LA FOIRE AUX IDÉES EUROPÉENNES, par François Leclerc

Billet invité.

Comment stopper le démantèlement de l’Europe sans modifier les traités dont le respect implique l’austérité budgétaire et sa faible croissance complémentaire ? Le gouvernement allemand ayant sur cette question obtenu complète satisfaction et bloqué toute évolution, dans quoi est-il encore possible de s’engager ?

La Commission de Bruxelles parcourt cette piste étroite, tandis qu’Emmanuel Macron s’appuie sur une coopération bilatérale renforcée avec l’Allemagne afin de créer dans son esprit une dynamique favorable à la croissance. De son côté, Angela Merkel accrédite l’idée d’un tournant avec une petite phrase : « compte tenu de la situation actuelle, il y a encore plus de raisons pour lesquelles nous devons en Europe prendre notre destin en main ». Sans être dans l’immédiat plus explicite.

La chancelière ayant les clés en main, les spéculations n’ont pas manqué à propos de ce qu’elle pourrait préparer une fois réélue, notamment en réponse aux propositions d’Emmanuel Macron qu’elle pourrait accepter, selon un article du Frankfurter Allgemeine Zeitung. Un poste de ministre des finances et un budget de l’union monétaire pourraient être créés. Ce ne serait toutefois pas sans contrepartie, la nomination de Jens Weidmann pour prendre la succession de Mario Draghi à la tête de la BCE devant dans son esprit, conforter les strictes conditions budgétaires dans lesquelles ces avancées devraient s’inscrire. Une pierre de plus dans le mur construit par Wolfgang Schäuble avec sa proposition de FMI européen sous contrôle. Toute mutualisation des dettes, notamment via l’émission d’euro-obligations, resterait toutefois du domaine de l’impensable.

La Commission s’efforce de contourner ce problème en proposant la création de titres obligataires adossés à des paquets de dettes souveraines de différents pays. L’idée de ce nouvel instrument financier est de panacher l’émission de la dette de pays réputés forts avec celle de pays reconnus faibles, dans l’intention de faire profiter ces derniers de meilleurs taux. Elle vise à anticiper un arrêt des opérations d’achat de titres de la BCE qui contribue à en stabiliser les taux, en leur substituant un autre dispositif ayant les mêmes effets. Mais le sort qui pourrait être réservé à de tels instruments est une parfaite inconnue, le marché européen de la titrisation dont la relance est recherchée étant atone.

La créativité de la Commission ne s’arrête pas là. Elle s’apprête à publier un document prévoyant la mise en place d’autres mécanismes. Les bons élèves de la classe qui respectent les règles de déficit budgétaire et appliquent les réformes structurelles pourraient se financer en cas de besoin dans différents fonds, destinés à faire face au chômage et à protéger l’investissement, dont un qualifié de « fonds des jours de pluie »… Après le bâton, la carotte.

Du côté des think-tank bruxellois, les propositions fusent, provenant notamment de l’Institut Delors et de l’Institut Bruegel. Le premier s’en tient, sous les signatures d’Henrik Enderlein et d’Enrico Letta, à une réaffirmation de la politique en vigueur, en l’accentuant, y ajoutant une fois la convergence des économies accomplies la perspective de parvenir à une véritable union économique et monétaire au sein de laquelle le partage des risques et de la souveraineté serait institué. Rapporté à l’Europe des dix-neuf, ce n’est ni plus ni moins que la transposition du sort qui est actuellement réservé à la Grèce : « suivez sans rechigner notre politique et vous en récolterez les bienfaits plus tard ! »

André Sapir et Dirk Schoenmaker de l’Institut Bruegel exposent une vision nettement moins orthodoxe dans un document d’une toute autre teneur. S’inscrivant dans la perspective du renforcement du rôle du Mécanisme européen de stabilité (MES), tout en réfutant le principe de l’unanimité sur lequel il fonctionne, les auteurs remarquent que celui-ci ne pourra pas plus que la BCE faire face aux problèmes d’insolvabilité. Ce qui les conduit à proposer la création d’un « mécanisme de restructuration de la dette souveraine », afin que celle-ci soit réalisée dans l’ordre. Celle-ci n’interviendrait que lorsque l’insolvabilité serait reconnue par le MES, avec comme objectif d’aboutir à un accord entre les créanciers et les débiteurs. Dans cette logique, le risque des titres souverains devrait être retenu lors de l’analyse des bilans bancaires, incitant les banques à en limiter la détention, afin de dénouer le fameux nœud gordien qui empoisonne le système financier européen.

La foire aux idées bat son plein. Mais les décideurs d’outre-Rhin, auprès desquels les adeptes du libéralisme trouvent leurs avantages, se réfugient dans le respect intangible des règles, cet autre nœud qu’ils continuent de serrer.

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