car affectant leurs résultats), et atteinte aux produits dérivés utilisés par les entreprises pour couvrir leurs risques, à ce titre « utiles à l’économie » (qui ne représentent qu’un faible pourcentage des transactions, les autres étant purement spéculatives). Pas question de mentionner ne serait-ce que l’impact de la taxe sur les résultats des banques elles-mêmes !

Les établissements européens, particulièrement allemands et français, sont réputés très actifs sur le marché des dérivés et la détermination dont ils font preuve pour barrer leur taxation reflète l’importance de leur implication. On observe la même pugnacité lorsqu’il s’agit de leur régulation : talon d’Achille des banques, les produits dérivés sont au cœur de leurs activités spéculatives et doivent être protégés des inquisitions des régulateurs et des taxes des autorités politiques.

La taxe sur les transactions financières n’a qu’à bien se tenir !

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