LA JAPONISATION DE L’EUROPE EN BONNE VOIE, par François Leclerc

Billet invité.

Les marché des capitaux avait été déstabilisé lorsque la Fed avait entamé l’arrêt progressif de ses achats de titres, qui ont stoppé fin octobre (sauf pour remplacer les actifs arrivant à maturité). En Europe, ce même marché de capitaux serait soulagé que la BCE prenne en grand le relais, comme il est possible qu’elle doive s’y résoudre. Au Japon, il a obtenu satisfaction et a réagi positivement à la Bourse de Tokyo, la Banque du Japon (BoJ) ayant hier décidé d’accroître plus massivement encore que prévu la taille de son bilan, l’inflation ne décollant pas comme promis.

Après avoir pesé le pour et le contre en auscultant les marchés financiers, afin de déterminer à quel stade se trouve la nouvelle bulle financière en train de se constituer, les dirigeants de la Fed ont finalement décidé de stopper l’accroissement de la taille de son bilan. Mais les Japonais prennent le relais et alimentent la bulle, en attendant que les Européens enchaînent.

Parmi les explications données à cette déstabilisation circule celle de la décorrélation des activités financières et productives de biens et de services, une décorrélation qui peut atteindre ses limites. Comme si, en attendant de les trouver, la course au rendement prévalait sur toute autre considération. Et que la taille des actifs financiers ne pouvait que croître – comme hier les prix de l’immobilier – la concentration de la richesse qui découle de cette activité frénétique portant en elle la catastrophe. Dans son dernier rapport, Oxfam en a donné à nouveau une vision saisissante.

L’économie japonaise se trouvant « à un moment critique dans son combat contre la déflation », le gouverneur de la Banque du Japon a donc annoncé que celle-ci allait accroître davantage que prévu sa base monétaire. Les prix ont subi « une pression à la baisse en raison de la faiblesse de la demande à la suite de l’augmentation de la taxe [la TVA] et d’un déclin significatif des tarifs du pétrole brut » a expliqué la banque centrale pour se justifier. L’inflation dont elle se prévalait était en effet dans une large mesure importée, résultat des achats d’hydrocarbures destinés à faire marcher les centrales thermiques, les installations nucléaires étant toujours à l’arrêt.

Le PIB a connu au Japon au second trimestre un recul faisant craindre une répétition du scénario de 1977, lorsque l’augmentation de la pression fiscale avait plongé le pays dans une longue période de stagnation, il s’est accompagné de prévisions d’inflation revues à la baisse et de la diminution continue de la consommation. L’avenir se présentant mal, il fallait réagir ! La banque centrale l’a fait, mais le fonds de pension des fonctionnaires le plus important au monde n’a pas non plus tardé, décidant de monter à 50% de ses investissements la part consacrée aux actions, et de diminuer en conséquence la part consacré à l’achat des obligations de l’État japonais. Ce faisant, il va profiter de la hausse du prix des actions, mais simultanément contribuer à la baisse de la valeur des titres de la dette et à la hausse de leur taux, augmentant le coût de son service alors qu’elle est la plus importante du monde en avoisinant 250% du PIB. Il faut dire que le budget japonais est déjà financé par des émission obligataires à hauteur de la moitié de son montant…

L’Europe n’est décidément pas le seul point faible dans le camp des pays développés, contrairement à ce que l’on entend dire, et ses ratios d’endettement et déficit budgétaire font pâle figure à côté de ceux du Japon. L’argument selon lequel la dette japonaise est financée sur son marché intérieur (par la Banque du Japon en premier lieu), et que cela en contient le coût, ne sera pas valable encore très longtemps, au rythme où elle grossit.

Le scénario japonais n’est pas sans similitudes avec ce qui se présente en Europe. On y retrouve en effet une bulle financière qui se constitue (car les marchés financiers sont mondialisés), une stagnation économique qui s’installe, et la menace d’une déflation qui s’accentue. Si le Japon ne parvenait toujours pas à sortir de celle-ci, en dépit des nouveaux efforts de la BoJ, ce ne serait pas bon signe pour l’Europe qui subit une forte pression déflationniste. Relativement à la taille de l’économie japonaise, l’injection de liquidités que cela va représenter dépasse tout ce qu’une banque centrale a jusqu’à maintenant réalisé et a tout d’un geste désespéré.

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