LA RÉGULATION DU SHADOW BANKING, UNE PLAISANTERIE, par François Leclerc

Billet invité.

Par quel bout faut-il prendre la « finance de l’ombre » pour la réguler à son tour ? Ils s’y mettent tous pour y réfléchir, lançant des consultations : le Conseil de stabilité financière, la Banque des règlements internationaux, la SEC américaine et la Commission européenne, sans oublier l’IOSCO, l’Organisation internationale des commissions de valeur…

Leurs réflexions visent à établir une liste des entités systémiques, pour faire pendant à celle où figurent des banques et quelques compagnies d’assurance. Ce qui implique une réflexion sur la nature du risque systémique, dont dépendra ensuite la définition des mesures de régulation à prendre pour le contenir. Autant dire que le chemin à parcourir va être au moins aussi long qu’il ne l’a été pour les banques – selon des modalités revues à la hausse – alors que le dossier de la séparation des activités bancaires reste toujours ouvert en Europe et que la Fédération bancaire française (FBF) continue de s’y opposer résolument.

Les banques, qui voient des activités lucratives leur échapper, en raison de règles bientôt appliquées ou à établir, sont pour une fois favorables à une régulation… qui briderait le shadow banking où elles trouvent refuge. Mais ses acteurs entendent bien y faire barrage. Ainsi, il n’est pas rare de lire que la tâche à laquelle les régulateurs se sont attelés est mission impossible, et que ce n’est pas grave car les investisseurs prennent leur risque et assument leurs pertes sans en faire reporter le poids sur les finances publiques comme les banques l’ont fait. Mais cette présentation feint d’ignorer les liens financiers qui unissent les banques et le shadow banking : les fonds monétaires jouent par exemple un rôle déterminant dans leur financement à court terme via le marché des repos.

Selon quels critères peut-on mesurer la fragilité des fonds pratiquant la gestion d’actifs, une composante importante de la finance non régulée, sachant qu’ils sont d’une grande diversité de modèles pour ne rien simplifier ? Les experts préconisent d’accorder plus d’importance à la liquidité qu’à la taille des entités, ou à l’importance de l’effet de levier, mais ils reconnaissent que les instruments prudentiels en magasin seront d’un effet limité : la méconnaissance des canaux de transmission du risque est le nœud du problème. En attendant de premières conclusions, le FSOC américain – qui regroupe la Fed, la Sec et d’autres régulateurs – envisage, mais ce n’est pas fait, de porter sur la liste des institutions systémiques les trois plus importants grands fonds américains : Berkshire, BlackRock, et Fidelity, ce qui aurait pour effet de les placer sous la surveillance de la Fed.

A défaut d’une régulation crédible, que reste-t-il comme solution que de faire appel aux banques centrales ? Celles-ci pourraient devenir le prêteur de dernier ressort de fonds grands intervenants du shadow banking, accompagnés des chambres de compensation qui vont accueillir les produits dérivés « standard » et qui sont des concentrateurs de risque. Selon l’économiste en chef de la Banque d’Angleterre, Andrew Haldane, le shadow banking représente 87.000 milliards de dollars et va continuer à se développer très vite pour atteindre 400.000 milliards d’ici 2050… Selon la Banque des règlements internationaux, 500 fonds gèrent plus de 70.000 milliards de dollars, les Américains occupant la tête de la liste, donnant l’image inquiétante d’une concentration qui s’intensifie et d’un monde financier de plus en plus autonome et puissant.

La régulation des banques s’appuie sur un renforcement des structures en réalité illusoire lorsque l’on comprend que le risque dont elles sont porteuses n’est tout simplement pas calculable. Cette voie est encore moins pertinente pour le shadow banking. Quand les régulateurs en viendront-ils à adopter un critère unique et décisif pour autoriser ou interdire les produits financiers : sont-ils ou non utiles à l’économie ? Faute de s’y résoudre, le déséquilibre financier structurel du monde financier hypertrophié est condamné à s’accroitre et toute la panoplie des mesures de régulation actuelles et en gestation n’y pourra rien.

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