Billet invité.
Edward Snowden va-t-il remporter une première victoire ? Ce sera le cas dimanche, si le Sénat ne vote pas in extremis la prolongation de la section 215 du Patriot Act. Celle-ci autorise la NSA a collecter et stocker les métadonnées des appels téléphoniques passés depuis les États-Unis, et il ne restera plus alors à l’agence de renseignement qu’à interrompre cette partie de son activité, qui est distincte de son principal outil d’espionnage légalisé, le programme mondial PRISM. Un moindre mal selon les experts, mais un acte symbolique fort.
Les interventions se sont multipliées pour appeler les sénateurs à la raison. Barack Obama a déclaré «Je ne veux pas que nous soyons confrontés à une situation où nous aurions pu empêcher une attaque terroriste, ou arrêter quelqu’un de dangereux, mais où nous ne l’avons pas fait simplement en raison de l’inaction du Sénat ». James Clapper, le directeur national du renseignement, a martelé que cet espionnage légalisé est « le meilleur moyen de minimiser le risque de diminution de notre capacité à protéger le peuple américain ». Afin d’emporter la décision, l’administration Obama avait débaptisé le Patriot Act pour audacieusement le nommer Freedom Act afin que ce dernier soit voté sans encombre par le Congrès. Cela a bien été le cas à la Chambre des représentants, mais pas au Sénat. L’astuce consistait à ce que les métadonnées en question soient stockées par les opérateurs de téléphone et non plus par la NSA. Mais la conjonction du refus de sénateurs libéraux et libertariens a compliqué le jeu, dont l’issue est incertaine.
The Intercept continue de méthodiquement exploiter les documents fournis par Edward Sowden et a révélé, en partenariat avec CBS News, l’existence d’un groupe de travail mis en place en 2011 par les « Five Eyes », les États-Unis et ses alliés les plus proches dans le domaine de l’espionnage électronique. L’objectif poursuivi était de mettre sous surveillance les smartphones utilisant Android en piratant les serveurs des applications proposées par Google et Samsung, afin d’implanter par ce biais dans les téléphones s’y connectant des dispositifs permettant de collecter les données qu’ils stockent.
Les grands industriels d’Internet avaient haut et fort fait valoir leur opposition à la surveillance généralisée de leurs clients afin de protéger leur fonds de commerce. Cela s’était notamment traduit par l’utilisation renforcée de technologies de cryptage par Apple et le refus de coopérer de Google, suscitant les protestations de la NSA sur le thème que cela faisait obstacle à la lutte contre le terrorisme international. La tenue du 14 au 16 mai d’une conférence à huis-clos organisée par la Ditchley Foundation britannique, qui a coutume d’organiser des rencontres discrètes sur des « sujets complexes de portée internationale » n’a pas échappé à The Intercept. « Dans les coulisses, un dialogue est donc engagé entre les géants de la technologie et les agences d’espionnage de l’après Snowden, et les relations entre eux pourraient se dégeler », a commenté Ryan Callagher, qui a mené l’enquête. Si la conférence se tenait dans le cadre de ce que l’on appelle la Chatham House Rule – une règle qui interdit de révéler les propos des participants afin qu’ils puissent s’exprimer plus librement – l’assistance était fournie. Les maîtres espions côtoyaient les représentants de Google, d’Apple et de Vodafone, ainsi qu’une poignée d’universitaires et même de journalistes…
A l’ordre du jour, le nuage de fumée du tracé de la frontière entre protection de la vie privée et défense de la sécurité. Parmi les sujets abordés : « Comment la presse doit-elle rendre compte des activités de renseignement ? », « Sommes nous induits en erreur par le terme « surveillance massive » ?, « Quelles devraient être la nature des relations entre les agences de renseignement et les fournisseurs d’accès privés lorsqu’ils doivent en tout état de cause coopérer afin de combattre contre les cyber menaces ? ». Autant de questions à peine orientées destinées à susciter la coopération de tous…
Les observateurs les plus vigilants craignent qu’un point de non retour ait été déjà franchi et doutent de la possibilité de contenir et encadrer l’activité de cyber surveillance, comme les dernières révélations impliquant le service de renseignement allemand du BDN viennent à nouveau de l’illustrer. A l’ère du Big Data triomphant, comment les agences de renseignement pourraient elles être écartées d’une exploitation massive des données privées promise par ailleurs à un grand avenir commercial ? La vie privée est condamnée à disparaitre, a pronostiqué Edward Snowden, et il faut s’arrêter un instant pour réfléchir à ce que cela va permettre et représenter, au-delà de la formule choc.
Et depuis qu’il est colibri il fait pluie-pluie…