« Trop, c’est trop ! » ou la ‘Gauche’ schizophrène, par Zébu

Billet invité.

Que dire de la récente tribune de Martine Aubry et de ses cosignataires publiée dans Le Monde d’hier, qui passe au vitriol la politique menée par le gouvernement de M. Valls et définie par M. Hollande, si ce n’est qu’une fois encore, une fois de trop, une pierre de plus a été apportée à l’édifice schizophrénique d’une gauche pour qui tout, et son contraire, sans conséquences, peut être dit ?

I.

Que dire de plus que ce qui a déjà été dit, il y a de cela plus d’un an et demi ?

Sans doute qu’au-delà de l’incohérence politique déjà connue, il nous faut maintenant traiter d’un état schizophrénique qui saisit la ‘gauche’ depuis plusieurs semaines, un état qui ne prêterait pas forcément à conséquence, en apparence, comme on a déjà pu le constater auparavant, mais qui dans le contexte actuel est des plus dangereux.

La question n’est pas tant le fond de l’intervention en soit des signataires : on peut être pour, ou contre, la politique du gouvernement telle qu’elle est (mal) menée et pour ou contre la saillie furibarde, ou voulue comme telle, d’une Martine Aubry.

La question réside dans le fait que plusieurs parlementaires, représentants du peuple français à l’Assemblée Nationale, choisissent de publier une tribune dans le plus grand quotidien français pour s’opposer à un texte de loi qu’ils réprouvent. C’est leur droit. Mais c’est également leur responsabilité d’élus de la Nation que de dire très clairement qu’ils s’opposeront à ce texte lorsque le gouvernement viendra quérir leurs suffrages et, clairement, de dire, quand on crie « Trop, c’est trop ! » (avec un point d’exclamation) que si le gouvernement de M. Valls en venait à utiliser l’article 49-3 de la Constitution, s’ils voteront ou non, la confiance en ce gouvernement.

Et d’en assumer, enfin, les conséquences.

Parce qu’on ne peut pas, quand on est élu de la Nation, dire une chose et faire le contraire le lendemain.

Parce que cela nuit gravement à la crédibilité, non pas de ces signataires dont on peut éventuellement se passer, mais bien de la fonction qu’ils incarnent et plus largement du champ politique et de la démocratie.

Parce qu’un élu schizophrène ne peut pas siéger à l’Assemblée Nationale.

Parce que ce genre de posture ne peut alimenter que le dédain, le dégoût et le mépris envers les élus, tous les élus, qu’alimenter les rangs des abstentionnistes et, in fine, qu’alimenter les votes aux extrêmes, notamment au Front National que ces mêmes élus prétendent combattre.

On ne peut donc, avec pitié, que conseiller à ces élus d’abréger leurs souffrances intimes en refusant de voter cette loi qu’ils décrient, en refusant de voter la confiance à ce gouvernement qu’ils décrient, en quittant ce parti zombie qu’est devenu le Parti Socialiste qu’ils décrient en filigrane, mais avec des fils cousus d’or. Et de suivre une cure d’opposition si jamais leur défiance ne venait pas à faire tomber ce gouvernement, seule à même de les réconcilier avec leurs personnalités multiples.

Ces mêmes élus s’en viendront probablement nier, comme le fait ce gouvernement avec la réalité, qu’une telle possibilité soit seulement envisageable : elle provoquerait une crise politique qui viendrait s’ajouter à la crise multiformes actuelle.

Mais, en dehors du fait que si l’on devait attendre que LA crise soit achevée pour que l’on puisse enfin sortir de la schizophrénie, on n’en sortirait sans doute jamais ou bien tard (mais peut-être est-ce là leur but intime ?), on s’en viendrait trouver que c’est bel et bien ce type de positionnement qui contribue à alimenter la crise politique actuelle et jette dans la confusion des brassées de citoyens et des électeurs ‘de gauche’, hagards et pantelants.

II.

Que dire aussi de ces cosignataires de cet autre appel à une primaire, ‘de gauche et des écologistes’, qui pensent qu’en signant ainsi une telle interjection au pouvoir exécutif, ils n’en faciliteront que plus et mieux la participation de ce même pouvoir exécutif à leur primaire, sinon qu’ils sont eux aussi atteints de schizophrénie ? Qui peut croire un seul instant que M. Valls et M. Hollande en viendront à accepter de débattre avec ceux-là même qui les dénient, ceux-là qui appartiennent au même parti politique censé soutenir l’action gouvernementale ? Croient-ils vraiment que ceux-ci accepteront ce débat imposé sous la menace virtuelle d’un refus de voter la loi proposée à l’Assemblée Nationale et la confiance au gouvernement, qu’une fois actée leur participation à cette primaire, qu’on oublierait tout et qu’on voterait en chœur cette même loi, cette même politique tant décriée, pourvue qu’on ait la primaire ? Sont-ils assez fous pour croire que les citoyens iront d’eux-mêmes participer à leur délire schizoïde ?

Qui peut comprendre ces appeleurs de primaire lorsqu’ils viennent jusqu’à Solferino quémander la participation active du Parti Socialiste à l’organisation de celle-ci, puis, une semaine plus tard, crier « Au fou ! » dans une tribune publique contre un gouvernement que le même parti est censé soutenir, qui plus est en appelant les citoyens à signer cette tribune ?

Si on peut dire tout puis son contraire, si rien n’a d’importance, comment alors prétendre ranimer un champ politique déserté par les citoyens, ô combien plus conséquents que les inconséquents ?

Il y a là des enseignements pour qui veut apprendre.

Qu’une primaire ne suffit pas à sortir d’une crise politique quand elle n’est qu’une expression d’une dissociation et d’une abdication du choix et des responsabilités politiques.

Que la gauche doit choisir entre la schizophrénie et la potentialité d’une crise, la schizophrénie étant une part de cette crise.

Que dans le contexte actuel, ce qui est irresponsable, c’est d’entretenir des postures et des jeux politiciens au su et au vu de tous, qui, moins que jamais, n’ont de raison d’être.

Que l’on sorte, et vite, de ce délire collectif qui en saisit certains, si possible par le haut.

Dans le cas contraire, qu’on en sorte et immédiatement : soit cette primaire se fera sans la ‘gauche au gouvernement’, soit la gauche qui décrie ce gouvernement cesse sa posture et rentre dans le rang laissant alors les citoyens trancher aux élections à venir, soit cette même gauche refuse sa confiance au gouvernement et assume ses responsabilités.

Ou nous voterons avec nos pieds.

Parce que « Trop, c’est trop ! ».

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