Passer de la monnaie spéculative virtuelle à la monnaie réelle de démocratie, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité.

Si nous faisons nôtre l’objectif de DiEM25, Democracy in Europe Movement 2025, de construire une vraie démocratie dans la réalité de l’Europe d’aujourd’hui, alors nous posons que l’égalité réelle des droits et devoirs entre tous les citoyens est le principal objectif de la politique que nous revendiquons pour l’Europe et pour la France. Le critère de la démocratie étant posé, il reste bien à construire un système d’économie politique européenne qui contrecarre l’actuel régime de dictature financière du capital spéculatif producteur d’inégalité réelle et de déshumanisation collective des droits.

Reconnaissons que Varoufakis ou Piketty ont posé les termes essentiels de la problématique de l’égalité mais que l’architecture du nouveau système à fonder n’est pas encore établie. Nous voyons bien que des institutions européennes démocratisées ne sont pas à soi seul la réalisation effective de l’égalité des droits entre l’intérêt général et l’intérêt particulier ; entre la propriété publique et la propriété privée ; entre le capital et le travail ; entre le producteur et le consommateur ; entre le complexe physique de la vie humaine et les représentations que les sujets personnels individuels et collectifs s’en font.

L’incongruité radicale et mortifère de l’Europe libérale est dans l’asymétrie des droits entre les différentes finalités sociétales nécessaires à la bonne vie des personnes. La vision libérale place la finalité du bénéfice comptable au-dessus de la satisfaction universelle des besoins humains personnels individuels et collectifs. L’apparence comptable et juridique prime sur la réalité objective. Le capitalisme libéral déterritorialisé attribue aux gestionnaires du capital le droit légal d’agir par des sociétés nominales hors sol. Les entités transnationales ont la capacité légale de choisir les lois qu’elles appliquent ou n’appliquent pas selon le critère exclusif de la rentabilité financière. Implantées dans plusieurs pays, elles domicilient leurs revenus financiers issus de leurs activités indépendamment du lieu où elle produisent et vendent effectivement la valeur ajoutée.

A l’inverse des sociétés financières hors sol, les sociétés dont la finalité est la délibération de la loi humaine, l’application de la justice, ou bien les sociétés au service direct des personnes physiques localisées et identifiables, ou bien encore les sociétés agissant à l’intérieur d’un seul territoire politique, sont contraintes par la réalité concrète d’intégrer dans leur calcul économique le prix de l’existence des autres finalités sociales que l’accumulation de pouvoir d’achat monétaire. La coexistence concrète de toutes les finalités humaines signifie l’insertion dans une réalité physique objectivement commune avec les autres sociétés de personnes réelles.

L’indépendance de la BCE par rapport aux institutions politiques des États de droit, l’indépendance du système bancaire mondialisé aux dessus des réalités économiques et des politiques sociales de justice et de service aux citoyens, font que les monnaies et spécialement l’euro sont émises hors de la mesure réelle objective de la valeur ajoutée. Comme le constate Piketty, le système libéral de la monnaie détachée des lois et sociétés réelles produit le rendement financier moyen du capital au-dessus du taux de croissance moyen de la valeur ajoutée réelle. Le bénéfice des propriétaires nominaux du capital est perpétuellement supérieur à leur contribution effective à l’augmentation de la valeur ajoutée réelle.

Autrement dit la cause libérale de l’attribution du pouvoir d’achat monétaire est le calcul financier lui-même et non le travail de transformation effective de la réalité des personnes. La cause libérale du revenu est la propriété financière nominale de ce qui existe déjà et non le travail de transformation et d’échange de la valeur réelle actuelle entre les personnes physiques. Pour interrompre le détournement financier de la valeur humaine réelle, il faut juste enlever aux banques et aux sociétés non politiques la faculté d’allouer des crédits en monnaie hors de la souveraineté de la loi des Etats existant ou à créer.

Le projet politique de démocratisation de l’Union Européenne contient inéluctablement le retour intégral de la régulation du crédit et de la monnaie aux États et aux pouvoirs politiques. Le collatéral de la liquidité monétaire ne doit plus être l’évaluation bancaire du prix des actifs privés mais l’évaluation publique par le vrai marché des commandes et travaux en cours échangés entre les personnes physiques et les personnes morales. La fonction du marché doit être de générer les prix dans l’égalité des droits et des pouvoirs. Pour établir dans l’Eurozone l’égalité entre toutes les sociétés et toutes les finalités humaines, il faut nécessairement une société politique européenne garante de l’égalité entre les États membres et entre États et banques à l’intérieur des frontières. Les frontières de la loi doivent être celles du marché et de la monnaie.

A partir du moment où il est effectivement interdit à un non-citoyen européen ou à une société non intégralement eurozonale de prêter ou d’emprunter en euro, l’obligation d’apprécier toute valeur ajoutée en euro par la loi d’un État européen identifié devient incontournable. Il devient également impossible de détenir un quelconque actif dans une souveraineté européenne sans assumer intégralement les obligations fiscales qui lui sont attachées par la démocratie. Et si la fiscalité en euro est définie comme règlement de primes d’assurance sur l’application réelle et effective de toutes les normes de droit relative à la société, au travail, à la propriété et au milieu physique naturel, alors un paiement en monnaie est obligatoirement matérialisation d’une justice réelle effective.

Le passage de la monnaie spéculative virtuelle à la monnaie réelle de démocratie implique l’adoption de la compensation keynésienne, celle qui avait été proposée en 1944 à Bretton Woods. Chaque système de droit spécifié par une société est identifié par son unité de compte monétaire propre. Les parités de change sont négociées sur un marché financier public et assurées par des sociétés d’États, par exemple une Confédération de l’euro. L’assurance des parités de change est par nature l’assurance du crédit entre des sociétés distinctes, donc l’assurance des entreprises bancaires par les États de droit qui les contiennent et les régulent. La fiscalité prélevée directement sur l’intégralité des transactions financières tracées par le marché public des changes devient la source d’un capital public qui assure les droits humains par la stabilité et la justice du crédit.

Un marché monétaire public européen de compensation est le moyen d’assurer l’égalité des droits par une fiscalité à la source du capital et de la valeur ajoutée. Le même marché constitué en dépositaire européen public des dettes entre Etats est également un système de garantie fédérale des dettes publiques indexée sur la croissance économique réelle de tous les membres de l’Eurozone. Les propositions de rationalisation démocratique de la liberté économique formulées par Piketty et Varoufakis ont donc un fondement monétaire et financier commun qui serait l’euro keynésien de la Confédération d’Europe.

Partager :

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote bancor BCE Bourse Brexit capitalisme centrale nucléaire de Fukushima ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta