L’ÉTROITESSE DES MARGES DE MANÅ’UVRE, par François Leclerc

Billet invité.

La Commission et le nouveau président français sont désormais en mesure de mieux évaluer leurs marges de manœuvre vis-à-vis des autorités allemandes, le ministre espagnol Luis de Guindos venant de s’aligner sur les propositions de celles-ci. La Bundesbank a rejeté sans appel la proposition bruxelloise d’émission des European Safe Bonds – paquets de titres de dettes de plusieurs pays – car elle « pourrait être interprétée comme un pas vers des Eurobonds, c’est à dire un instrument de mutualisation de la dette ». La proposition française d’indexer l’allégement de la dette grecque à la croissance économique du pays n’a pas suscité l’adhésion de Berlin qui fait toujours obstacle à un accord, Wolfgang Schäuble refusant au sein de l’Eurogroupe où il a ses aises l’arbitrage des chefs d’État et de gouvernement lors du sommet de la semaine prochaine, dernière issue pour Alexis Tsipras. Un déclic de dernière instance va-t-il intervenir ?

Les commentateurs avisés, qui voient plus loin, se rassurent en rappelant qu’il ne faut attendre aucune souplesse du gouvernement allemand avant la tenue des élections législatives de l’automne, se raccrochant à l’idée que ce cap passé le paysage s’éclaircira. Rien ne permet pourtant de le prédire. En fait de signal, celui que donne le ministre allemand de l’économie consiste à préconiser l’adoption de nouvelles dispositions qui multiplieraient les obstacles à tout assouplissement de sa politique. Cela ne peut pas se conclure bien.

Dans l’immédiat, le démarrage des négociations du Brexit est au centre des préoccupations, dans un contexte de confusion aggravé par la défaite électorale de Theresa May et sa négociation sans principe avec les unionistes irlandais afin de rester dans le jeu. Les contours d’un accord plus ou moins souple ne se précisent toujours pas, conduisant les autorités allemandes et françaises à inviter sur le mode plaisant les Britanniques à revenir à la maison, et que tout sera pardonné ! De la tragédie, on vire à la mauvaise comédie.

La Commission a entre-temps dégagé le terrain sur le sujet très sensible des chambres de compensation des produits dérivés libellés en euros, le clearing. Il a été décidé de jouer la politique de la carotte en ne forçant pas leur relocalisation au sein de la zone euro, afin de les placer sous le contrôle des institutions ad hoc, et de permettre leur maintien à Londres, à condition qu’elles soient soumises à des dispositions de régulation et de supervision européennes qui restent à préciser.

Le véritable enjeu, souligné par les acteurs de la City, était d’augmenter les coûts de la compensation en cas de transfert des chambres, car cela mettait en cause l’optimisation de leurs appels de marge aux investisseurs. Mais rien ne doit faire obstacle à l’expansion délirante du marché des produits dérivés. L’affrontement était présenté comme une compétition entre le Royaume-Uni et l’Europe, mais ce sont les financiers qui ont gagné. Et il n’est plus question d’un plus redoutable problème toujours sans réponse, les chambres de compensation destinée à maitriser le risque aboutissant tout au contraire à le concentrer.

Une autre bataille avec le Comité de Bâle va connaître aujourd’hui son épilogue. Elle porte sur un dernier aspect des règles prudentielles relatives au calcul des fonds propres des banques, et touche à un point particulièrement sensible pour les banques européennes. Les françaises en particulier, qui sont à la pointe du combat via la Fédération bancaire française (FBF) et avec le soutien du gouverneur de la Banque de France, car ces dispositions qui ont déjà fait l’objet d’ajustements à leur demande sont « inacceptables » et le Comité de Bâle doit plier.

Pour résumer, les banques doivent pouvoir continuer de calculer avec leurs méthodes maison, sans entraves, le risque porté par leurs actifs dont dépend le montant de leurs capitaux propres, au prétexte qu’elles seraient sinon désavantagées vis-à-vis des banques américaines qui, elles, acceptent la même méthode standard décidée par les régulateurs. Pour dire clair, elles seraient dans l’obligation de lever des milliards d’euros de fonds propres. À suivre.

Le Mouvement des 5 étoiles vient clairement de menacer de sortir de l’Europe au cas où celle-ci laisserait l’Italie seule gérer un afflux de réfugiés qui ne se tarit pas. Il est réconfortant d’observer dans ce contexte tumultueux que, pour leur part, les financiers tiennent bon leur cap.

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