Renouvellement politique, par Michel Leis

Billet invité.

L’Espagne ne fera pas exception à la règle. Dans la plupart des pays d’Europe occidentale, à l’exception de la Finlande, les élections de 2015 auront été pour les partis au pouvoir, au mieux un coup de semonce, au pire un désaveu complet.

Pays % des voix Progression Parti Couleur Elections
Danemark 21,10% 139,77% Parti du Peuple Danois Extrême droite / Droite Populiste Législative
Espagne 20,66% 448,01% Podemos Gauche de la gauche Législative
France 27,70% 142,56% FN Extrême droite / Droite Populiste Régionales (1er tour)
Finlande 17,60% -7,37% Vrai Finlandais Extrême droite / Droite Populiste Législative
Grèce* 36,30% 34,44% Syriza Gauche de la gauche Législative
Portugal 10,20% 97,29% Bloc de gauche Gauche de la gauche Législative
Royaume Uni 12,70% 309,68% Ukip Extrême droite / Droite Populiste Législative

* : Législatives de janvier 2015

Progression par rapport aux élections précédentes de même nature

Je voudrais résumer ici quelques hypothèses que j’ai déjà évoquées dans de précédents billets. La diversité des résultats tend à masquer ce que ces élections ont en commun : la volonté des électeurs de renouveler les élites. Si l’on veut analyser ce désir de renouvellement, les raisons en sont multiples.

Le premier aspect est le recrutement endogène des élites politiques. Les carrières se construisent presque uniquement au sein des partis. Les élites ne connaissent plus la réalité mais la représentation qui leur en est faite, avec tous les effets de cour que l’on peut imaginer. Cette représentation faussée nourrit un discours en forme de propagande, avec le risque qui lui est associé : la première victime en est le pouvoir lui-même. À cela s’ajoute une grande proximité avec le monde économique : le recrutement des élites suit les mêmes voies, la bonne santé des entreprises est au cœur des programmes, les lobbys multiplient les occasions de contacts. Au mieux cette proximité ne peut qu’accentuer ce décalage, au pire elle débouche sur la corruption.

Le deuxième aspect tient à des logiciels politiques à bout de souffle. Fondés sur l’accès au confort matériel et la prospérité économique, ils ne sont plus en phase avec un monde qui doit changer radicalement pour s’adapter à de nouvelles réalités : épuisement des ressources, raréfaction du travail, dégradation de l’environnement… Ce décalage est largement perçu par les citoyens. Le monde réel oblige les partis de pouvoir à tenir un discours schizophrène, d’une part la promesse du retour à la croissance et la baisse du chômage : la prospérité sera de retour demain, et d’autre part, des sacrifices demandés qui seraient le prix à payer pour le retour à la prospérité : les pauvres et les classes moyennes doivent payer.

Le troisième aspect est un discours formaté par le politiquement correct qui finit par ressembler à un déni des réalités. Le décalage est immense entre la forme policée du discours tenu par les partis de pouvoir et la violence visible (terrorisme, coups de folie individuels qui se retournent contre les autres, atteintes aux biens et aux personnes…) et invisible (pression au travail, dégradation des rapports de forces, déclassement des territoires, irrespect généralisé…) vécue par les citoyens.

Ce décalage de discours est le fonds de commerce des partis émergents. Plus leurs discours paraissent être en rupture avec le discours policé des partis, plus les électeurs ont la conviction que ces partis sont en mesure de secouer la fourmilière.

Au vu de ces trois points, les stratégies menées par certains en France contre le FN sont probablement contre-productives. La recomposition politique ne peut qu’amener un discours de consensus mou qui accentuera le décalage entre le discours et les réalités vécues par les citoyens. Quoi qu’on en pense, s’attaquer aux provocations verbales (ou twittesques) de MLP ne fait que renforcer le sentiment chez certains que le FN ne refuse pas les réalités, même les plus crues, contrairement aux partis traditionnels.

Dans le même temps se construit une ligne de partage entre les pays, c’est tantôt l’extrême droite ou la droite populiste, tantôt la gauche de la gauche qui capte cette volonté de renouvellement. Cette ligne de partage reflète l’ampleur de la crise. Là où celle-ci a bouleversé le quotidien des citoyens, où les taux de chômage dépassent les 20 %, où la précarité menace tout le monde, les citoyens sont bien conscients qu’il faut reconstruire quelque chose de différent : la gauche de la gauche est tout à fait à même de porter ce discours. Là où c’est l’érosion qui prédomine, où les remises en causes partielles ne créent pas encore de ruptures, c’est l’extrême droite qui matérialise les peurs et leur donne un objet : « l’autre », tout en proposant un ancrage fort dans le passé. Ce faisant, ces partis évitent un des principaux écueils des élections : la projection dans le futur, liée à la nature même d’un programme. Leur futur est un retour pur et simple dans le passé, avant l’Europe, avant l’euro, avant l’ouverture des frontières… Le passé est connu, il est rassurant, c’est quelque chose que l’on partage avec les autres, qui donne un sens à l’idée de nation.

Pour la gauche de la gauche, il n’est pas impossible d’accéder au pouvoir, seul ou en coalition, du moins dans les pays frappés durement par la crise, c’est ce qu’a montré Syriza en Grèce. Il y a eu une vraie réflexion programmatique de la part de ces partis, souvent nourrie par des experts reconnus. Reste qu’il faut prendre en compte la réalité des rapports de forces, identifier des marges de manœuvre souvent très étroites, c’est l’autre leçon de l’expérience grecque. Ce n’est pas seulement un programme qu’il faut penser, mais une transition. L’autre option possible est la stratégie de l’alliance, comme au Portugal, avec le double risque de l’usure ou du reniement, mais faire bouger les lignes nécessite sûrement quelques compromis.

Pour les partis d’extrême droite ou de la droite populiste, le rejet reste encore fort pour une fraction de la population, c’est la dernière marche (dont on ne peut que se féliciter) qui les empêche d’accéder au pouvoir dans les pays où l’érosion sociale prime sur la rupture. Est-ce que cette situation est durable ? Rien n’est moins sûr. À long terme, la poursuite de l’érosion sociale et la dégradation des conditions économiques peuvent faire tomber les dernières barrières. Pour les plus impatients, il y a la possibilité de rejoindre les coalitions au pouvoir, avec le risque de voir s’éroder le capital de voix, la tonalité libérale du discours prend le dessus sur l’aspect protecteur, c’est ce qui est arrivé aux « Vrais Finlandais » en 2015. Reste pour exister la surenchère nationaliste ou xénophobe, comme on peut le voir ces jours-ci au Danemark.

Peut-on faire émerger dans un pays d’érosion sociale une gauche de la gauche à même de gagner les élections ?

Il faut à mon sens oublier les exemples Podemos et Syriza (est ce que Syriza est encore un exemple ?) : il n’y aura pas en France ce sentiment d’urgence ni cette large mobilisation citoyenne qui caractérise les ruptures. On ne peut pas faire l’économie d’un travail de fond, d’une présence sur le terrain. Ensuite, le discours de cet hypothétique parti doit parler de la peur, et ne pas la renvoyer au rang des effets pervers de l’insécurité sociale : la peur existe, autant lui donner des visages (mais pas celui de « l’autre »…, il ne faut pas se tromper de combat). Ensuite, il faut oublier les interminables discussions internes aux partis visant à élaborer des propositions plus ou moins consensuelles : l’heure n’est plus au politiquement correct. Les débats doivent sélectionner les réponses les plus percutantes aux problèmes d’aujourd’hui. Certains points qui ne font pas partie des territoires habituels de la gauche doivent être adressés : sécurité, défense, territoires… Dans le même temps, ce programme doit penser la transition et être acceptable par les électeurs qui doivent pouvoir se projeter dans un futur.

En France, toutes ces conditions sont loin d’être remplies, dans la course qui est entamée, la gauche de la gauche fait figure de tortue.

 

 

 

Partager :

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote bancor BCE Bourse Brexit capitalisme centrale nucléaire de Fukushima ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta