Qui mène la charge aux États-Unis contre BNP Paribas ? ou Converti à l’honnêteté, le secteur financier serait-il encore rentable ?

Le temps est déjà lointain où Eric Holder, l’Attorney General des États-Unis, l’équivalent chez nous d’un Ministre de la justice, s’était fait taper sur les doigts pour avoir répondu au Sénateur Chuck Grassley (républicain de l’Iowa), qui l’interrogeait sur l’apathie du ministère de la Justice dans la recherche de coupables dans l’effondrement du système financier international en septembre 2008 :

Je crains que la taille de certains de ces établissements ne soit devenue si importante qu’il est devenu difficile de les poursuivre en justice, parce que des indications nous parviennent qui si nous les poursuivions – si nous procédions à des inculpations – cela aurait un impact négatif sur l’économie nationale, voire même sur l’économie mondiale, et il me semble que ceci est la conséquence du fait que certains de ces établissements sont devenus trop importants […] Ceci a une influence inhibitoire sur, ou impacte, notre capacité à prendre les mesures qui seraient selon moi les plus adéquates…

Holder a tenu ces propos il y a un peu plus d’un an : le 6 mars 2013 précisément. Ils avaient été universellement interprétés comme voulant dire que le ministère américain de la justice ne faisait pas le poids face aux milieux d’affaires. Il a tenu à se racheter le 5 mai dernier quand il a déclaré que

« Trop gros pour aller en prison », cela n’existe pas. Certains ont cru bon de recourir à cette expression pour renvoyer à une théorie selon laquelle certaines institutions financières, alors même qu’elles se livrent à des activités criminelles, devraient être immunisées contre les poursuites en raison de leur taille et du rôle qu’elles jouent au sein de l’économie tout entière. Cette opinion est erronée. Elle a été rejetée par le ministère de la Justice. Disons les choses sans ambiguïté : aucun individu, ni non plus aucune compagnie, quelle que soit sa taille ou sa rentabilité, n’est au-dessus des lois. Lorsque le ministère de la Justice mène des investigations, nous respectons dans tous les cas la loi et les faits avérés, où que cela puisse nous conduire.

N’a pas contribué pour peu à ce recentrage, le fait qu’Eric Holder ait été dépassé sur sa gauche par Benjamin Lawsky, le régulateur de l’État de New York, à la tête du New York Department of Financial Services qui se trouve aujourd’hui à la pointe de la quête de sanctions à l’encontre de BNP Paribas.

Lawsky est un croisé de l’honnêteté, convaincu qu’il est qu’une Wall Street qui serait (à nouveau ?) à l’abri de tout reproche raflerait la mise dans la concurrence que se livrent les places financières. On lui prête même l’ambition de créer dans l’État de New York un environnement parfaitement sûr pour les opérations en Bitcoin. C’est dire !

La philosophie de Lawsky s’énonce simplement :

Les contrevenants devraient être exposés à de véritables peines et sanctions, d’une gravité réelle, lorsqu’ils enfreignent les règles. Je parle ici de mettre ces individus sous les verrous lorsqu’ils contreviennent à la loi dans le cadre de poursuites criminelles. Mais cela peut également signifier une suspension d’activité, le licenciement des coupables, la récupération de bonus déjà versés, et d’autres types de peines prévues dans le cadre réglementaire.

Lawsky s’inscrit en faux contre la philosophie qui prévalait ces années récentes parmi les régulateurs américains et qu’avait dénoncé le juge Jed Rakoff : épargner les individus pour concentrer la répression sur les firmes elles-mêmes dans un but prophylactique essentiellement, pour tenter de modifier la culture même des entreprises. Pour lui, « Les sociétés ne sont que des fictions juridiques. Ce qu’il faut décourager, ce sont les comportements coupables à l’intérieur de ces firmes. Les individus qui se sont conduits de cette manière seront tenus responsables ».

Lawsky veut qu’une distinction claire existe désormais entre les fautes individuelles et les problèmes structurels du secteur financier : « Notre attention se concentre sur les faits pour lesquels la malveillance intentionnelle est avérée, par opposition à des problèmes qui sont purement d’ordre systémique dans le secteur financier tout entier ».

Les gens trichent, dit-il encore, et nous voulons préserver la réputation de notre secteur financier et faire en sorte que les acteurs de Wall Street dans leur grande majorité, fassent du bon travail.

C’est BNP Paribas, et la France en arrière-plan, pour éponger les dégâts pécuniaires et éventuellement systémiques, qui découvriront sous peu combien il en coûte en euros sonnants et trébuchants d’assister au retour en fanfare de l’honnêteté dans le secteur financier.

On ne manquera pas de se poser la question de la mesure dans laquelle une diplomatie bien conduite parviendra à minimiser les coûts à l’arrivée. Les réponses à deux autres questions devront également être apportées : la première étant « Qui diable a pu penser qu’il serait bon de chatouiller les États-Unis sur une question aussi sensible pour eux que les embargos qu’ils imposent sur les transactions financières avec les nations qui ont provoqué leur ire ? », la seconde étant (et l’affaire Dexia obligeait déjà à se la poser) : « Converti à l’honnêteté, le secteur financier serait-il encore, comme l’imagine peut-être naïvement M. Lawsky, rentable ? »

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