Varoufakis, le Brexit et les travaillistes, par Georges Lagarde

Billet invité.

Dans la même logique que son projet de transformer l’Union européenne en une véritable démocratie remplaçant le cheval de Troie de l’ultra-libéralisme qu’elle s’est avérée être, Yanis Varoufakis tentait le 28 mai de convaincre les lecteurs du Guardian (qui pour la plupart sont des travaillistes) de voter contre la sortie de l’UE.

Le Brexit est une ruse qui date du temps de l’Empire britannique. Seul les arguments des radicaux à propos de l’Europe sont raisonnables.

John McDonnell, le Chancelier du Cabinet travailliste, la députée écologiste Caroline Lucas et moi pouvons avoir des points de vue différents sur l’Union européenne. Mais, comme l’affirme notre déclaration conjointe, nous sommes d’accord pour penser qu’une Grande-Bretagne démocratique et prospère ne peut résulter que d’un combat paneuropéen pour faire de l’UE une démocratie.

[…] voter pour sortir de l’Europe ne bénéficierait qu’à une riche élite, aussi désireuse de se libérer de Bruxelles qu’elle l’est de régner sur le peuple britannique.

Dans tous les cas (même si les électeurs choisissent de quitter l’UE) la classe dirigeante de la Grande-Bretagne n’abandonnera jamais le marché unique.

La seule raison pour laquelle les services publics s’effondrent est l’austérité qui masque une vicieuse guerre de classe contre les Britanniques les plus modestes ; une guerre qui se serait produite même si les frontières du pays avaient été hermétiquement scellées.

Ne l’oublions pas, opposer les plus pauvres aux immigrants est une variante de l’ancienne règle diviser pour régner que la classe dirigeante a mis au point il y a longtemps pour dominer l’Empire britannique.

Aujourd’hui ils utilisent la même stratégie pour dominer ceux qui sont nés ici et dissimuler les effets de l’austérité en détournant la colère qui en résulte vers les autres – les étrangers, les migrants.

Les progressistes doivent se décider : croient-ils que quelque chose de valable pourrait sortir de l’effondrement de notre Union européenne réactionnaire et non-démocratique ? Cet effondrement ne plongera-t-il pas le continent dans un tourbillon économique et politique dont aucun Brexit ne saurait protéger la Grande-Bretagne ?

Il faut préciser que jusqu’ici personne ne semble être parvenu à convaincre les électeurs travaillistes de voter massivement pour rester dans l’UE (c’est-à-dire de voter comme le demande le Premier Ministre conservateur David Cameron et la moitié de son parti) plutôt que de s’abstenir [*] voire même de voter en faveur du Brexit (avec le « parti de l’indépendance du Royaume Uni » – UKIP – et avec l’autre moitié du parti conservateur, l’un comme l’autre axant surtout leur campagne contre l’immigration et le montant exorbitant des sommes que la Grande-Bretagne doit verser à l’UE mais dénonçant aussi la perte de souveraineté, les règles tatillonnes imposées par la détestable bureaucratie bruxelloise et l’absence de démocratie de l’UE.)

Finalement il s’agit, exactement comme quand il est question de cultiver son jardin et de circuler à vélo à cause du réchauffement climatique ou de rembourser les dettes accumulées par les banques islandaises ou l’État grec, de choisir soit de régler ses affaires dans son coin (puisque l’ennemi est parvenu à diviser et opposer viscéralement les uns aux autres ceux avec qui il faudrait coopérer pour l’emporter) soit de mener au contraire la lutte au niveau le plus large possible (parce que l’ennemi ultra-libéral est partout le même et bien trop puissant pour qu’on ait la moindre chance de lui échapper en se tenant discrètement à l’écart.)

Malheureusement, il s’agit d’un choix presque impossible : le parti travailliste est lui même profondément divisé entre une aile droite (New Labour) qui reste décidée à faire de larges concessions à l’ultra-libéralisme et une aile gauche qui certes dirige actuellement ce parti (depuis que Jeremy Corbyn en a pris la tête grâce à l’appui des syndicats) mais qui reste très méfiante à l’égard de l’UE et surtout n’a jamais envisagé et n’envisage toujours pas de s’unir avec les autres partis de gauche européens pour parvenir à orienter l’UE dans une direction opposée dans beaucoup de domaines à celle qu’elle suit actuellement.

On peut parfaitement donner raison à Varoufakis sur le long terme (rêver d’un îlot de socialisme en Grande-Bretagne se tenant à bonne distance d’une Europe déchirée par les progrès de l’extrême-droite et échapper de ce fait aux tempêtes qui la secouent n’est pas réaliste) et constater en même temps que l’UE telle qu’elle est actuellement risque de constituer un obstacle plutôt qu’une aide pour les Britanniques qui essaient, comme le fait Jeremy Corbyn, de combattre l’austérité et la destruction des services publics à laquelle ils sont soumis.

La compétition économique et la guerre financière provoquant autant de ravages à l’intérieur de l’UE qu’elles en provoquent au niveau mondial, il faudra prendre pas mal de recul pour renoncer au chacun pour soi qui prévaut de plus en plus en Europe et ailleurs, à droite comme à gauche.

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[*] L’opinion générale est que c’est l’abstention possible d’un grand nombre de travaillistes anglais qui risque de faire pencher la balance en faveur du Brexit (l’Ecosse, l’Irlande du Nord, voire le Pays de Galles, semblent préférer la tutelle de Bruxelles à celle de Londres !)

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