Comment pourrait-on définir un prix en politique ?, par Zébu

Billet invité.

Comment pourrait-on définir un prix en politique ?

Les électeurs et citoyens seraient tentés de répondre ‘lors de l’élection’ : on constate, par le nombre de voix, les rapports de forces politiques présents sur un champ donné à un moment donné. Mais ces électeurs et citoyens en oublient l’amont du vote, celui de la campagne électorale et surtout de la désignation des candidats par les partis politiques, sur lesquels ils porteront ou non leurs voix.

L’augmentation permanente du phénomène de l’abstention, couplé à celle des votes blancs ou nuls, lors de toutes les élections ces dernières décennies tendrait à confirmer l’importance de cet amont puisqu’un nombre croissant de citoyens se désengagent du processus électoral : preuve que le rapport de force dans la compétition politique se concrétise avant tout dans la désignation des candidats, au sein des partis politiques.

Les instituts de sondages seraient eux évidemment tentés d’utiliser les théories libérales du marché, puisque le champ politique est un marché comme un autre où les sondages ne font qu’exprimer à un moment donné les rapports de forces politiques incarnés par des candidats (ou des partis), dont l’élection est la sanction définitive, un peu comme lorsque le prix se formalise sur un marché, une demande rencontrant son offre au niveau de prix et de volume voulus.

En ce sens, sur un tel marché, il y a toujours de nouveaux entrants, que les sondages se doivent d’intégrer pour continuer à faire vivre le marché politique et surtout leur propre activité économique. Le dernier en date, Emmanuel Macron, en est un exemple, parce qu’il permet de rebattre les cartes sans pour autant mettre fin au jeu en cours. On pourrait en dire autant d’Alain Juppé, que l’on pourrait qualifier de vieux cheval de retour sans pour autant que celui-ci ne le prenne mal, étant donné sa longévité sur le champ politique. Les deux personnalités, l’un candidat déclaré, l’autre non, sont sans conteste les grands gagnants de ce marché politique des sondages.

Pour autant, un tel marché est faussé et ne peut délivrer que de faux prix politiques parce qu’il méconnaît les réalités d’un champ politique qui est structuré d’une bien autre manière. On oublie ainsi, ou on fait semblant de l’oublier, que ce champ est d’abord structuré par les rapports de force au sein de chaque ‘classe’ politique, avant que de l’être entre les différentes classes politiques. Ainsi, à droite, on observe depuis quelques semaines une baisse de popularité d’Alain Juppé, au profit de celle de Nicolas Sarkozy. Il faut, pour l’expliquer, remettre en lien ce phénomène avec la parution début mai par Alain Juppé de sa profession de foi politique, notamment sur sa réforme du travail, pariant sur le fait que la loi Travail sera adoptée et que les Français sont prêts pour une orientation libérale sur ce champ. Las, un mois plus tard, force est de constater que les Français sont majoritairement hostiles à cette loi et soutiennent toujours les manifestations, quand dans le même temps, Nicolas Sarkozy est jugé plus apte à répondre à la fois à l’orientation libérale mais aussi et surtout à une demande sécuritaire au sein de sa ‘classe’ politique.

Car de fait, c’est bien avant tout au sein de leur ‘classe’ politique, à travers une primaire, que ces candidats seront choisis, et non, comme le font les sondages, parmi les Français ou même les ‘sympathisants de droite’. Et dans cette ‘classe’ là, Nicolas Sarkozy a de sérieux arguments à faire valoir face à Alain Juppé.

De même, si l’on juge les résultats de François Hollande dans les sondages, force est de constater qu’il a très peu de chances de gagner cette compétition en amont de l’élection, étant en voie d’être même dépassé par Jean-Luc Mélenchon. Mais là encore, le marché politique des sondages est faussé parce qu’il ne prend pas en compte plusieurs réalités.

La primaire de la gauche et des écologistes est mort-née, à la fois par le refus du PCF et des écologistes d’intégrer l’exécutif dans ce processus et à la fois par la décision récente du PS de convoquer une primaire pour la gauche de gouvernement, prenant ainsi prétexte du refus des autres partis de gauche et de la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Or, dès lors que ce cadre est posé, on ne peut plus juger des résultats de François Hollande dans les sondages comme étant pertinents puisqu’ils ne correspondent pas à ce cadre, dans lequel l’actuel Président de la République a toutes les chances d’imposer son rapport de force politique, y compris face à des candidatures que l’on pourra dénommer comme soit de participation, soit de complaisance. Une fois sorti légitimé dans un cadre totalement adapté à son besoin, François Hollande pourra alors faire le lien avec la réalité économique qui est en train d’évoluer pour faire jouer à plein son rapport de force en sa faveur face à la candidature de Jean-Luc Mélenchon à gauche, Emmanuel Macron servant entre-temps de capteur politique à droite pour le compte de François Hollande face notamment à François Bayrou ou Alain Juppé.

Les prix politiques des uns sont donc largement surévalués sur le marché des sondages quant ceux des autres sont très sous-évalués, parce que ce marché ne raisonne qu’en termes d’offres et de demandes sur l’ensemble du champ politique, quand dans les faits, c’est bien en premier lieu au sein de chaque ‘classe’ politique, selon leurs modalités spécifiques, que ces prix sont définis (selon le ‘statut social respectif’ au sein de chaque classe sociale dirait Paul Jorion).

Et qu’à partir de cette réalité, et de elle seule, le champ politique s’organisera alors en proposant les seules offres qui auront ainsi été configurées en amont.

Pour n’avoir pas compris cela, les sondages n’auront pas anticipé les victoires potentielles respectives de François Hollande et de Nicolas Sarkozy. Pour avoir sous-estimé la réalité des rapports de forces politiques et leurs constructions, la primaire de la gauche et des écologistes ne pouvait être que mort-née et la candidature d’Alain Juppé ne pouvait être qu’hors sol.

Et pour avoir sous-estimé ou sur-estimé le rapport entre positionnement politique et réalité (économique, sociale…), la candidature de Jean-Luc Mélenchon risque de n’être in fine qu’un rouage nécessaire à l’expression du rapport de force politique au bénéfice d’un François Hollande qui sur-jouera en fin d’année le retour de la croissance et le renouvellement de son épopée politique de 2011, au grand dam de tous ces opposants à gauche qui n’auront pas su construire un rapport de force unique, chacun voulant son propre prix sur le grand marché faussé des sondages.

S’il en est une néanmoins qui devrait bénéficier plus que tous les autres de cette réalité des rapports de forces politiques, c’est bien Marine Le Pen. Car cette structuration des prix politiques au sein de chaque classe politique, à gauche comme à droite, ne pourra que renforcer l’idée chez bon nombre de citoyens que décidément, quelle que soit la manière prise, avec une primaire à droite, une primaire de gouvernement à gauche, des candidatures individuelles à la gauche de la gauche de gouvernement, c’est toujours le même prix qui ressort, avec François Hollande et Nicolas Sarkozy, comme en 2012.
Le véritable prix de Marine Le Pen est bien celui du rejet du marché politique tel qu’il est constitué et tel qu’il se constituera, même si à l’évidence le prix politique de Marine Le Pen est lui aussi bien coté dans le grand marché politique, et ce depuis plusieurs années, un prix faussé non pas cette fois par l’incompréhension ou l’aveuglement théorique des acteurs politiques, mais bien par la mise en exergue de mécanismes politiques qui tendent objectivement à reproduire le même prix. Sur le marché de la rupture en politique, Marine Le Pen est bien la seule dans sa ‘classe’ politique et ne peut que capitaliser dessus, quoi qu’il advienne.

A ce compte là, le prix risque d’être chèrement payé, si rien ne vient à enrayer la reproduction des rapports de forces.

Encore faudrait-il que l’on comprenne comment fonctionne vraiment un prix et un marché politique : où certains à gauche découvrent les rapports de forces et la réinvention du boomerang en politique avec notamment l’idée d’une primaire lancée sans direction précise …

Il reste encore quelques mois, ou quelques semaines, avant que la formation des prix politiques ne commencent à se former, réellement et définitivement.

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  1. Et bientôt, E.S.=protéines finlandaises ! https://www.theguardian.com/business/2024/apr/19/finnish-startup-food-air-solar-power-solein. Pas compris d’où leurs micro-organismes tiraient l’azote toutefois, peut-être bien de l’air (l’énergie, elle,…

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