Emprunts toxiques : l’État, l’intérêt général, les banques et nous. Première partie : L’art difficile de minimiser les pertes, par Zébu

Billet invité

Procédure accélérée, projet de loi au Sénat plutôt qu’à l’Assemblée Nationale, refonte express d’une loi de validation après la censure partielle par le Conseil Constitutionnel fin décembre 2013… : rien n’a été oublié pour donner toutes les chances à la seconde loi de validation (loi rétroactive) sur les emprunts toxiques présentée par le (nouveau) gouvernement socialiste, afin d’éteindre définitivement tout risque de contagion aux soultes budgétaires d’un État déjà bien à la peine face à son objectif déclaré d’atteindre les fameux 3 % de déficit public imposés par les traités européens.

Il est vrai que le gouvernement Valls pouvait difficilement faire pire que son prédécesseur, tant les choses avaient été bâclées, jusqu’à des amendements passés contre l’avis du rapporteur par des députés mêmes du PS, soulignant les risques d’inconstitutionnalité du texte, lequel proposait rien moins pour atteindre son objectif que d’amnistier vite et bien les banques, d’étendre la loi de validation à toutes les personnes morales et privées, et de modifier rétroactivement le Code de la Consommation quant à l’obligation d’afficher le taux TEG sur les contrats de prêts. Sanctionné à cet effet, le texte proposé aux sénateurs a bien pris acte, par la force des choses, de la prise de position du Conseil constitutionnel, en ciblant cette fois uniquement les personnes morales de droit public, concernées et seulement elles par les ’emprunts structurés’.

Il y aurait donc avec cette nouvelle mouture des chances pour le gouvernement que la loi de validation à effet rétroactif puisse enfin visser le couvercle d’une marmite infernale dont l’explosion serait tout bonnement un ‘risque systémique’ (pour les banques) et un risque (maximal) pour l’État aux dires de l’étude d’impact citée dans le rapport réalisé pour la Commission des finances du Sénat, et par suite, pour les contribuables, lesquels sont embarqués derechef dans l’affaire sans jamais y avoir été conviés d’aucune façon sinon pour jouer le traditionnel rôle du faire-valoir. Rien que pour les effets directs, le rapport table en effet sur un impact de 17 milliards d’euros : une paille, lorsque l’on peine à expliciter aux Français les réductions budgétaires nécessaires qu’il faudra engager, notamment pour acter réellement le pacte de responsabilité. Alors, aller expliquer ensuite qu’il faudra aussi rallonger la somme d’autant sur les années à venir pour sauver les banques, il y a évidemment un pas que même les plus suicidaires des politiques renonceraient à franchir…

Pour autant, à y regarder de plus près, le dit risque ‘maximal’ pour l’État (le terme ‘systémique’ est déjà préempté pour les banques) doit être relativisé. Car si 17 milliards d’euros représentent effectivement une somme énorme (plus de 3 fois l’Affaire Kerviel, rendez-vous compte), il faut bien les mettre en rapport avec les sommes que contracte l’État français. Rien que pour 2013 par exemple, c’est 47 milliards d’euros pour la charge de la dette, pour une dépense totale de 373 milliards d’euros, soit 4,56 % de ces mêmes dépenses, annuelles, ou un peu plus du tiers de la charge de la dette, annuelle. Qui plus est, ce risque, que l’on présente sans plus de précisions comme devant majoritairement s’exercer dès 2014 (comme c’est étrange…) doit être mis en rapport avec la solution que l’État a trouvée pour faire face à un risque dont le rapport même souligne qu’une partie résiduelle continuera de courir (4,7 milliards d’euros) : un fond de compensation, déjà mis en œuvre en avril 2014, s’étalera sur… 15 ans, pour des annuités de 100 millions d’euros de financement !

De deux choses l’une donc : ou bien l’État ment effrontément quant à l’évaluation de l’échéancier du risque encouru, ou bien il est inconséquent quant aux solutions qu’il met en œuvre pour y faire face, la vérité se situant très probablement sur les deux versants à la fois. Pour apprécier pleinement la profondeur de l’incohérence de l’État dans cette Affaire, comment en effet juger cette déclaration du rapporteur lors de l’examen du texte en commission des Finances le 7 mai lorsqu’il dit : « Confirmée, la jurisprudence du TGI de Nanterre occasionnerait des pertes massives pour la SFIL. La seule décision relative au département de Seine-Saint-Denis lui ferait perdre 140 millions d’euros », lorsque dans le même temps le Fonds de compensation récoltera en une année moins que cette somme (100 millions d’euros) ?

Comment, si ce n’est par cet aveu d’impuissance et d’incapacité : « Le fonds de 1,5 milliard d’euros est-il suffisant ? Je ne suis pas en mesure de le dire » ? Si le rapporteur du texte de loi de validation, dont l’objet est très précisément d’éteindre les poursuites juridiques des collectivités publiques contre les banques, n’est pas en mesure de le dire, qui le pourra dès lors ? La vérité, par-delà ce ‘risque maximal’ que l’État est incapable d’estimer, ou les solutions censées y répondre comme le Fonds de compensation, c’est bien que l’État souhaite préserver les intérêts des banques, qualifiées de ‘systémiques’, non pas tant pour les risques qu’elles encourent que pour les risques qu’elles font déjà courir à la collectivité.

Car, bien que Dexia fut la principale mais non la seule, de nombreuses banques ont participé à cet élan collectif pour les ’emprunts structurés’ et que ce faisant, ces mêmes banques se sont couvertes auprès d’autres banques, souvent étrangères (anglo-saxonnes pour la plupart) et que sortir de manière anticipée de ce type de contrat coûte extrêmement cher, a fortiori pour la banque si l’affaire est jugée à son tort et qu’elle doive régler ses contreparties à ses banques de couverture. Il y a donc bien un risque systémique, mais pour les banques. Encore qu’il faudrait rappeler ici les montants faramineux payés souvent par ces mêmes banques lorsqu’elles ont été prises la main dans le sac dans les affaires du Libor et de l’Euribor, ou d’autres encore, sans oublier le ‘trou noir de l’Affaire Kerviel’ pour la Société Générale, laquelle, elle comme les autres, survit amplement.

Plus largement, il faudrait rappeler l’étonnante intervention d’Henri Emmanuelli, plein de sincérité sur l’affaire, pour comprendre les enjeux véritables : « Pour faire fonctionner le système de refinancement des prêts de la Caisse française de financement local – Caffil –, il faut que la SFIL obtienne 12 milliards de lignes de crédits par des émissions obligataires sur les marchés. Or, si les deux premières émissions de la SFIL se sont bien passées, c’est parce que ces derniers (ndlr : les investisseurs) avaient connaissance du dispositif contenu dans l’article 60, dont le but essentiel est de les rassurer. Le supprimer reviendrait à semer la panique sur les marchés, de sorte que la SFIL ne pourrait plus emprunter, ou alors à un coût beaucoup trop élevé. C’est tout le système qui s’effondrerait alors. (…) Pourquoi s’acharner à vouloir transformer un fonds dont l’objet, je l’ai dit, consiste à rassurer les marchés ? Nous ne savons pas à quels cas particuliers nous ferions écho en adoptant l’amendement. »

Affoler les marchés, voilà bien qui relèverait du risque systémique, provenant d’un gouvernement dont le pas-encore Président élu prenait inconsidérément le risque d’engager une guerre sans merci contre eux, avant que de faire semblant de se raviser. Car la SFIL, holding de reprise de Dexia à laquelle appartient la Caffil, doit être auditée par des stress tests par la BCE, comme le sont par ailleurs 13 autres banques françaises à partir de novembre 2013 et pour des résultats livrés en novembre 2014. Las, en avril 2014, les pertes d’actifs ont augmenté pour Dexia mais les règles prudentielles encore en cours lui permettent de passer à travers les gouttes, à un détail près : « Dexia porte encore 1,4 milliard d’euros d’encours et la Caffil 7,6 milliards. Cette banque publique, qui a hérité de l’essentiel du portefeuille de Dexia, n’a pas inscrit de provisions dans ses comptes 2013, tablant sur la loi de validation des prêts toxiques, toujours en attente après sa censure par le Conseil constitutionnel. »

Et d’apprendre ainsi qu’aucune provision n’a été inscrite dans ses comptes, avec l’aval des commissaires aux comptes et contre toutes les règles comptables, parce qu’une loi de validation doit être représentée prochainement, sous-entendu le 23 avril, par le gouvernement : « Toutefois, la lecture du rapport annuel de la Caffil montre que ce résultat encore positif n’a été possible que parce que celle-ci a, pour l’arrêter, pris pour hypothèse « que les dispositions législatives visant à la sécurisation juridique des contrats de prêts en cours avec les personnes morales de droit public (loi de validation), annoncées par le gouvernement le 29 décembre dernier après la décision du conseil constitutionnel, seront votées en 2014 et que leur mise en œuvre permettra de lever les risques juridiques et financiers correspondants. » Cette « hypothèse » qui est par définition hypothétique, mais aussi optimiste, a en effet permis à la Caffil d’annuler les provisions qu’elle avait constituées au cours de l’exercice 2013 pour couvrir ces risques. L’absence d’une loi de validation impacterait donc directement les comptes de la Caffil, l’État devant alors la recapitaliser. Pire, le risque, même faible, que le stress test de la BCE pour la SFIL soit négatif obligerait l’État français à recapitaliser la SFIL pour une mise en liquidation immédiate, un bail-in/out en quelque sorte du fait de la position de l’État français quant à la SFIL.

Tout sera donc permis pour éviter cette impasse : loi de validation rétroactive pour amnistier les banques, règles comptables modifiées à la demande, mais aussi flou juridique le plus parfait puisque ce texte de loi se fonde sur la proportion des objectifs poursuivis en circonscrivant ces objectifs aux seuls ’emprunts structurés’ contractés par les seules personnes morales de droit public.

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