Finance : L’ORTHODOXIE N’EST PLUS CE QU’ELLE ÉTAIT, par François Leclerc

Billet invité.

A défaut de la grande mise à plat qui s’imposerait, l’heure du doute a sonné. Deux discours sont tenus simultanément dans les allées du pouvoir : celui des adeptes de la religion féroce, comme dit Paul Jorion, qui n’en démordent pas, et celui des alarmistes qui comprennent que quelque chose cloche mais ne sont pas entendus.

C’est au sein des organisations multilatérales, type FMI et OCDE, que l’on trouve plutôt ces derniers. Et les longs rapports de la Banque des règlements internationaux (BRI) méritent le détour. Certains s’agrippent aux vieilles recettes, mais d’autres ont conscience qu’elles ne permettent plus d’avoir prise sur les évènements, et qu’il y a danger. Quel danger ? celui d’une nouvelle crise au cours de laquelle les banques centrales, ces sauveurs de dernier recours, se retrouveraient à court de munitions. Car le capitalisme – comprennent-ils – est désormais assisté et c’est en cela que la page est tournée. La finance est suralimentée par la liquidité des banques centrales, le risque est plus que jamais pochette surprise, et les mécanismes – qui déjà nous échappaient largement – sont faussés !

Depuis les années 80, la « financiarisation » de l’économie battait son plein, le système financier trouvant ses aises. Il a enflé outre mesure, puis s’est pris les pieds dans ses propres contradictions. Le résumé est bref, il n’en est pas moins fidèle. Il a été jusqu’à prétendre, voyez-vous cela, faire disparaitre le risque en le diluant. Aujourd’hui, les règles du jeu ont changé sans que les nouvelles soient établies.

L’Europe se démantèle, la Chine connait les soubresauts d’une douloureuse mutation à l’atterrissage imprévisible, et les États-Unis sont présidés par un dangereux mégalomane qui veut diriger le monde sur le modèle de son empire en carton-pâte. Est-il besoin d’en rajouter? Surnage la vision d’un monde chaotique et incontrôlé où les dirigeants sont dépassés. Notre monde n’est plus gouvernable, il est aisé de s’en rendre compte.

Les propos iconoclastes ont tendance à fleurir, l’orthodoxie n’est plus ce qu’elle était. On en vient à mettre en cause des effets de la globalisation, à s’interroger sur la nature de la croissance ou à dénoncer l’accroissement des inégalités. Le danger « populiste » est un puisant catalyseur, mais il n’est pas l’aiguillon qui conduirait à l’action. Hier rejetés pour utopistes, ou tout simplement méconnus, des concepts comme le revenu universel, la taxation des robots ou « l’helicopter money » ont acquis place de cité et font débat. La rupture est revendiquée par des ultra-libéraux indécrottables enfermés dans leurs certitudes et perclus dans leur monde. Conservateurs en tous genres, ils se refusent d’envisager dans leur ampleur d’autres ruptures résultant des développements technologiques en cours. Et, quand ils s’essayent à des idées nouvelles, c’est pour rechercher des solutions monétaires magiques auprès des banques centrales. Possédant le don de créer la monnaie, elles pourraient aussi bien faire disparaitre la dette, après tout…

Parmi les idées reçues qu’il va falloir abandonner figure le tabou de la réduction de la dette qui prospère, en contradiction avec les enseignements de l’histoire. Dans l’immédiat, c’est l’indépendance des banques centrales qui est pratiquement sur la sellette. Originellement, elle s’appuyait sur une division du travail : aux banquiers centraux la politique et la stabilité monétaires, aux dirigeants des États la politique et la croissance économiques. Dans les années 70 et 80, ce partage était d’autant plus facile à mettre en place qu’un consensus existait en matière de politique monétaire et de primauté de la lutte contre l’inflation. Aujourd’hui, les banques centrales ont élargi de fait leur mandat et empiètent sur le terrain des autres, remettant en cause ce schéma. Et, à l’arrivée, les banquiers centraux et les dirigeants politiques se retrouvent dans le même bain pour s’interroger, divisés.

L’indépendance des banques centrales est un mythe fondateur de la finance moderne destiné à permettre le règlement discret des affaires sensibles. Pour les besoins de cette cause, il a été prétendu que les dirigeants politiques irresponsables devaient être écartés du pouvoir monétaire et qu’il fallait laisser le pilotage du système financier dans les mains d’experts indépendants. Que cette indépendance soit aujourd’hui mise en cause reflète le besoin des dirigeants politiques de reprendre la main sur l’ensemble. Le confirmant, Donald Trump va placer ses pions au sein de la Fed, et le gouvernement allemand louche sur le contrôle de la BCE. Avec dans les deux cas la même intention : infléchir la politique des banques centrales en faveur des intérêts économiques de leur pays. C’est le pendant naturel de la guerre des monnaies larvée à laquelle nous assistons.

Toute cette histoire a commencé avec des G20 à répétition, où il n’était question que de concertation et d’actions conjuguées, elle se poursuit sur le mode d’une compétition renforcée.

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