Trois mises en perspective sur l’affaire Volkswagen, par Michel Leis

Billet invité.

La personnalisation des produits et des marques est avant tout superficielle. Elle répond aux exigences du marketing qui a compris que l’on pouvait vendre plus cher quand l’image du produit est en adéquation avec les aspirations (soigneusement entretenues) de la clientèle. Vendre un même produit sous des apparences différentes permet de maximiser le nombre de clients et les marges. Mais derrière les différences d’apparence, de marques et d’image, le secret du profit reste la production de masse. Il y a une course à la standardisation qui n’est pas près de s’arrêter : aujourd’hui les moteurs, les composants, demain des plateformes communes à différents modèles. Cette standardisation donne une proportion énorme à chaque accident industriel, chaque problème de qualité, chaque tricherie. Aux 11 millions de véhicules VW touchés par la fraude répondent les 6 millions de véhicules rappelés par General Motors pour des problèmes de démarreur, les 9 millions de véhicules Toyota rappelés pour des problèmes de pédale d’accélérateur ou les millions (une vingtaine, toute marque confondues ?) de véhicules rappelés pour des airbags défectueux produits par Takata. Même si c’est moins visible, les correctifs apportés dans les logiciels et les systèmes d’exploitation par les grandes sociétés informatiques concernent à chaque fois des dizaines de millions d’utilisateurs.

On croyait que l’absence de morale et de scrupule était le propre de l’industrie financière. On découvre aujourd’hui qu’elle frappe l’économie réelle, dès lors qu’il s’agit de faire du profit. Le moteur diesel est un arbitrage entre la consommation et les émissions de CO2 d’un côté, et les émissions de particules NOx de l’autre. Réduire les émissions de particules revient à augmenter la consommation, réduire les émissions de CO2 et la consommation revient à augmenter les émissions de NOx. Les normes des deux côtés de l’Atlantique ne sont pas les mêmes, centrées sur les émissions de CO2 en Europe, et sur les émissions de NOx aux États-Unis. Produire un moteur capable de satisfaire aux deux normes coûte bien plus cher que tricher (sauf évidemment quand on se fait prendre la main dans le sac). On pourrait penser que cette affaire est une exception propre à une industrie spécifique. Il n’en est rien. En 2010, Koito industries, un sous-traitant aéronautique a triché sur les résultats des crashs tests des sièges qu’il livrait aux fabricants d’avions : plus de 150 000 sièges non conformes ont été installés dans plus de 1 000 aéronefs. Combien d’autres cas dans d’autres secteurs ?

Dans le cas de Koito industries, c’est une dénonciation interne qui a permis de découvrir le pot au rose. Le fait que VW ait pu poursuivre sa tricherie pendant des années sans qu’aucun lanceur d’alertes interne ne se manifeste est interpellant. Plusieurs éléments peuvent l’expliquer, il faudrait être dans l’organisation VW pour connaître la proportion exacte de ces facteurs. Le premier point est la concentration du pouvoir dans les entreprises. Les managers surpayés sont la partie émergée de l’Iceberg, les hiérarchies sont devenues de plus en plus verticales, les décisions se prennent de plus en plus haut dans la hiérarchie. Dans le même temps, cette concentration des décisions se double d’une simplification à l’extrême des problèmes. Les quelques « top managers » qui prennent les décisions ne peuvent et ne veulent pas rentrer dans le détail. Ils fixent des objectifs très ambitieux pour faire avancer leur propre carrière. Si tant est que les synthèses soient compréhensibles et que les réponses apportées aux quelques problèmes identifiés vont dans le bon sens (entendez, permettent de satisfaire ces objectifs), alors les décisions sont prises sans en mesurer toutes les implications. À cela s’ajoute la pression qui s’exerce sur les salariés, qui rend difficile l’expression de réserves, et une organisation en silos de plus en plus spécialisés qui limitent le nombre de personnes impliquées dans tel ou tel aspect de la production. Cette logique verticale est le reflet d’une pensée darwiniste, ceux qui arrivent au sommet sont des êtres supérieurs, à même d’imposer leur volonté à l’ensemble des employés. Même si le discours dominant prétend le contraire, le capital humain est une valeur en forte baisse. Cette situation rend illusoire tout autocontrôle de la part des entreprises.

Tout cela ne serait pas si grave s’il ne s’agissait pas d’entreprises géantes qui nous rapprochent dangereusement de risques systémiques. En 2008, d’après une étude de la banque Natexis, le secteur automobile avait contribué à lui seul pour un tiers à la récession allemande observée à l’époque. Dans un contexte extrêmement volatil, le risque est bien réel.

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